Locationd'un soldat carte de 150cm pour une décoration sur diverses thématiques: Alice au pays des merveilles Découvrez d'autres décors sur le thÚme Alice au Pays des
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Voicile Jeu de Cartes Alice au pays des merveilles. Il y a des cartes magiques dans l'histoire, et c'est une histoire qui vous raconte l'histoire d'un soldat de cartes. Nous voulions compléter la conception de la carte transparente en

Action History × Home/ Artists/ Surrealism / Rene Magritte/ Alice in Wonderland Rene Magritte Alice in Wonderland Rene Magritte Original Title Alice au pays des merveilles Date 1945; Brussels, Belgium Style Surrealism Period Sunlit Period Genre literary painting Tags Tree Tag is correct Tag is incorrect Woody plant Tag is correct Tag is incorrect Plant Tag is correct Tag is incorrect Tree stump Tag is correct Tag is incorrect Rene Magritte Famous works Attempting the Impossible ‱ 1928 The false mirror ‱ 1928 The treachery of images This is not a pipe ‱ 1928-1929 Collective Invention ‱ 1934 The human condition ‱ 1935 Not to be Reproduced ‱ 1937 Time transfixed ‱ 1938 Black Magic ‱ 1945 The Listening Room ‱ 1952 Golconda ‱ 1953 The Son of Man ‱ 1964 Decalcomania ‱ 1966 View all 372 artworks Related Artworks 1-{{getCurrentCount}} out of {{getTotalCount}} LOAD MORE Court MĂ©trage Short Films Brotherhood [2018] Directed by Meryam Joobeur Written by Meryam Joobeur Produced by Maria Gracia Turgeon, Habib Attia Mohamed is deeply shaken when his oldest son Malik returns home after a long journey with a mysterious new wife. Watch now

Plongezvos invités dans l'univers étrange et déjanté d'Alice au pays des merveilles. - 1 Montre à Gousset XL- 2 Lapins colorés XL- 1 Panneau Directions "This Way"- 2 Soldats Carte- 1 Champignon Amanite XL- 4 Buis Boule- 4 Buis sur tronc- 2 champignons Porte Alice au Pays des Merveilles Ref: locapm34. Découvrez chez Libdeco, cette Porte Tordue d'Alice au Pays
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Aliceau pays des merveilles Alice au pays des merveilles pour les lùvres, Art Étape 1: La Reine À l'aide de rouge de ma palette forever flash maquillage je vais placer au cƓur de Queens au centre de mes lùvres.Étape 2: Cheshire Cat À l'aide de NYX lippie dans la couleur rose je suis qui mise en bandes, puis prendre la rose de
Affichage de 204 produits sur 204 12 assiettes Alice Prix habituel 6,80 € Prix habituel 6,80 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 20 serviettes Alice Prix habituel 5,10 € Prix habituel 5,10 € Prix soldĂ© Prix unitaire par PrĂ©sentoir Ă  gĂąteaux Alice Prix habituel 26,30 € Prix habituel 26,30 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 12 Toppers Alice Prix habituel 10,10 € Prix habituel 10,10 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 6 PrĂ©sentoirs Ă  gĂąteaux Alice Prix habituel 8,00 € Prix habituel 8,00 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 6 Petites cloches pour gĂąteaux Alice Prix habituel 17,30 € Prix habituel 17,30 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 8 DĂ©corations gĂ©antes Alice Prix habituel 12,20 € Prix habituel 12,20 € Prix soldĂ© Prix unitaire par Robe de princesse bleue Prix habituel 42,50 € Prix habituel 42,50 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 1 emporte-piĂšce - ThĂ©iĂšre Prix habituel 3,20 € Prix habituel 3,20 € Prix soldĂ© Prix unitaire par Ballon gĂąteau d'anniversaire Prix habituel 6,20 € Prix habituel 6,20 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 8 assiettes gĂąteau d'anniversaire Prix habituel 8,50 € Prix habituel 8,50 € Prix soldĂ© Prix unitaire par Topper Happy Birthday colorĂ© Prix habituel 6,60 € Prix habituel 6,60 € Prix soldĂ© Prix unitaire par Guirlande Ă  frange Happy Birthday rose Prix habituel 24,00 € Prix habituel 24,00 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 8 assiettes colorĂ©s Happy Birthday Prix habituel 6,00 € Prix habituel 6,00 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 16 serviettes colorĂ©es Happy Birthday Prix habituel 5,30 € Prix habituel 5,30 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 16 petites serviettes Ă  frange Happy Birthday iridescent Prix habituel 7,00 € Prix habituel 7,00 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 1 Sachet de graines - Anniversaire Prix habituel 2,50 € Prix habituel 2,50 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 1 Sachet de graines - Joyeux anniversaire Prix habituel 2,50 € Prix habituel 2,50 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 12 petites assiettes Fleurs Prix habituel 6,80 € Prix habituel 6,80 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 16 grandes serviettes - fleurs jardins anglais Prix habituel 8,00 € Prix habituel 8,00 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 20 petites serviettes - fleurs des bois par Nathalie LĂ©tĂ© Prix habituel 6,00 € Prix habituel 6,00 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 6 crackers Hazel gardiner Prix habituel 36,00 € Prix habituel 36,00 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 6 crackers fleurs en papier de soie Prix habituel 30,00 € Prix habituel 30,00 € Prix soldĂ© Prix unitaire par Ballon fleur Prix habituel 5,80 € Prix habituel 5,80 € Prix soldĂ© Prix unitaire par 8 assiettes marguerites Prix habituel 11,00 € Prix habituel 11,00 € Prix soldĂ© Prix unitaire par Ballon fleur jaune Prix habituel 5,90 € Prix habituel 5,90 € Prix soldĂ© Prix unitaire par Serre-tĂȘte floral en tulle et organdi Prix habituel 41,50 € Prix habituel 41,50 € Prix soldĂ© Prix unitaire par Collier pendentif fleur Prix habituel 4,00 € Prix habituel 4,00 € Prix soldĂ© Prix unitaire par
LeLapin Blanc (the White Rabbit) est un personnage majeur un lapin anthropomorphe apparu dans le film Alice au Pays des Merveilles, sorti en 1951. Constamment stressé par son retard, il a un rÎle crucial dans l'histoire en étant celui qui mÚne Alice au pays des merveilles et la pousse indirectement à continuer son chemin en entretenant involontairement sa curiosité. Il

[L’Auteur dĂ©sire exprimer ici sa reconnaissance envers le Traducteur de ce qu’il a remplacĂ© par des parodies de sa composition quelques parodies de morceaux de poĂ©sie anglais, qui n’avaient de valeur que pour des enfants anglais ; et aussi, de ce qu’il a su donner en jeux de mots français les Ă©quivalents des jeux de mots anglais, dont la traduction n’était pas possible.] Notre barque glisse sur l’onde Que dorent de brĂ»lants rayons ; Sa marche lente et vagabonde TĂ©moigne que des bras mignons, Pleins d’ardeur, mais encore novices, Tout fiers de ce nouveau travail, MĂšnent au grĂ© de leurs caprices Les rames et le gouvernail. Soudain trois cris se font entendre, Cris funestes Ă  la langueur Dont je ne pouvais me dĂ©fendre Par ce temps chaud, qui rend rĂȘveur. Un conte ! Un conte ! » disent-elles Toutes d’une commune voix. Il fallait cĂ©der aux cruelles ; Que pouvais-je, hĂ©las ! contre trois La premiĂšre, d’un ton suprĂȘme, Donne l’ordre de commencer. La seconde, la douceur mĂȘme, Se contente de demander Des choses Ă  ne pas y croire. Nous ne fĂ»mes interrompus Par la troisiĂšme, c’est notoire, Qu’une fois par minute, au plus. Puis, muettes, prĂȘtant l’oreille Au conte de l’enfant rĂȘveur, Qui va de merveille en merveille Causant avec l’oiseau causeur ; Leur esprit suit la fantaisie. OĂč se laisse aller le conteur, Et la vĂ©ritĂ© tĂŽt oublie Pour se confier Ă  l’erreur. Le conteur espoir chimĂ©rique ! Cherche, se sentant Ă©puisĂ©, À briser le pouvoir magique Du charme qu’il a composĂ©, Et TantĂŽt » voudrait de ce rĂȘve Finir le rĂ©cit commencĂ© Non, non, c’est tantĂŽt ! pas de trĂȘve ! » Est le jugement prononcĂ©. Ainsi du pays des merveilles Se racontĂšrent lentement Les aventures sans pareilles, Incident aprĂšs incident. Alors vers le prochain rivage OĂč nous devions tous dĂ©barquer Rama le joyeux Ă©quipage ; La nuit commençait Ă  tomber. Douce Alice, acceptez l’offrande De ces gais rĂ©cits enfantins, Et tressez-en une guirlande, Comme on voit faire aux pĂ©lerins De ces fleurs qu’ils ont recueillies, Et que plus tard, dans l’avenir, Bien qu’elles soient, hĂ©las ! flĂ©tries, Ils chĂ©rissent en souvenir. CHAPITRE FOND DU TERRIER. Alice, assise auprĂšs de sa sƓur sur le gazon, commençait Ă  s’ennuyer de rester lĂ  Ă  ne rien faire ; une ou deux fois elle avait jetĂ© les yeux sur le livre que lisait sa sƓur ; mais quoi ! pas d’images, pas de dialogues ! La belle avance, » pensait Alice, qu’un livre sans images, sans causeries ! » Elle s’était mise Ă  rĂ©flĂ©chir, tant bien que mal, car la chaleur du jour l’endormait et la rendait lourde, se demandant si le plaisir de faire une couronne de marguerites valait bien la peine de se lever et de cueillir les fleurs, quand tout Ă  coup un lapin blanc aux yeux roses passa prĂšs d’elle. Il n’y avait rien lĂ  de bien Ă©tonnant, et Alice ne trouva mĂȘme pas trĂšs-extraordinaire d’entendre parler le Lapin qui se disait Ah ! j’arriverai trop tard ! » En y songeant aprĂšs, il lui sembla bien qu’elle aurait dĂ» s’en Ă©tonner, mais sur le moment cela lui avait paru tout naturel. Cependant, quand le Lapin vint Ă  tirer une montre de son gousset, la regarda, puis se prit Ă  courir de plus belle, Alice sauta sur ses pieds, frappĂ©e de cette idĂ©e que jamais elle n’avait vu de lapin avec un gousset et une montre. EntraĂźnĂ©e par la curiositĂ© elle s’élança sur ses traces Ă  travers le champ, et arriva tout juste Ă  temps pour le voir disparaĂźtre dans un large trou au pied d’une haie. Un instant aprĂšs, Alice Ă©tait Ă  la poursuite du Lapin dans le terrier, sans songer comment elle en sortirait. Pendant un bout de chemin le trou allait tout droit comme un tunnel, puis tout Ă  coup il plongeait perpendiculairement d’une façon si brusque qu’Alice se sentit tomber comme dans un puits d’une grande profondeur, avant mĂȘme d’avoir pensĂ© Ă  se retenir. De deux choses l’une, ou le puits Ă©tait vraiment bien profond, ou elle tombait bien doucement ; car elle eut tout le loisir, dans sa chute, de regarder autour d’elle et de se demander avec Ă©tonnement ce qu’elle allait devenir. D’abord elle regarda dans le fond du trou pour savoir oĂč elle allait ; mais il y faisait bien trop sombre pour y rien voir. Ensuite elle porta les yeux sur les parois du puits, et s’aperçut qu’elles Ă©taient garnies d’armoires et d’étagĂšres ; çà et lĂ , elle vit pendues Ă  des clous des cartes gĂ©ographiques et des images. En passant elle prit sur un rayon un pot de confiture portant cette Ă©tiquette, MARMELADE D’ORANGES. » Mais, Ă  son grand regret, le pot Ă©tait vide elle n’osait le laisser tomber dans la crainte de tuer quelqu’un ; aussi s’arrangea-t-elle de maniĂšre Ă  le dĂ©poser en passant dans une des armoires. Certes, » dit Alice, aprĂšs une chute pareille je ne me moquerai pas mal de dĂ©gringoler l’escalier ! Comme ils vont me trouver brave chez nous ! Je tomberais du haut des toits que je ne ferais pas entendre une plainte. » Ce qui Ă©tait bien probable. Tombe, tombe, tombe ! Cette chute n’en finira donc pas ! Je suis curieuse de savoir combien de milles j’ai dĂ©jĂ  faits, » dit-elle tout haut. Je dois ĂȘtre bien prĂšs du centre de la terre. Voyons donc, cela serait Ă  quatre mille milles de profondeur, il me semble. » Comme vous voyez, Alice avait appris pas mal de choses dans ses leçons ; et bien que ce ne fĂ»t pas lĂ  une trĂšs-bonne occasion de faire parade de son savoir, vu qu’il n’y avait point d’auditeur, cependant c’était un bon exercice que de rĂ©pĂ©ter sa leçon. Oui, c’est bien Ă  peu prĂšs cela ; mais alors Ă  quel degrĂ© de latitude ou de longitude est-ce que je me trouve ? » Alice n’avait pas la moindre idĂ©e de ce que voulait dire latitude ou longitude, mais ces grands mots lui paraissaient beaux et sonores. BientĂŽt elle reprit Si j’allais traverser complĂ©tement la terre ? Comme ça serait drĂŽle de se trouver au milieu de gens qui marchent la tĂȘte en bas. Aux Antipathies, je crois. » Elle n’était pas fĂąchĂ©e cette fois qu’il n’y eĂ»t personne lĂ  pour l’entendre, car ce mot ne lui faisait pas l’effet d’ĂȘtre bien juste. Eh mais, j’aurai Ă  leur demander le nom du pays. — Pardon, Madame, est-ce ici la Nouvelle-Zemble ou l’Australie ? » — En mĂȘme temps elle essaya de faire la rĂ©vĂ©rence. Quelle idĂ©e ! Faire la rĂ©vĂ©rence en l’air ! Dites-moi un peu, comment vous y prendriez-vous ? Quelle petite ignorante ! pensera la dame quand je lui ferai cette question. Non, il ne faut pas demander cela ; peut-ĂȘtre le verrai-je Ă©crit quelque part. » Tombe, tombe, tombe ! — Donc Alice, faute d’avoir rien de mieux Ă  faire, se remit Ă  se parler Dinah remarquera mon absence ce soir, bien sĂ»r. » Dinah c’était son chat. Pourvu qu’on n’oublie pas de lui donner sa jatte de lait Ă  l’heure du thĂ©. Dinah, ma minette, que n’es-tu ici avec moi ? Il n’y a pas de souris dans les airs, j’en ai bien peur ; mais tu pourrais attraper une chauve-souris, et cela ressemble beaucoup Ă  une souris, tu sais. Mais les chats mangent-ils les chauves-souris ? » Ici le sommeil commença Ă  gagner Alice. Elle rĂ©pĂ©tait, Ă  moitiĂ© endormie Les chats mangent-ils les chauves-souris ? Les chats mangent-ils les chauves-souris ? » Et quelquefois Les chauves-souris mangent-elles les chats ? » Car vous comprenez bien que, puisqu’elle ne pouvait rĂ©pondre ni Ă  l’une ni Ă  l’autre de ces questions, peu importait la maniĂšre de les poser. Elle s’assoupissait et commençait Ă  rĂȘver qu’elle se promenait tenant Dinah par la main, lui disant trĂšs-sĂ©rieusement Voyons, Dinah, dis-moi la vĂ©ritĂ©, as-tu jamais mangĂ© des chauves-souris ? » Quand tout Ă  coup, pouf ! la voilĂ  Ă©tendue sur un tas de fagots et de feuilles sĂšches, — et elle a fini de tomber. Alice ne s’était pas fait le moindre mal. Vite elle se remet sur ses pieds et regarde en l’air ; mais tout est noir lĂ -haut. Elle voit devant elle un long passage et le Lapin Blanc qui court Ă  toutes jambes. Il n’y a pas un instant Ă  perdre ; Alice part comme le vent et arrive tout juste Ă  temps pour entendre le Lapin dire, tandis qu’il tourne le coin Par ma moustache et mes oreilles, comme il se fait tard ! » Elle n’en Ă©tait plus qu’à deux pas mais le coin tournĂ©, le Lapin avait disparu. Elle se trouva alors dans une salle longue et basse, Ă©clairĂ©e par une rangĂ©e de lampes pendues au plafond. Il y avait des portes tout autour de la salle ces portes Ă©taient toutes fermĂ©es, et, aprĂšs avoir vainement tentĂ© d’ouvrir celles du cĂŽtĂ© droit, puis celles du cĂŽtĂ© gauche, Alice se promena tristement au beau milieu de cette salle, se demandant comment elle en sortirait. Tout Ă  coup elle rencontra sur son passage une petite table Ă  trois pieds, en verre massif, et rien dessus qu’une toute petite clef d’or. Alice pensa aussitĂŽt que ce pouvait ĂȘtre celle d’une des portes ; mais hĂ©las ! soit que les serrures fussent trop grandes, soit que la clef fĂ»t trop petite, elle ne put toujours en ouvrir aucune. Cependant, ayant fait un second tour, elle aperçut un rideau placĂ© trĂšs-bas et qu’elle n’avait pas vu d’abord ; par derriĂšre se trouvait encore une petite porte Ă  peu prĂšs quinze pouces de haut ; elle essaya la petite clef d’or Ă  la serrure, et, Ă  sa grande joie, il se trouva qu’elle y allait Ă  merveille. Alice ouvrit la porte, et vit qu’elle conduisait dans un Ă©troit passage Ă  peine plus large qu’un trou Ă  rat. Elle s’agenouilla, et, jetant les yeux le long du passage, dĂ©couvrit le plus ravissant jardin du monde. Oh ! Qu’il lui tardait de sortir de cette salle tĂ©nĂ©breuse et d’errer au milieu de ces carrĂ©s de fleurs brillantes, de ces fraĂźches fontaines ! Mais sa tĂȘte ne pouvait mĂȘme pas passer par la porte. Et quand mĂȘme ma tĂȘte y passerait, » pensait Alice, Ă  quoi cela servirait-il sans mes Ă©paules ? Oh ! que je voudrais donc avoir la facultĂ© de me fermer comme un tĂ©lescope ! Ça se pourrait peut-ĂȘtre, si je savais comment m’y prendre. » Il lui Ă©tait dĂ©jĂ  arrivĂ© tant de choses extraordinaires, qu’Alice commençait Ă  croire qu’il n’y en avait guĂšre d’impossibles. Comme cela n’avançait Ă  rien de passer son temps Ă  attendre Ă  la petite porte, elle retourna vers la table, espĂ©rant presque y trouver une autre clef, ou tout au moins quelque grimoire donnant les rĂšgles Ă  suivre pour se fermer comme un tĂ©lescope. Cette fois elle trouva sur la table une petite bouteille qui certes n’était pas lĂ  tout Ă  l’heure. Au cou de cette petite bouteille Ă©tait attachĂ©e une Ă©tiquette en papier, avec ces mots BUVEZ-MOI » admirablement imprimĂ©s en grosses lettres. C’est bien facile Ă  dire Buvez-moi, » mais Alice Ă©tait trop fine pour obĂ©ir Ă  l’aveuglette. Examinons d’abord, » dit-elle, et voyons s’il y a Ă©crit dessus Poison » ou non. » Car elle avait lu dans de jolis petits contes, que des enfants avaient Ă©tĂ© brĂ»lĂ©s, dĂ©vorĂ©s par des bĂȘtes fĂ©roces, et qu’il leur Ă©tait arrivĂ© d’autres choses trĂšs-dĂ©sagrĂ©ables, tout cela pour ne s’ĂȘtre pas souvenus des instructions bien simples que leur donnaient leurs parents par exemple, que le tisonnier chauffĂ© Ă  blanc brĂ»le les mains qui le tiennent trop longtemps ; que si on se fait au doigt une coupure profonde, il saigne d’ordinaire ; et elle n’avait point oubliĂ© que si l’on boit immodĂ©rĂ©ment d’une bouteille marquĂ©e Poison » cela ne manque pas de brouiller le cƓur tĂŽt ou tard. Cependant, comme cette bouteille n’était pas marquĂ©e Poison, » Alice se hasarda Ă  en goĂ»ter le contenu, et le trouvant fort bon, au fait c’était comme un mĂ©lange de tarte aux cerises, de crĂȘme, d’ananas, de dinde truffĂ©e, de nougat, et de rĂŽties au beurre, elle eut bientĂŽt tout avalĂ©. Je me sens toute drĂŽle, » dit Alice, on dirait que je rentre en moi-mĂȘme et que je me ferme comme un tĂ©lescope. » C’est bien ce qui arrivait en effet. Elle n’avait plus que dix pouces de haut, et un Ă©clair de joie passa sur son visage Ă  la pensĂ©e qu’elle Ă©tait maintenant de la grandeur voulue pour pĂ©nĂ©trer par la petite porte dans ce beau jardin. Elle attendit pourtant quelques minutes, pour voir si elle allait rapetisser encore. Cela lui faisait bien un peu peur. Songez donc, » se disait Alice, je pourrais bien finir par m’éteindre comme une chandelle. Que deviendrais-je alors ? » Et elle cherchait Ă  s’imaginer l’air que pouvait avoir la flamme d’une chandelle Ă©teinte, car elle ne se rappelait pas avoir jamais rien vu de la sorte. Un moment aprĂšs, voyant qu’il ne se passait plus rien, elle se dĂ©cida Ă  aller de suite au jardin ; mais hĂ©las, pauvre Alice ! en arrivant Ă  la porte, elle s’aperçut qu’elle avait oubliĂ© la petite clef d’or. Elle revint sur ses pas pour la prendre sur la table. Bah ! impossible d’atteindre Ă  la clef qu’elle voyait bien clairement Ă  travers le verre. Elle fit alors tout son possible pour grimper le long d’un des pieds de la table, mais il Ă©tait trop glissant ; et enfin, Ă©puisĂ©e de fatigue, la pauvre enfant s’assit et pleura. Allons, Ă  quoi bon pleurer ainsi, » se dit Alice vivement. Je vous conseille, Mademoiselle, de cesser tout de suite ! » Elle avait pour habitude de se donner de trĂšs-bons conseils bien qu’elle les suivĂźt rarement, et quelquefois elle se grondait si fort que les larmes lui en venaient aux yeux ; une fois mĂȘme elle s’était donnĂ© des tapes pour avoir trichĂ© dans une partie de croquet qu’elle jouait toute seule ; car cette Ă©trange enfant aimait beaucoup Ă  faire deux personnages. Mais, » pensa la pauvre Alice, il n’y a plus moyen de faire deux personnages, Ă  prĂ©sent qu’il me reste Ă  peine de quoi en faire un. » Elle aperçut alors une petite boĂźte en verre qui Ă©tait sous la table, l’ouvrit et y trouva un tout petit gĂąteau sur lequel les mots MANGEZ-MOI » Ă©taient admirablement tracĂ©s avec des raisins de Corinthe. Tiens, je vais le manger, » dit Alice si cela me fait grandir, je pourrai atteindre Ă  la clef ; si cela me fait rapetisser, je pourrai ramper sous la porte ; d’une façon ou de l’autre, je pĂ©nĂ©trerai dans le jardin, et alors, arrive que pourra ! » Elle mangea donc un petit morceau du gĂąteau, et, portant sa main sur sa tĂȘte, elle se dit tout inquiĂšte Lequel est-ce ? Lequel est-ce ? » Elle voulait savoir si elle grandissait ou rapetissait, et fut tout Ă©tonnĂ©e de rester la mĂȘme ; franchement, c’est ce qui arrive le plus souvent lorsqu’on mange du gĂąteau ; mais Alice avait tellement pris l’habitude de s’attendre Ă  des choses extraordinaires, que cela lui paraissait ennuyeux et stupide de vivre comme tout le monde. Aussi elle se remit Ă  l’Ɠuvre, et eut bien vite fait disparaĂźtre le gĂąteau. CHAPITRE MARE AUX LARMES. De plus trĂšs-curieux en plus trĂšs-curieux ! » s’écria Alice sa surprise Ă©tait si grande qu’elle ne pouvait s’exprimer correctement VoilĂ  que je m’allonge comme le plus grand tĂ©lescope qui fĂ»t jamais ! Adieu mes pieds ! » Elle venait de baisser les yeux, et ses pieds lui semblaient s’éloigner Ă  perte de vue. Oh ! mes pauvres petits pieds ! Qui vous mettra vos bas et vos souliers maintenant, mes mignons ? Quant Ă  moi, je ne le pourrai certainement pas ! Je serai bien trop loin pour m’occuper de vous arrangez-vous du mieux que vous pourrez. — Il faut cependant que je sois bonne pour eux, » pensa Alice, sans cela ils refuseront peut-ĂȘtre d’aller du cĂŽtĂ© que je voudrai. Ah ! je sais ce que je ferai je leur donnerai une belle paire de bottines Ă  NoĂ«l. » Puis elle chercha dans son esprit comment elle s’y prendrait. Il faudra les envoyer par le messager, » pensa-t-elle ; quelle Ă©trange chose d’envoyer des prĂ©sents Ă  ses pieds ! Et l’adresse donc ! C’est cela qui sera drĂŽle. À Monsieur LepiĂ©droit d’Alice, Tapis du foyer, PrĂšs le garde-feu. De la part de Mlle Alice. Oh ! que d’enfantillages je dis lĂ  ! » Au mĂȘme instant, sa tĂȘte heurta contre le plafond de la salle c’est qu’elle avait alors un peu plus de neuf pieds de haut. Vite elle saisit la petite clef d’or et courut Ă  la porte du jardin. Pauvre Alice ! C’est tout ce qu’elle put faire, aprĂšs s’ĂȘtre Ă©tendue de tout son long sur le cĂŽtĂ©, que de regarder du coin de l’Ɠil dans le jardin. Quant Ă  traverser le passage, il n’y fallait plus songer. Elle s’assit donc, et se remit Ă  pleurer. Quelle honte ! » dit Alice. Une grande fille comme vous » grande » Ă©tait bien le mot pleurer de la sorte ! Allons, finissez, vous dis-je ! » Mais elle continua de pleurer, versant des torrents de larmes, si bien qu’elle se vit Ă  la fin entourĂ©e d’une grande mare, profonde d’environ quatre pouces et s’étendant jusqu’au milieu de la salle. Quelque temps aprĂšs, elle entendit un petit bruit de pas dans le lointain ; vite, elle s’essuya les yeux pour voir ce que c’était. C’était le Lapin Blanc, en grande toilette, tenant d’une main une paire de gants paille, et de l’autre un large Ă©ventail. Il accourait tout affairĂ©, marmottant entre ses dents Oh ! la Duchesse, la Duchesse ! Elle sera dans une belle colĂšre si je l’ai fait attendre ! » Alice se trouvait si malheureuse, qu’elle Ă©tait disposĂ©e Ă  demander secours au premier venu ; ainsi, quand le Lapin fut prĂšs d’elle, elle lui dit d’une voix humble et timide, Je vous en prie, Monsieur — » Le Lapin tressaillit d’épouvante, laissa tomber les gants et l’éventail, se mit Ă  courir Ă  toutes jambes et disparut dans les tĂ©nĂšbres. Alice ramassa les gants et l’éventail, et, comme il faisait trĂšs-chaud dans cette salle, elle s’éventa tout en se faisant la conversation Que tout est Ă©trange, aujourd’hui ! Hier les choses se passaient comme Ă  l’ordinaire. Peut-ĂȘtre m’a-t-on changĂ©e cette nuit ! Voyons, Ă©tais-je la mĂȘme petite fille ce matin en me levant ? — Je crois bien me rappeler que je me suis trouvĂ©e un peu diffĂ©rente. — Mais si je ne suis pas la mĂȘme, qui suis-je donc, je vous prie ? VoilĂ  l’embarras. » Elle se mit Ă  passer en revue dans son esprit toutes les petites filles de son Ăąge qu’elle connaissait, pour voir si elle avait Ă©tĂ© transformĂ©e en l’une d’elles. Bien sĂ»r, je ne suis pas Ada, » dit-elle. Elle a de longs cheveux bouclĂ©s et les miens ne frisent pas du tout. — AssurĂ©ment je ne suis pas Mabel, car je sais tout plein de choses et Mabel ne sait presque rien ; et puis, du reste, Mabel, c’est Mabel ; Alice c’est Alice ! — Oh ! mais quelle Ă©nigme que cela ! — Voyons si je me souviendrai de tout ce que je savais quatre fois cinq font douze, quatre fois six font treize, quatre fois sept font — je n’arriverai jamais Ă  vingt de ce train-lĂ . Mais peu importe la table de multiplication. Essayons de la GĂ©ographie Londres est la capitale de Paris, Paris la capitale de Rome, et Rome la capitale de — Mais non, ce n’est pas cela, j’en suis bien sĂ»re ! Je dois ĂȘtre changĂ©e en Mabel ! — Je vais tĂącher de rĂ©citer MaĂźtre Corbeau. » Elle croisa les mains sur ses genoux comme quand elle disait ses leçons, et se mit Ă  rĂ©pĂ©ter la fable, d’une voix rauque et Ă©trange, et les mots ne se prĂ©sentaient plus comme autrefois MaĂźtre Corbeau sur un arbre perchĂ©, Faisait son nid entre des branches ;Il avait relevĂ© ses manches,Car il Ă©tait Renard, par lĂ  passant,Lui dit Descendez donc, compĂšre ;Venez embrasser votre frĂšre. »Le Corbeau, le reconnaissant,Lui rĂ©pondit en son ramage Fromage. » » Je suis bien sĂ»re que ce n’est pas ça du tout, » s’écria la pauvre Alice, et ses yeux se remplirent de larmes. Ah ! je le vois bien, je ne suis plus Alice, je suis Mabel, et il me faudra aller vivre dans cette vilaine petite maison, oĂč je n’aurai presque pas de jouets pour m’amuser. — Oh ! que de leçons on me fera apprendre ! — Oui, certes, j’y suis bien rĂ©solue, si je suis Mabel je resterai ici. Ils auront beau passer la tĂȘte lĂ -haut et me crier, Reviens auprĂšs de nous, ma chĂ©rie ! » Je me contenterai de regarder en l’air et de dire, Dites-moi d’abord qui je suis, et, s’il me plaĂźt d’ĂȘtre cette personne-lĂ , j’irai vous trouver ; sinon, je resterai ici jusqu’à ce que je devienne une autre petite fille. » — Et pourtant, » dit Alice en fondant en larmes, je donnerais tout au monde pour les voir montrer la tĂȘte lĂ -haut ! Je m’ennuie tant d’ĂȘtre ici toute seule. » Comme elle disait ces mots, elle fut bien surprise de voir que tout en parlant elle avait mis un des petits gants du Lapin. Comment ai-je pu mettre ce gant ? » pensa-t-elle. Je rapetisse donc de nouveau ? » Elle se leva, alla prĂšs de la table pour se mesurer, et jugea, autant qu’elle pouvait s’en rendre compte, qu’elle avait environ deux pieds de haut, et continuait de raccourcir rapidement. BientĂŽt elle s’aperçut que l’éventail qu’elle avait Ă  la main en Ă©tait la cause ; vite elle le lĂącha, tout juste Ă  temps pour s’empĂȘcher de disparaĂźtre tout Ă  fait. Je viens de l’échapper belle, » dit Alice, tout Ă©mue de ce brusque changement, mais bien aise de voir qu’elle existait encore. Maintenant, vite au jardin ! » — Elle se hĂąta de courir vers la petite porte ; mais hĂ©las ! elle s’était refermĂ©e et la petite clef d’or se trouvait sur la table de verre, comme tout Ă  l’heure. Les choses vont de mal en pis, » pensa la pauvre enfant. Jamais je ne me suis vue si petite, jamais ! Et c’est vraiment par trop fort ! » À ces mots son pied glissa, et flac ! La voilĂ  dans l’eau salĂ©e jusqu’au menton. Elle se crut d’abord tombĂ©e dans la mer. Dans ce cas je retournerai chez nous en chemin de fer, » se dit-elle. Alice avait Ă©tĂ© au bord de la mer une fois en sa vie, et se figurait que sur n’importe quel point des cĂŽtes se trouvent un grand nombre de cabines pour les baigneurs, des enfants qui font des trous dans le sable avec des pelles en bois, une longue ligne de maisons garnies, et derriĂšre ces maisons une gare de chemin de fer. Mais elle comprit bientĂŽt qu’elle Ă©tait dans une mare formĂ©e des larmes qu’elle avait pleurĂ©es, quand elle avait neuf pieds de haut. Je voudrais bien n’avoir pas tant pleurĂ©, » dit Alice tout en nageant de cĂŽtĂ© et d’autre pour tĂącher de sortir de lĂ . Je vais en ĂȘtre punie sans doute, en me noyant dans mes propres larmes. C’est cela qui sera drĂŽle ! Du reste, tout est drĂŽle aujourd’hui. » Au mĂȘme instant elle entendit patauger dans la mare Ă  quelques pas de lĂ , et elle nagea de ce cĂŽtĂ© pour voir ce que c’était. Elle pensa d’abord que ce devait ĂȘtre un cheval marin ou hippopotame ; puis elle se rappela combien elle Ă©tait petite maintenant, et dĂ©couvrit bientĂŽt que c’était tout simplement une souris qui, comme elle, avait glissĂ© dans la mare. Si j’adressais la parole Ă  cette souris ? Tout est si extraordinaire ici qu’il se pourrait bien qu’elle sĂ»t parler dans tous les cas, il n’y a pas de mal Ă  essayer. » Elle commença donc Ô Souris, savez-vous comment on pourrait sortir de cette mare ? Je suis bien fatiguĂ©e de nager, Ô Souris ! » Alice pensait que c’était lĂ  la bonne maniĂšre d’interpeller une souris. Pareille chose ne lui Ă©tait jamais arrivĂ©e, mais elle se souvenait d’avoir vu dans la grammaire latine de son frĂšre — La souris, de la souris, Ă  la souris, ĂŽ souris. » La Souris la regarda d’un air inquisiteur ; Alice crut mĂȘme la voir cligner un de ses petits yeux, mais elle ne dit mot. Peut-ĂȘtre ne comprend-elle pas cette langue, » dit Alice ; c’est sans doute une souris Ă©trangĂšre nouvellement dĂ©barquĂ©e. Je vais essayer de lui parler italien Dove Ăš il mio gatto ? » » C’étaient lĂ  les premiers mots de son livre de dialogues. La Souris fit un bond hors de l’eau, et parut trembler de tous ses membres. Oh ! mille pardons ! » s’écria vivement Alice, qui craignait d’avoir fait de la peine au pauvre animal. J’oubliais que vous n’aimez pas les chats. » Aimer les chats ! » cria la Souris d’une voix perçante et colĂšre. Et vous, les aimeriez-vous si vous Ă©tiez Ă  ma place ? » Non, sans doute, » dit Alice d’une voix caressante, pour l’apaiser. Ne vous fĂąchez pas. Pourtant je voudrais bien vous montrer Dinah, notre chatte. Oh ! si vous la voyiez, je suis sĂ»re que vous prendriez de l’affection pour les chats. Dinah est si douce et si gentille. » Tout en nageant nonchalamment dans la mare et parlant moitiĂ© Ă  part soi, moitiĂ© Ă  la Souris, Alice continua Elle se tient si gentiment auprĂšs du feu Ă  faire son rouet, Ă  se lĂ©cher les pattes, et Ă  se dĂ©barbouiller ; son poil est si doux Ă  caresser ; et comme elle attrape bien les souris ! — Oh ! pardon ! » dit encore Alice, car cette fois le poil de la Souris s’était tout hĂ©rissĂ©, et on voyait bien qu’elle Ă©tait fĂąchĂ©e tout de bon. Nous n’en parlerons plus si cela vous fait de la peine. » Nous ! dites-vous, » s’écria la Souris, en tremblant de la tĂȘte Ă  la queue. Comme si moi je parlais jamais de pareilles choses ! Dans notre famille on a toujours dĂ©testĂ© les chats, viles crĂ©atures sans foi ni loi. Que je ne vous en entende plus parler ! » Eh bien non, » dit Alice, qui avait hĂąte de changer la conversation. Est-ce que — est-ce que vous aimez les chiens ? » La Souris ne rĂ©pondit pas, et Alice dit vivement Il y a tout prĂšs de chez nous un petit chien bien mignon que je voudrais vous montrer ! C’est un petit terrier aux yeux vifs, avec de longs poils bruns frisĂ©s ! Il rapporte trĂšs-bien ; il se tient sur ses deux pattes de derriĂšre, et fait le beau pour avoir Ă  manger. Enfin il fait tant de tours que j’en oublie plus de la moitiĂ© ! Il appartient Ă  un fermier qui ne le donnerait pas pour mille francs, tant il lui est utile ; il tue tous les rats et aussi — Oh ! » reprit Alice d’un ton chagrin, voilĂ  que je vous ai encore offensĂ©e ! » En effet, la Souris s’éloignait en nageant de toutes ses forces, si bien que l’eau de la mare en Ă©tait tout agitĂ©e. Alice la rappela doucement Ma petite Souris ! Revenez, je vous en prie, nous ne parlerons plus ni de chien ni de chat, puisque vous ne les aimez pas ! » À ces mots la Souris fit volte-face, et se rapprocha tout doucement ; elle Ă©tait toute pĂąle de colĂšre, pensait Alice. La Souris dit d’une voix basse et tremblante Gagnons la rive, je vous conterai mon histoire, et vous verrez pourquoi je hais les chats et les chiens. » Il Ă©tait grand temps de s’en aller, car la mare se couvrait d’oiseaux et de toutes sortes d’animaux qui y Ă©taient tombĂ©s. Il y avait un canard, un dodo, un lory, un aiglon, et d’autres bĂȘtes extraordinaires. Alice prit les devants, et toute la troupe nagea vers la rive. CHAPITRE COURSE COCASSE. Ils formaient une assemblĂ©e bien grotesque ces ĂȘtres singuliers rĂ©unis sur le bord de la mare ; les uns avaient leurs plumes tout en dĂ©sordre, les autres le poil plaquĂ© contre le corps. Tous Ă©taient trempĂ©s, de mauvaise humeur, et fort mal Ă  l’aise. Comment faire pour nous sĂ©cher ? » ce fut la premiĂšre question, cela va sans dire. Au bout de quelques instants, il sembla tout naturel Ă  Alice de causer familiĂšrement avec ces animaux, comme si elle les connaissait depuis son berceau. Elle eut mĂȘme une longue discussion avec le Lory, qui, Ă  la fin, lui fit la mine et lui dit d’un air boudeur Je suis plus ĂągĂ© que vous, et je dois par consĂ©quent en savoir plus long. » Alice ne voulut pas accepter cette conclusion avant de savoir l’ñge du Lory, et comme celui-ci refusa tout net de le lui dire, cela mit un terme au dĂ©bat. Enfin la Souris, qui paraissait avoir un certain ascendant sur les autres, leur cria Asseyez-vous tous, et Ă©coutez-moi ! Je vais bientĂŽt vous faire sĂ©cher, je vous en rĂ©ponds ! » Vite, tout le monde s’assit en rond autour de la Souris, sur qui Alice tenait les yeux fixĂ©s avec inquiĂ©tude, car elle se disait Je vais attraper un vilain rhume si je ne sĂšche pas bientĂŽt. » Hum ! » fit la Souris d’un air d’importance ; ĂȘtes-vous prĂȘts ? Je ne sais rien de plus sec que ceci. Silence dans le cercle, je vous prie. Guillaume le ConquĂ©rant, dont le pape avait embrassĂ© le parti, soumit bientĂŽt les Anglais, qui manquaient de chefs, et commençaient Ă  s’accoutumer aux usurpations et aux conquĂȘtes des Ă©trangers. Edwin et Morcar, comtes de Mercie et de Northumbrie — » » Brrr, » fit le Lory, qui grelottait. Pardon, » demanda la Souris en fronçant le sourcil, mais fort poliment, qu’avez-vous dit ? » Moi ! rien, » rĂ©pliqua vivement le Lory. Ah ! je croyais, » dit la Souris. Je continue. Edwin et Morcar, comtes de Mercie et de Northumbrie, se dĂ©clarĂšrent en sa faveur, et Stigand, l’archevĂȘque patriote de Cantorbery, trouva cela — » » Trouva quoi ? » dit le Canard. Il trouva cela, » rĂ©pondit la Souris avec impatience. AssurĂ©ment vous savez ce que cela » veut dire. » Je sais parfaitement ce que cela » veut dire ; par exemple quand moi j’ai trouvĂ© cela bon ; cela » veut dire un ver ou une grenouille, » ajouta le Canard. Mais il s’agit de savoir ce que l’archevĂȘque trouva. » La Souris, sans prendre garde Ă  cette question, se hĂąta de continuer. L’archevĂȘque trouva cela de bonne politique d’aller avec Edgar Atheling Ă  la rencontre de Guillaume, pour lui offrir la couronne. Guillaume, d’abord, fut bon prince ; mais l’insolence des vassaux normands — » Eh bien, comment cela va-t-il, mon enfant ? » ajouta-t-elle en se tournant vers Alice. Toujours aussi mouillĂ©e, » dit Alice tristement. Je ne sĂšche que d’ennui. » Dans ce cas, » dit le Dodo avec emphase, se dressant sur ses pattes, je propose l’ajournement, et l’adoption immĂ©diate de mesures Ă©nergiques. » Parlez français, » dit l’Aiglon ; je ne comprends pas la moitiĂ© de ces grands mots, et, qui plus est, je ne crois pas que vous les compreniez vous-mĂȘme. » L’Aiglon baissa la tĂȘte pour cacher un sourire, et quelques-uns des autres oiseaux ricanĂšrent tout haut. J’allais proposer, » dit le Dodo d’un ton vexĂ©, une course cocasse ; c’est ce que nous pouvons faire de mieux pour nous sĂ©cher. » Qu’est-ce qu’une course cocasse ? » demanda Alice ; non qu’elle tĂźnt beaucoup Ă  le savoir, mais le Dodo avait fait une pause comme s’il s’attendait Ă  ĂȘtre questionnĂ© par quelqu’un, et personne ne semblait disposĂ© Ă  prendre la parole. La meilleure maniĂšre de l’expliquer, » dit le Dodo, c’est de le faire. » Et comme vous pourriez bien, un de ces jours d’hiver, avoir envie de l’essayer, je vais vous dire comment le Dodo s’y prit. D’abord il traça un terrain de course, une espĂšce de cercle Du reste, » disait-il, la forme n’y fait rien » , et les coureurs furent placĂ©s indiffĂ©remment çà et lĂ  sur le terrain. Personne ne cria, Un, deux, trois, en avant ! » mais chacun partit et s’arrĂȘta quand il voulut, de sorte qu’il n’était pas aisĂ© de savoir quand la course finirait. Cependant, au bout d’une demi-heure, tout le monde Ă©tant sec, le Dodo cria tout Ă  coup La course est finie ! » et les voilĂ  tous haletants qui entourent le Dodo et lui demandent Qui a gagnĂ© ? » Cette question donna bien Ă  rĂ©flĂ©chir au Dodo ; il resta longtemps assis, un doigt appuyĂ© sur le front pose ordinaire de Shakespeare dans ses portraits ; tandis que les autres attendaient en silence. Enfin le Dodo dit Tout le monde a gagnĂ©, et tout le monde aura un prix. » Mais qui donnera les prix ? » demandĂšrent-ils tous Ă  la fois. Elle, cela va sans dire, » rĂ©pondit le Dodo, en montrant Alice du doigt, et toute la troupe l’entoura aussitĂŽt en criant confusĂ©ment Les prix ! Les prix ! » Alice ne savait que faire ; pour sortir d’embarras elle mit la main dans sa poche et en tira une boĂźte de dragĂ©es heureusement l’eau salĂ©e n’y avait pas pĂ©nĂ©trĂ© ; puis en donna une en prix Ă  chacun ; il y en eut juste assez pour faire le tour. Mais il faut aussi qu’elle ait un prix, elle, » dit la Souris. Comme de raison, » reprit le Dodo gravement. Avez-vous encore quelque chose dans votre poche ? » continua-t-il en se tournant vers Alice. Un dĂ© ; pas autre chose, » dit Alice d’un ton chagrin. Faites passer, » dit le Dodo. Tous se groupĂšrent de nouveau autour d’Alice, tandis que le Dodo lui prĂ©sentait solennellement le dĂ© en disant Nous vous prions d’accepter ce superbe dĂ©. » Lorsqu’il eut fini ce petit discours, tout le monde cria Hourra ! » Alice trouvait tout cela bien ridicule, mais les autres avaient l’air si grave, qu’elle n’osait pas rire ; aucune rĂ©ponse ne lui venant Ă  l’esprit, elle se contenta de faire la rĂ©vĂ©rence, et prit le dĂ© de son air le plus sĂ©rieux. Il n’y avait plus maintenant qu’à manger les dragĂ©es ; ce qui ne se fit pas sans un peu de bruit et de dĂ©sordre, car les gros oiseaux se plaignirent de n’y trouver aucun goĂ»t, et il fallut taper dans le dos des petits qui Ă©tranglaient. Enfin tout rentra dans le calme. On s’assit en rond autour de la Souris, et on la pria de raconter encore quelque chose. Vous m’avez promis de me raconter votre histoire, » dit Alice, et de m’expliquer pourquoi vous dĂ©testez — les chats et les chiens, » ajouta-t-elle tout bas, craignant encore de dĂ©plaire. La Souris, se tournant vers Alice, soupira et lui dit Mon histoire sera longue et traĂźnante. » Tiens ! tout comme votre queue, » dit Alice, frappĂ©e de la ressemblance, et regardant avec Ă©tonnement la queue de la Souris tandis que celle-ci parlait. Les idĂ©es d’histoire et de queue longue et traĂźnante se brouillaient dans l’esprit d’Alice Ă  peu prĂšs de cette façon — Canichon dit Ă  ï»żla Souris, Qu’il ï»żrencontraï»żdans leï»żlogis ï»ż Je crois ï»żle moment ï»żfort propiceï»żDe te faireï»żaller en justice.ï»żJe ne ï»żdoute pas ï»żdu succĂšsï»żQue doit ï»żavoir ï»żnotre procĂšs.ï»żVite, allons, ï»żcommençons ï»żl’affaire.ï»żCe matin ï»żje n’ai rien ï»żĂ  faire. Â»ï»żLa Souris ï»żdit Ă  ï»żCanichon ï»ż Sans juge ï»żet sans ï»żjurĂ©s, ï»żmon bon ! Â»ï»żMais ï»żCanichon ï»żplein de ï»żmaliceï»żDit ï»ż C’est moi ï»żqui suis ï»żla justice,ï»żEt, que ï»żtu aies ï»żraison ï»żou tort, ï»żJe vais te ï»żcondamner ï»żĂ  mort. » Vous ne m’écoutez pas, » dit la Souris Ă  Alice d’un air sĂ©vĂšre. À quoi pensez-vous donc ? » Pardon, » dit Alice humblement. Vous en Ă©tiez au cinquiĂšme dĂ©tour. » DĂ©tour ! » dit la Souris d’un ton sec. Croyez-vous donc que je manque de vĂ©racitĂ© ? » Des vers Ă  citer ? oh ! je puis vous en fournir quelques-uns ! » dit Alice, toujours prĂȘte Ă  rendre service. On n’a pas besoin de vous, » dit la Souris. C’est m’insulter que de dire de pareilles sottises. » Puis elle se leva pour s’en aller. Je n’avais pas l’intention de vous offenser, » dit Alice d’une voix conciliante. Mais franchement vous ĂȘtes bien susceptible. » La Souris grommela quelque chose entre ses dents et s’éloigna. Revenez, je vous en prie, finissez votre histoire, » lui cria Alice ; et tous les autres dirent en chƓur Oui, nous vous en supplions. » Mais la Souris secouant la tĂȘte ne s’en alla que plus vite. Quel dommage qu’elle ne soit pas restĂ©e ! » dit en soupirant le Lory, sitĂŽt que la Souris eut disparu. Un vieux crabe, profitant de l’occasion, dit Ă  son fils Mon enfant, que cela vous serve de leçon, et vous apprenne Ă  ne vous emporter jamais ! » Taisez-vous donc, papa, » dit le jeune crabe d’un ton aigre. Vous feriez perdre patience Ă  une huĂźtre. » Ah ! si Dinah Ă©tait ici, » dit Alice tout haut sans s’adresser Ă  personne. C’est elle qui l’aurait bientĂŽt ramenĂ©e. » Et qui est Dinah, s’il n’y a pas d’indiscrĂ©tion Ă  le demander ? » dit le Lory. Alice rĂ©pondit avec empressement, car elle Ă©tait toujours prĂȘte Ă  parler de sa favorite Dinah, c’est notre chatte. Si vous saviez comme elle attrape bien les souris ! Et si vous la voyiez courir aprĂšs les oiseaux ; aussitĂŽt vus, aussitĂŽt croquĂ©s. » Ces paroles produisirent un effet singulier sur l’assemblĂ©e. Quelques oiseaux s’enfuirent aussitĂŽt ; une vieille pie s’enveloppant avec soin murmura Il faut vraiment que je rentre chez moi, l’air du soir ne vaut rien pour ma gorge ! » Et un canari cria Ă  ses petits d’une voix tremblante Venez, mes enfants ; il est grand temps que vous vous mettiez au lit ! » Enfin, sous un prĂ©texte ou sous un autre, chacun s’esquiva, et Alice se trouva bientĂŽt seule. Je voudrais bien n’avoir pas parlĂ© de Dinah, » se dit-elle tristement. Personne ne l’aime ici, et pourtant c’est la meilleure chatte du monde ! Oh ! chĂšre Dinah, te reverrai-je jamais ? » Ici la pauvre Alice se reprit Ă  pleurer ; elle se sentait seule, triste, et abattue. Au bout de quelque temps elle entendit au loin un petit bruit de pas ; elle s’empressa de regarder, espĂ©rant que la Souris avait changĂ© d’idĂ©e et revenait finir son histoire. CHAPITRE DU LAPIN BLANC. C’était le Lapin Blanc qui revenait en trottinant, et qui cherchait de tous cĂŽtĂ©s, d’un air inquiet, comme s’il avait perdu quelque chose ; Alice l’entendit qui marmottait La Duchesse ! La Duchesse ! Oh ! mes pauvres pattes ; oh ! ma robe et mes moustaches ! Elle me fera guillotiner aussi vrai que des furets sont des furets ! OĂč pourrais-je bien les avoir perdus ? » Alice devina tout de suite qu’il cherchait l’éventail et la paire de gants paille, et, comme elle avait bon cƓur, elle se mit Ă  les chercher aussi ; mais pas moyen de les trouver. Du reste, depuis son bain dans la mare aux larmes, tout Ă©tait changĂ© la salle, la table de verre, et la petite porte avaient complĂ©tement disparu. BientĂŽt le Lapin aperçut Alice qui furetait ; il lui cria d’un ton d’impatience Eh bien ! Marianne, que faites-vous ici ? Courez vite Ă  la maison me chercher une paire de gants et un Ă©ventail ! Allons, dĂ©pĂȘchons-nous. » Alice eut si grand’ peur qu’elle se mit aussitĂŽt Ă  courir dans la direction qu’il indiquait, sans chercher Ă  lui expliquer qu’il se trompait. Il m’a pris pour sa bonne, » se disait-elle en courant. Comme il sera Ă©tonnĂ© quand il saura qui je suis ! Mais je ferai bien de lui porter ses gants et son Ă©ventail ; c’est-Ă -dire, si je les trouve. » Ce disant, elle arriva en face d’une petite maison, et vit sur la porte une plaque en cuivre avec ces mots, JEAN LAPIN. » Elle monta l’escalier, entra sans frapper, tout en tremblant de rencontrer la vraie Marianne, et d’ĂȘtre mise Ă  la porte avant d’avoir trouvĂ© les gants et l’éventail. Que c’est drĂŽle, » se dit Alice, de faire des commissions pour un lapin ! BientĂŽt ce sera Dinah qui m’enverra en commission. » Elle se prit alors Ă  imaginer comment les choses se passeraient. — Mademoiselle Alice, venez ici tout de suite vous apprĂȘter pour la promenade. » Dans l’instant, ma bonne ! Il faut d’abord que je veille sur ce trou jusqu’à ce que Dinah revienne, pour empĂȘcher que la souris ne sorte. » Mais je ne pense pas, » continua Alice, qu’on garderait Dinah Ă  la maison si elle se mettait dans la tĂȘte de commander comme cela aux gens. » Tout en causant ainsi, Alice Ă©tait entrĂ©e dans une petite chambre bien rangĂ©e, et, comme elle s’y attendait, sur une petite table dans l’embrasure de la fenĂȘtre, elle vit un Ă©ventail et deux ou trois paires de gants de chevreau tout petits. Elle en prit une paire, ainsi que l’éventail, et allait quitter la chambre lorsqu’elle aperçut, prĂšs du miroir, une petite bouteille. Cette fois il n’y avait pas l’inscription BUVEZ-MOI — ce qui n’empĂȘcha pas Alice de la dĂ©boucher et de la porter Ă  ses lĂšvres. Il m’arrive toujours quelque chose d’intĂ©ressant, » se dit-elle, lorsque je mange ou que je bois. Je vais voir un peu l’effet de cette bouteille. J’espĂšre bien qu’elle me fera regrandir, car je suis vraiment fatiguĂ©e de n’ĂȘtre qu’une petite nabote ! » C’est ce qui arriva en effet, et bien plus tĂŽt qu’elle ne s’y attendait. Elle n’avait pas bu la moitiĂ© de la bouteille, que sa tĂȘte touchait au plafond et qu’elle fut forcĂ©e de se baisser pour ne pas se casser le cou. Elle remit bien vite la bouteille sur la table en se disant En voilĂ  assez ; j’espĂšre ne pas grandir davantage. Je ne puis dĂ©jĂ  plus passer par la porte. Oh ! je voudrais bien n’avoir pas tant bu ! » HĂ©las ! il Ă©tait trop tard ; elle grandissait, grandissait, et eut bientĂŽt Ă  se mettre Ă  genoux sur le plancher. Mais un instant aprĂšs, il n’y avait mĂȘme plus assez de place pour rester dans cette position, et elle essaya de se tenir Ă©tendue par terre, un coude contre la porte et l’autre bras passĂ© autour de sa tĂȘte. Cependant, comme elle grandissait toujours, elle fut obligĂ©e, comme derniĂšre ressource, de laisser pendre un de ses bras par la fenĂȘtre et d’enfoncer un pied dans la cheminĂ©e en disant À prĂ©sent c’est tout ce que je peux faire, quoi qu’il arrive. Que vais-je devenir ? » Heureusement pour Alice, la petite bouteille magique avait alors produit tout son effet, et elle cessa de grandir. Cependant sa position Ă©tait bien gĂȘnante, et comme il ne semblait pas y avoir la moindre chance qu’elle pĂ»t jamais sortir de cette chambre, il n’y a pas Ă  s’étonner qu’elle se trouvĂąt bien malheureuse. C’était bien plus agrĂ©able chez nous, » pensa la pauvre enfant. LĂ  du moins je ne passais pas mon temps Ă  grandir et Ă  rapetisser, et je n’étais pas la domestique des lapins et des souris. Je voudrais bien n’ĂȘtre jamais descendue dans ce terrier ; et pourtant c’est assez drĂŽle cette maniĂšre de vivre ! Je suis curieuse de savoir ce que c’est qui m’est arrivĂ©. Autrefois, quand je lisais des contes de fĂ©es, je m’imaginais que rien de tout cela ne pouvait ĂȘtre, et maintenant me voilĂ  en pleine fĂ©erie. On devrait faire un livre sur mes aventures ; il y aurait de quoi ! Quand je serai grande j’en ferai un, moi. — Mais je suis dĂ©jĂ  bien grande ! » dit-elle tristement. Dans tous les cas, il n’y a plus de place ici pour grandir davantage. » Mais alors, » pensa Alice, ne serai-je donc jamais plus vieille que je ne le suis maintenant ? D’un cĂŽtĂ© cela aura ses avantages, ne jamais ĂȘtre une vieille femme. Mais alors avoir toujours des leçons Ă  apprendre ! Oh, je n’aimerais pas cela du tout. » Oh ! Alice, petite folle, » se rĂ©pondit-elle. Comment pourriez-vous apprendre des leçons ici ? Il y a Ă  peine de la place pour vous, et il n’y en a pas du tout pour vos livres de leçons. » Et elle continua ainsi, faisant tantĂŽt les demandes et tantĂŽt les rĂ©ponses, et Ă©tablissant sur ce sujet toute une conversation ; mais au bout de quelques instants elle entendit une voix au dehors, et s’arrĂȘta pour Ă©couter. Marianne ! Marianne ! » criait la voix ; allez chercher mes gants bien vite ! » Puis Alice entendit des piĂ©tinements dans l’escalier. Elle savait que c’était le Lapin qui la cherchait ; elle trembla si fort qu’elle en Ă©branla la maison, oubliant que maintenant elle Ă©tait mille fois plus grande que le Lapin, et n’avait rien Ă  craindre de lui. Le Lapin, arrivĂ© Ă  la porte, essaya de l’ouvrir ; mais, comme elle s’ouvrait en dedans et que le coude d’Alice Ă©tait fortement appuyĂ© contre la porte, la tentative fut vaine. Alice entendit le Lapin qui murmurait C’est bon, je vais faire le tour et j’entrerai par la fenĂȘtre. » Je t’en dĂ©fie ! » pensa Alice. Elle attendit un peu ; puis, quand elle crut que le Lapin Ă©tait sous la fenĂȘtre, elle Ă©tendit le bras tout Ă  coup pour le saisir ; elle ne prit que du vent. Mais elle entendit un petit cri, puis le bruit d’une chute et de vitres cassĂ©es ce qui lui fit penser que le Lapin Ă©tait tombĂ© sur les chĂąssis de quelque serre Ă  concombre, puis une voix colĂšre, celle du Lapin Patrice ! Patrice ! oĂč es-tu ? » Une voix qu’elle ne connaissait pas rĂ©pondit Me v’lĂ , not’ maĂźtre ! J’bĂȘchons la terre pour trouver des pommes ! » Pour trouver des pommes ! » dit le Lapin furieux. Viens m’aider Ă  me tirer d’ici. » Nouveau bruit de vitres cassĂ©es. Dis-moi un peu, Patrice, qu’est-ce qu’il y a lĂ  Ă  la fenĂȘtre ? » Ça, not’ maĂźtre, c’est un bras. » Un bras, imbĂ©cile ! Qui a jamais vu un bras de cette dimension ? Ça bouche toute la fenĂȘtre. » Bien sĂ»r, not’ maĂźtre, mais c’est un bras tout de mĂȘme. » Dans tous les cas il n’a rien Ă  faire ici. EnlĂšve-moi ça bien vite. » Il se fit un long silence, et Alice n’entendait plus que des chuchotements de temps Ă  autre, comme MaĂźtre, j’osons point. » — Fais ce que je te dis, capon ! » Alice Ă©tendit le bras de nouveau comme pour agripper quelque chose ; cette fois il y eut deux petits cris et encore un bruit de vitres cassĂ©es. Que de chĂąssis il doit y avoir lĂ  ! » pensa Alice. Je me demande ce qu’ils vont faire Ă  prĂ©sent. Quant Ă  me retirer par la fenĂȘtre, je le souhaite de tout mon cƓur, car je n’ai pas la moindre envie de rester ici plus longtemps ! » Il se fit quelques instants de silence. À la fin, Alice entendit un bruit de petites roues, puis le son d’un grand nombre de voix ; elle distingua ces mots OĂč est l’autre Ă©chelle ? — Je n’avais point qu’à en apporter une ; c’est Jacques qui a l’autre. — Allons, Jacques, apporte ici, mon garçon ! — Dressez-les lĂ  au coin. — Non, attachez-les d’abord l’une au bout de l’autre. — Elles ne vont pas encore moitiĂ© assez haut. — Ça fera l’affaire ; ne soyez pas si difficile. — Tiens, Jacques, attrape ce bout de corde. — Le toit portera-t-il bien ? — Attention Ă  cette tuile qui ne tient pas. — Bon ! la voilĂ  qui dĂ©gringole. Gare les tĂȘtes ! » Il se fit un grand fracas. Qui a fait cela ? — Je crois bien que c’est Jacques. — Qui est-ce qui va descendre par la cheminĂ©e ? — Pas moi, bien sĂ»r ! Allez-y, vous. — Non pas, vraiment. — C’est Ă  vous, Jacques, Ă  descendre. — HohĂ©, Jacques, not’ maĂźtre dit qu’il faut que tu descendes par la cheminĂ©e ! » Ah ! » se dit Alice, c’est donc Jacques qui va descendre. Il paraĂźt qu’on met tout sur le dos de Jacques. Je ne voudrais pas pour beaucoup ĂȘtre Jacques. Ce foyer est Ă©troit certainement, mais je crois bien que je pourrai tout de mĂȘme lui lancer un coup de pied. » Elle retira son pied aussi bas que possible, et ne bougea plus jusqu’à ce qu’elle entendĂźt le bruit d’un petit animal elle ne pouvait deviner de quelle espĂšce qui grattait et cherchait Ă  descendre dans la cheminĂ©e, juste au-dessus d’elle ; alors se disant VoilĂ  Jacques sans doute, » elle lança un bon coup de pied, et attendit pour voir ce qui allait arriver. La premiĂšre chose qu’elle entendit fut un cri gĂ©nĂ©ral de Tiens, voilĂ  Jacques en l’air ! » Puis la voix du Lapin, qui criait Attrapez-le, vous lĂ -bas, prĂšs de la haie ! » Puis un long silence ; ensuite un mĂ©lange confus de voix Soutenez-lui la tĂȘte. — De l’eau-de-vie maintenant. — Ne le faites pas engouer. — Qu’est-ce donc, vieux camarade ? — Que t’est-il arrivĂ© ? Raconte-nous ça ! » Enfin une petite voix faible et flĂ»tĂ©e se fit entendre. C’est la voix de Jacques, » pensa Alice. Je n’en sais vraiment rien. Merci, c’est assez ; je me sens mieux maintenant ; mais je suis encore trop bouleversĂ© pour vous conter la chose. Tout ce que je sais, c’est que j’ai Ă©tĂ© poussĂ© comme par un ressort, et que je suis parti en l’air comme une fusĂ©e. » Ça, c’est vrai, vieux camarade, » disaient les autres. Il faut mettre le feu Ă  la maison, » dit le Lapin. Alors Alice cria de toutes ses forces Si vous osez faire cela, j’envoie Dinah Ă  votre poursuite. » Il se fit tout Ă  coup un silence de mort. Que vont-ils faire Ă  prĂ©sent ? » pensa Alice. S’ils avaient un peu d’esprit, ils enlĂšveraient le toit. » Quelques minutes aprĂšs, les allĂ©es et venues recommencĂšrent, et Alice entendit le Lapin, qui disait Une brouettĂ©e d’abord, ça suffira. » Une brouettĂ©e de quoi ? » pensa Alice. Il ne lui resta bientĂŽt plus de doute, car, un instant aprĂšs, une grĂȘle de petits cailloux vint battre contre la fenĂȘtre, et quelques-uns mĂȘme l’atteignirent au visage. Je vais bientĂŽt mettre fin Ă  cela, » se dit-elle ; puis elle cria Vous ferez bien de ne pas recommencer. » Ce qui produisit encore un profond silence. Alice remarqua, avec quelque surprise, qu’en tombant sur le plancher les cailloux se changeaient en petits gĂąteaux, et une brillante idĂ©e lui traversa l’esprit. Si je mange un de ces gĂąteaux, » pensa-t-elle, cela ne manquera pas de me faire ou grandir ou rapetisser ; or, je ne puis plus grandir, c’est impossible, donc je rapetisserai ! » Elle avala un des gĂąteaux, et s’aperçut avec joie qu’elle diminuait rapidement. AussitĂŽt qu’elle fut assez petite pour passer par la porte, elle s’échappa de la maison, et trouva toute une foule d’oiseaux et d’autres petits animaux qui attendaient dehors. Le pauvre petit lĂ©zard, Jacques, Ă©tait au milieu d’eux, soutenu par des cochons d’Inde, qui le faisaient boire Ă  une bouteille. Tous se prĂ©cipitĂšrent sur Alice aussitĂŽt qu’elle parut ; mais elle se mit Ă  courir de toutes ses forces, et se trouva bientĂŽt en sĂ»retĂ© dans un bois touffu. La premiĂšre chose que j’aie Ă  faire, » dit Alice en errant çà et lĂ  dans les bois, c’est de revenir Ă  ma premiĂšre grandeur ; la seconde, de chercher un chemin qui me conduise dans ce ravissant jardin. C’est lĂ , je crois, ce que j’ai de mieux Ă  faire ! » En effet c’était un plan de campagne excellent, trĂšs-simple et trĂšs-habilement combinĂ©. Toute la difficultĂ© Ă©tait de savoir comment s’y prendre pour l’exĂ©cuter. Tandis qu’elle regardait en tapinois et avec prĂ©caution Ă  travers les arbres, un petit aboiement sec, juste au-dessus de sa tĂȘte, lui fit tout Ă  coup lever les yeux. Un jeune chien qui lui parut Ă©norme la regardait avec de grands yeux ronds, et Ă©tendait lĂ©gĂšrement la patte pour tĂącher de la toucher. Pauvre petit ! » dit Alice d’une voix caressante et essayant de siffler. Elle avait une peur terrible cependant, car elle pensait qu’il pouvait bien avoir faim, et que dans ce cas il Ă©tait probable qu’il la mangerait, en dĂ©pit de toutes ses cĂąlineries. Sans trop savoir ce qu’elle faisait, elle ramassa une petite baguette et la prĂ©senta au petit chien qui bondit des quatre pattes Ă  la fois, aboyant de joie, et se jeta sur le bĂąton comme pour jouer avec. Alice passa de l’autre cĂŽtĂ© d’un gros chardon pour n’ĂȘtre pas foulĂ©e aux pieds. SitĂŽt qu’elle reparut, le petit chien se prĂ©cipita de nouveau sur le bĂąton, et, dans son empressement de le saisir, butta et fit une cabriole. Mais Alice, trouvant que cela ressemblait beaucoup Ă  une partie qu’elle ferait avec un cheval de charrette, et craignant Ă  chaque instant d’ĂȘtre Ă©crasĂ©e par le chien, se remit Ă  tourner autour du chardon. Alors le petit chien fit une sĂ©rie de charges contre le bĂąton. Il avançait un peu chaque fois, puis reculait bien loin en faisant des aboiements rauques ; puis enfin il se coucha Ă  une grande distance de lĂ , tout haletant, la langue pendante, et ses grands yeux Ă  moitiĂ© fermĂ©s. Alice jugea que le moment Ă©tait venu de s’échapper. Elle prit sa course aussitĂŽt, et ne s’arrĂȘta que lorsqu’elle se sentit fatiguĂ©e et hors d’haleine, et qu’elle n’entendit plus que faiblement dans le lointain les aboiements du petit chien. C’était pourtant un bien joli petit chien, » dit Alice, en s’appuyant sur un bouton d’or pour se reposer, et en s’éventant avec une des feuilles de la plante. Je lui aurais volontiers enseignĂ© tout plein de jolis tours si — si j’avais Ă©tĂ© assez grande pour cela ! Oh ! mais j’oubliais que j’avais encore Ă  grandir ! Voyons. Comment faire ? Je devrais sans doute boire ou manger quelque chose ; mais quoi ? VoilĂ  la grande question. » En effet, la grande question Ă©tait bien de savoir quoi ? Alice regarda tout autour d’elle les fleurs et les brins d’herbes ; mais elle ne vit rien qui lui parĂ»t bon Ă  boire ou Ă  manger dans les circonstances prĂ©sentes. PrĂšs d’elle poussait un large champignon, Ă  peu prĂšs haut comme elle. Lorsqu’elle l’eut examinĂ© par-dessous, d’un cĂŽtĂ© et de l’autre, par-devant et par-derriĂšre, l’idĂ©e lui vint qu’elle ferait bien de regarder ce qu’il y avait dessus. Elle se dressa sur la pointe des pieds, et, glissant les yeux par-dessus le bord du champignon, ses regards rencontrĂšrent ceux d’une grosse chenille bleue assise au sommet, les bras croisĂ©s, fumant tranquillement une longue pipe turque sans faire la moindre attention Ă  elle ni Ă  quoi que ce fĂ»t. CHAPITRE D’UNE CHENILLE. La Chenille et Alice se considĂ©rĂšrent un instant en silence. Enfin la Chenille sortit le houka de sa bouche, et lui adressa la parole d’une voix endormie et traĂźnante. Qui ĂȘtes-vous ? » dit la Chenille. Ce n’était pas lĂ  une maniĂšre encourageante d’entamer la conversation. Alice rĂ©pondit, un peu confuse Je — je le sais Ă  peine moi-mĂȘme quant Ă  prĂ©sent. Je sais bien ce que j’étais en me levant ce matin, mais je crois avoir changĂ© plusieurs fois depuis. » Qu’entendez-vous par lĂ  ? » dit la Chenille d’un ton sĂ©vĂšre. Expliquez-vous. » Je crains bien de ne pouvoir pas m’expliquer, » dit Alice, car, voyez-vous, je ne suis plus moi-mĂȘme. » Je ne vois pas du tout, » rĂ©pondit la Chenille. J’ai bien peur de ne pouvoir pas dire les choses plus clairement, » rĂ©pliqua Alice fort poliment ; car d’abord je n’y comprends rien moi-mĂȘme. Grandir et rapetisser si souvent en un seul jour, cela embrouille un peu les idĂ©es. » Pas du tout, » dit la Chenille. Peut-ĂȘtre ne vous en ĂȘtes-vous pas encore aperçue, » dit Alice. Mais quand vous deviendrez chrysalide, car c’est ce qui vous arrivera, sachez-le bien, et ensuite papillon, je crois bien que vous vous sentirez un peu drĂŽle, qu’en dites-vous ? » Pas du tout, » dit la Chenille. Vos sensations sont peut-ĂȘtre diffĂ©rentes des miennes, » dit Alice. Tout ce que je sais, c’est que cela me semblerait bien drĂŽle Ă  moi. » À vous ! » dit la Chenille d’un ton de mĂ©pris. Qui ĂȘtes-vous ? » Cette question les ramena au commencement de la conversation. Alice, un peu irritĂ©e du parler bref de la Chenille, se redressa de toute sa hauteur et rĂ©pondit bien gravement Il me semble que vous devriez d’abord me dire qui vous ĂȘtes vous-mĂȘme. » Pourquoi ? » dit la Chenille. C’était encore lĂ  une question bien embarrassante ; et comme Alice ne trouvait pas de bonne raison Ă  donner, et que la Chenille avait l’air de trĂšs-mauvaise humeur, Alice lui tourna le dos et s’éloigna. Revenez, » lui cria la Chenille. J’ai quelque chose d’important Ă  vous dire ! » L’invitation Ă©tait engageante assurĂ©ment ; Alice revint sur ses pas. Ne vous emportez pas, » dit la Chenille. Est-ce tout ? » dit Alice, cherchant Ă  retenir sa colĂšre. Non, » rĂ©pondit la Chenille. Alice pensa qu’elle ferait tout aussi bien d’attendre, et qu’aprĂšs tout la Chenille lui dirait peut-ĂȘtre quelque chose de bon Ă  savoir. La Chenille continua de fumer pendant quelques minutes sans rien dire. Puis, retirant enfin la pipe de sa bouche, elle se croisa les bras et dit Ainsi vous vous figurez que vous ĂȘtes changĂ©e, hein ? » Je le crains bien, » dit Alice. Je ne peux plus me souvenir des choses comme autrefois, et je ne reste pas dix minutes de suite de la mĂȘme grandeur ! » De quoi est-ce que vous ne pouvez pas vous souvenir ? » dit la Chenille. J’ai essayĂ© de rĂ©citer la fable de MaĂźtre Corbeau, mais ce n’était plus la mĂȘme chose, » rĂ©pondit Alice d’un ton chagrin. RĂ©citez Vous ĂȘtes vieux, PĂšre Guillaume, » » dit la Chenille. Alice croisa les mains et commença Vous ĂȘtes vieux, PĂšre avez des cheveux tout gris
La tĂȘte en bas ! PĂšre Guillaume ;À votre Ăąge, c’est peu permis !— Étant jeune, pour ma cervelleJe craignais fort, mon cher enfant ;Je n’en ai plus une parcelle,J’en suis bien certain maintenant. — Vous ĂȘtes vieux, je vous l’ai dit,Mais comment donc par cette porte,Vous, dont la taille est comme un muid !Cabriolez-vous de la sorte ?— Étant jeune, mon cher enfant,J’avais chaque jointure bonne ;Je me frottais de cet onguent ;Si vous payez je vous en donne. — Vous ĂȘtes vieux, et vous mangezLes os comme de la bouillie ;Et jamais rien ne me faites-vous, je vous prie ?— Étant jeune, je disputaisTous les jours avec votre mĂšre ;C’est ainsi que je me suis faitUn si puissant os maxillaire. — Vous ĂȘtes vieux, par quelle adresseTenez-vous debout sur le nezUne anguille qui se redresseDroit comme un I quand vous sifflez ?— Cette question est trop sotte !Cessez de babiller ainsi,Ou je vais, du bout de ma botte,Vous envoyer bien loin d’ici. » Ce n’est pas cela, » dit la Chenille. Pas tout Ă  fait, je le crains bien, » dit Alice timidement. Tous les mots ne sont pas les mĂȘmes. » C’est tout de travers d’un bout Ă  l’autre, » dit la Chenille d’un ton dĂ©cidĂ© ; et il se fit un silence de quelques minutes. La Chenille fut la premiĂšre Ă  reprendre la parole. De quelle grandeur voulez-vous ĂȘtre ? » demanda-t-elle. Oh ! je ne suis pas difficile, quant Ă  la taille, » reprit vivement Alice. Mais vous comprenez bien qu’on n’aime pas Ă  en changer si souvent. » Je ne comprends pas du tout, » dit la Chenille. Alice se tut ; elle n’avait jamais de sa vie Ă©tĂ© si souvent contredite, et elle sentait qu’elle allait perdre patience. Êtes-vous satisfaite maintenant ? » dit la Chenille. J’aimerais bien Ă  ĂȘtre un petit peu plus grande, si cela vous Ă©tait Ă©gal, » dit Alice. Trois pouces de haut, c’est si peu ! » C’est une trĂšs-belle taille, » dit la Chenille en colĂšre, se dressant de toute sa hauteur. Elle avait tout juste trois pouces de haut. Mais je n’y suis pas habituĂ©e, » rĂ©pliqua Alice d’un ton piteux, et elle fit cette rĂ©flexion Je voudrais bien que ces gens-lĂ  ne fussent pas si susceptibles. » Vous finirez par vous y habituer, » dit la Chenille. Elle remit la pipe Ă  sa bouche, et fuma de plus belle. Cette fois Alice attendit patiemment qu’elle se dĂ©cidĂąt Ă  parler. Au bout de deux ou trois minutes la Chenille sortit le houka de sa bouche, bĂąilla une ou deux fois et se secoua ; puis elle descendit de dessus le champignon, glissa dans le gazon, et dit tout simplement en s’en allant Un cĂŽtĂ© vous fera grandir, et l’autre vous fera rapetisser. » Un cĂŽtĂ© de quoi, l’autre cĂŽtĂ© de quoi ? » pensa Alice. Du champignon, » dit la Chenille, comme si Alice avait parlĂ© tout haut ; et un moment aprĂšs la Chenille avait disparu. Alice contempla le champignon d’un air pensif pendant un instant, essayant de deviner quels en Ă©taient les cĂŽtĂ©s ; et comme le champignon Ă©tait tout rond, elle trouva la question fort embarrassante. Enfin elle Ă©tendit ses bras tout autour, en les allongeant autant que possible, et, de chaque main, enleva une petite partie du bord du champignon. Maintenant, lequel des deux ? » se dit-elle, et elle grignota un peu du morceau de la main droite pour voir quel effet il produirait. Presque aussitĂŽt elle reçut un coup violent sous le menton ; il venait de frapper contre son pied. Ce brusque changement lui fit grand’ peur, mais elle comprit qu’il n’y avait pas de temps Ă  perdre, car elle diminuait rapidement. Elle se mit donc bien vite Ă  manger un peu de l’autre morceau. Son menton Ă©tait si rapprochĂ© de son pied qu’il y avait Ă  peine assez de place pour qu’elle pĂ»t ouvrir la bouche. Elle y rĂ©ussit enfin, et parvint Ă  avaler une partie du morceau de la main gauche. VoilĂ  enfin ma tĂȘte libre, » dit Alice d’un ton joyeux qui se changea bientĂŽt en cris d’épouvante, quand elle s’aperçut de l’absence de ses Ă©paules. Tout ce qu’elle pouvait voir en regardant en bas, c’était un cou long Ă  n’en plus finir qui semblait se dresser comme une tige, du milieu d’un ocĂ©an de verdure s’étendant bien loin au-dessous d’elle, Qu’est-ce que c’est que toute cette verdure ? » dit Alice. Et oĂč donc sont mes Ă©paules ? Oh ! mes pauvres mains ! Comment se fait-il que je ne puis vous voir ? » Tout en parlant elle agitait les mains, mais il n’en rĂ©sulta qu’un petit mouvement au loin parmi les feuilles vertes. Comme elle ne trouvait pas le moyen de porter ses mains Ă  sa tĂȘte, elle tĂącha de porter sa tĂȘte Ă  ses mains, et s’aperçut avec joie que son cou se repliait avec aisance de tous cĂŽtĂ©s comme un serpent. Elle venait de rĂ©ussir Ă  le plier en un gracieux zigzag, et allait plonger parmi les feuilles, qui Ă©taient tout simplement le haut des arbres sous lesquels elle avait errĂ©, quand un sifflement aigu la força de reculer promptement ; un gros pigeon venait de lui voler Ă  la figure, et lui donnait de grands coups d’ailes. Serpent ! » criait le Pigeon. Je ne suis pas un serpent, » dit Alice, avec indignation. Laissez-moi tranquille. » Serpent ! Je le rĂ©pĂšte, » dit le Pigeon, mais d’un ton plus doux ; puis il continua avec une espĂšce de sanglot J’ai essayĂ© de toutes les façons, rien ne semble les satisfaire. » Je n’ai pas la moindre idĂ©e de ce que vous voulez dire, » rĂ©pondit Alice. J’ai essayĂ© des racines d’arbres ; j’ai essayĂ© des talus ; j’ai essayĂ© des haies, » continua le Pigeon sans faire attention Ă  elle. Mais ces serpents ! il n’y a pas moyen de les satisfaire. » Alice Ă©tait de plus en plus intriguĂ©e, mais elle pensa que ce n’était pas la peine de rien dire avant que le Pigeon eĂ»t fini de parler. Je n’ai donc pas assez de mal Ă  couver mes Ɠufs, » dit le Pigeon. Il faut encore que je guette les serpents nuit et jour. Je n’ai pas fermĂ© l’Ɠil depuis trois semaines ! » Je suis fĂąchĂ©e que vous ayez Ă©tĂ© tourmentĂ©, » dit Alice, qui commençait Ă  comprendre. Au moment oĂč je venais de choisir l’arbre le plus haut de la forĂȘt, » continua le Pigeon en Ă©levant la voix jusqu’à crier, — au moment oĂč je me figurais que j’allais en ĂȘtre enfin dĂ©barrassĂ©, les voilĂ  qui tombent du ciel en replis tortueux. » Oh ! le vilain serpent ! » Mais je ne suis pas un serpent, » dit Alice. Je suis une — Je suis — » Eh bien ! qu’ĂȘtes-vous ! » dit le Pigeon Je vois que vous cherchez Ă  inventer quelque chose. » Je — je suis une petite fille, » rĂ©pondit Alice avec quelque hĂ©sitation, car elle se rappelait combien de changements elle avait Ă©prouvĂ©s ce jour-lĂ . VoilĂ  une histoire bien vraisemblable ! » dit le Pigeon d’un air de profond mĂ©pris. J’ai vu bien des petites filles dans mon temps, mais je n’en ai jamais vu avec un cou comme cela. Non, non ; vous ĂȘtes un serpent ; il est inutile de le nier. Vous allez sans doute me dire que vous n’avez jamais mangĂ© d’Ɠufs. » Si fait, j’ai mangĂ© des Ɠufs, » dit Alice, qui ne savait pas mentir ; mais vous savez que les petites filles mangent des Ɠufs aussi bien que les serpents. » Je n’en crois rien, » dit le Pigeon, mais s’il en est ainsi, elles sont une espĂšce de serpent ; c’est tout ce que j’ai Ă  vous dire. » Cette idĂ©e Ă©tait si nouvelle pour Alice qu’elle resta muette pendant une ou deux minutes, ce qui donna au Pigeon le temps d’ajouter Vous cherchez des Ɠufs, ça j’en suis bien sĂ»r, et alors que m’importe que vous soyez une petite fille ou un serpent ? » Cela m’importe beaucoup Ă  moi, » dit Alice vivement ; mais je ne cherche pas d’Ɠufs justement, et quand mĂȘme j’en chercherais je ne voudrais pas des vĂŽtres ; je ne les aime pas crus. » Eh bien ! allez-vous-en alors, » dit le Pigeon d’un ton boudeur en se remettant dans son nid. Alice se glissa parmi les arbres du mieux qu’elle put en se baissant, car son cou s’entortillait dans les branches, et Ă  chaque instant il lui fallait s’arrĂȘter et le dĂ©sentortiller. Au bout de quelque temps, elle se rappela qu’elle tenait encore dans ses mains les morceaux de champignon, et elle se mit Ă  l’Ɠuvre avec grand soin, grignotant tantĂŽt l’un, tantĂŽt l’autre, et tantĂŽt grandissant, tantĂŽt rapetissant, jusqu’à ce qu’enfin elle parvint Ă  se ramener Ă  sa grandeur naturelle. Il y avait si longtemps qu’elle n’avait Ă©tĂ© d’une taille raisonnable que cela lui parut d’abord tout drĂŽle, mais elle finit par s’y accoutumer, et commença Ă  se parler Ă  elle-mĂȘme, comme d’habitude. Allons, voilĂ  maintenant la moitiĂ© de mon projet exĂ©cutĂ©. Comme tous ces changements sont embarrassants ! Je ne suis jamais sĂ»re de ce que je vais devenir d’une minute Ă  l’autre. Toutefois, je suis redevenue de la bonne grandeur ; il me reste maintenant Ă  pĂ©nĂ©trer dans ce magnifique jardin. Comment faire ? » En disant ces mots elle arriva tout Ă  coup Ă  une clairiĂšre, oĂč se trouvait une maison d’environ quatre pieds de haut. Quels que soient les gens qui demeurent lĂ , » pensa Alice, il ne serait pas raisonnable de se prĂ©senter Ă  eux grande comme je suis. Ils deviendraient fous de frayeur. » Elle se mit de nouveau Ă  grignoter le morceau qu’elle tenait dans sa main droite, et ne s’aventura pas prĂšs de la maison avant d’avoir rĂ©duit sa taille Ă  neuf pouces. CHAPITRE ET POIVRE. Alice resta une ou deux minutes Ă  regarder Ă  la porte ; elle se demandait ce qu’il fallait faire, quand tout Ă  coup un laquais en livrĂ©e sortit du bois en courant. Elle le prit pour un laquais Ă  cause de sa livrĂ©e ; sans cela, Ă  n’en juger que par la figure, elle l’aurait pris pour un poisson. Il frappa fortement avec son doigt Ă  la porte. Elle fut ouverte par un autre laquais en livrĂ©e qui avait la face toute ronde et de gros yeux comme une grenouille. Alice remarqua que les deux laquais avaient les cheveux poudrĂ©s et tout frisĂ©s. Elle se sentit piquĂ©e de curiositĂ©, et, voulant savoir ce que tout cela signifiait, elle se glissa un peu en dehors du bois afin d’écouter. Le Laquais-Poisson prit de dessous son bras une lettre Ă©norme, presque aussi grande que lui, et la prĂ©senta au Laquais-Grenouille en disant d’un ton solennel Pour Madame la Duchesse, une invitation de la Reine Ă  une partie de croquet. » Le Laquais-Grenouille rĂ©pĂ©ta sur le mĂȘme ton solennel, en changeant un peu l’ordre des mots De la part de la Reine une invitation pour Madame la Duchesse Ă  une partie de croquet ; » puis tous deux se firent un profond salut et les boucles de leurs chevelures s’entremĂȘlĂšrent. Cela fit tellement rire Alice qu’elle eut Ă  rentrer bien vite dans le bois de peur d’ĂȘtre entendue ; et quand elle avança la tĂȘte pour regarder de nouveau, le Laquais-Poisson Ă©tait parti, et l’autre Ă©tait assis par terre prĂšs de la route, regardant niaisement en l’air. Alice s’approcha timidement de la porte et frappa. Cela ne sert Ă  rien du tout de frapper, » dit le Laquais, et cela pour deux raisons premiĂšrement, parce que je suis du mĂȘme cĂŽtĂ© de la porte que vous ; deuxiĂšmement, parce qu’on fait lĂ -dedans un tel bruit que personne ne peut vous entendre. » En effet, il se faisait dans l’intĂ©rieur un bruit extraordinaire, des hurlements et des Ă©ternuements continuels, et de temps Ă  autre un grand fracas comme si on brisait de la vaisselle. Eh bien ! comment puis-je entrer, s’il vous plaĂźt ? » demanda Alice. Il y aurait quelque bon sens Ă  frapper Ă  cette porte, » continua le Laquais sans l’écouter, si nous avions la porte entre nous deux. Par exemple, si vous Ă©tiez Ă  l’intĂ©rieur vous pourriez frapper et je pourrais vous laisser sortir. » Il regardait en l’air tout le temps qu’il parlait, et Alice trouvait cela trĂšs-impoli. Mais peut-ĂȘtre ne peut-il pas s’en empĂȘcher, » dit-elle ; il a les yeux presque sur le sommet de la tĂȘte. Dans tous les cas il pourrait bien rĂ©pondre Ă  mes questions. — Comment faire pour entrer ? » rĂ©pĂ©ta-t-elle tout haut. Je vais rester assis ici, » dit le Laquais, jusqu’à demain — » Au mĂȘme instant la porte de la maison s’ouvrit, et une grande assiette vola tout droit dans la direction de la tĂȘte du Laquais ; elle lui effleura le nez, et alla se briser contre un arbre derriĂšre lui. — ou le jour suivant peut-ĂȘtre, » continua le Laquais sur le mĂȘme ton, tout comme si rien n’était arrivĂ©. Comment faire pour entrer ? » redemanda Alice en Ă©levant la voix. Mais devriez-vous entrer ? » dit le Laquais. C’est ce qu’il faut se demander, n’est-ce pas ? » Bien certainement, mais Alice trouva mauvais qu’on le lui dĂźt. C’est vraiment terrible, » murmura-t-elle, de voir la maniĂšre dont ces gens-lĂ  discutent, il y a de quoi rendre fou. » Le Laquais trouva l’occasion bonne pour rĂ©pĂ©ter son observation avec des variantes. Je resterai assis ici, » dit-il, l’un dans l’autre, pendant des jours et des jours ! » Mais que faut-il que je fasse ? » dit Alice. Tout ce que vous voudrez, » dit le Laquais ; et il se mit Ă  siffler. Oh ! ce n’est pas la peine de lui parler, » dit Alice, dĂ©sespĂ©rĂ©e ; c’est un parfait idiot. » Puis elle ouvrit la porte et entra. La porte donnait sur une grande cuisine qui Ă©tait pleine de fumĂ©e d’un bout Ă  l’autre. La Duchesse Ă©tait assise sur un tabouret Ă  trois pieds, au milieu de la cuisine, et dorlotait un bĂ©bĂ© ; la cuisiniĂšre, penchĂ©e sur le feu, brassait quelque chose dans un grand chaudron qui paraissait rempli de soupe. Bien sĂ»r, il y a trop de poivre dans la soupe, » se dit Alice, tout empĂȘchĂ©e par les Ă©ternuements. Il y en avait certainement trop dans l’air. La Duchesse elle-mĂȘme Ă©ternuait de temps en temps, et quant au bĂ©bĂ© il Ă©ternuait et hurlait alternativement sans aucune interruption. Les deux seules crĂ©atures qui n’éternuassent pas, Ă©taient la cuisiniĂšre et un gros chat assis sur l’ñtre et dont la bouche grimaçante Ă©tait fendue d’une oreille Ă  l’autre. Pourriez-vous m’apprendre, » dit Alice un peu timidement, car elle ne savait pas s’il Ă©tait bien convenable qu’elle parlĂąt la premiĂšre, pourquoi votre chat grimace ainsi ? » C’est un Grimaçon, » dit la Duchesse ; voilĂ  pourquoi. — Porc ! » Elle prononça ce dernier mot si fort et si subitement qu’Alice en frĂ©mit. Mais elle comprit bientĂŽt que cela s’adressait au bĂ©bĂ© et non pas Ă  elle ; elle reprit donc courage et continua J’ignorais qu’il y eĂ»t des chats de cette espĂšce. Au fait j’ignorais qu’un chat pĂ»t grimacer. » Ils le peuvent tous, » dit la Duchesse ; et la plupart le font. » Je n’en connais pas un qui grimace, » dit Alice poliment, bien contente d’ĂȘtre entrĂ©e en conversation. Le fait est que vous ne savez pas grand’chose, » dit la Duchesse. Le ton sur lequel fut faite cette observation ne plut pas du tout Ă  Alice, et elle pensa qu’il serait bon de changer la conversation. Tandis qu’elle cherchait un autre sujet, la cuisiniĂšre retira de dessus le feu le chaudron plein de soupe, et se mit aussitĂŽt Ă  jeter tout ce qui lui tomba sous la main Ă  la Duchesse et au bĂ©bĂ© — la pelle et les pincettes d’abord, Ă  leur suite vint une pluie de casseroles, d’assiettes et de plats. La Duchesse n’y faisait pas la moindre attention, mĂȘme quand elle en Ă©tait atteinte, et l’enfant hurlait dĂ©jĂ  si fort auparavant qu’il Ă©tait impossible de savoir si les coups lui faisaient mal ou non. Oh ! je vous en prie, prenez garde Ă  ce que vous faites, » criait Alice, sautant çà et lĂ  et en proie Ă  la terreur. Oh ! son cher petit nez ! » Une casserole d’une grandeur peu ordinaire venait de voler tout prĂšs du bĂ©bĂ©, et avait failli lui emporter le nez. Si chacun s’occupait de ses affaires, » dit la Duchesse avec un grognement rauque, le monde n’en irait que mieux. » Ce qui ne serait guĂšre avantageux, » dit Alice, enchantĂ©e qu’il se prĂ©sentĂąt une occasion de montrer un peu de son savoir. Songez Ă  ce que deviendraient le jour et la nuit ; vous voyez bien, la terre met vingt-quatre heures Ă  faire sa rĂ©volution. » Ah ! vous parlez de faire des rĂ©volutions ! » dit la Duchesse. Qu’on lui coupe la tĂȘte ! » Alice jeta un regard inquiet sur la cuisiniĂšre pour voir si elle allait obĂ©ir ; mais la cuisiniĂšre Ă©tait tout occupĂ©e Ă  brasser la soupe et paraissait ne pas Ă©couter. Alice continua donc Vingt-quatre heures, je crois, ou bien douze ? Je pense — » Oh ! laissez-moi la paix, » dit la Duchesse, je n’ai jamais pu souffrir les chiffres. » Et lĂ -dessus elle recommença Ă  dorloter son enfant, lui chantant une espĂšce de chanson pour l’endormir et lui donnant une forte secousse au bout de chaque vers. Grondez-moi ce vilain garçon ! Battez-le quand il Ă©ternue ; À vous taquiner, sans façon Le mĂ©chant enfant s’évertue. » Refrain que reprirent en chƓur la cuisiniĂšre et le bĂ©bĂ©. Brou, Brou, Brou ! » bis. En chantant le second couplet de la chanson la Duchesse faisait sauter le bĂ©bĂ© et le secouait violemment, si bien que le pauvre petit ĂȘtre hurlait au point qu’Alice put Ă  peine entendre ces mots Oui, oui, je m’en vais le gronder, Et le battre, s’il Ă©ternue ; Car bientĂŽt Ă  savoir poivrer, Je veux que l’enfant s’habitue. » Refrain. Brou, Brou, Brou ! » bis. Tenez, vous pouvez le dorloter si vous voulez ! » dit la Duchesse Ă  Alice et Ă  ces mots elle lui jeta le bĂ©bĂ©. Il faut que j’aille m’apprĂȘter pour aller jouer au croquet avec la Reine. » Et elle se prĂ©cipita hors de la chambre. La cuisiniĂšre lui lança une poĂȘle comme elle s’en allait, mais elle la manqua tout juste. Alice eut de la peine Ă  attraper le bĂ©bĂ©. C’était un petit ĂȘtre d’une forme Ă©trange qui tenait ses bras et ses jambes Ă©tendus dans toutes les directions ; Tout comme une Ă©toile de mer, » pensait Alice. La pauvre petite crĂ©ature ronflait comme une machine Ă  vapeur lorsqu’elle l’attrapa, et ne cessait de se plier en deux, puis de s’étendre tout droit, de sorte qu’avec tout cela, pendant les premiers instants, c’est tout ce qu’elle pouvait faire que de le tenir. SitĂŽt qu’elle eut trouvĂ© le bon moyen de le bercer, qui Ă©tait d’en faire une espĂšce de nƓud, et puis de le tenir fermement par l’oreille droite et le pied gauche afin de l’empĂȘcher de se dĂ©nouer, elle le porta dehors en plein air. Si je n’emporte pas cet enfant avec moi, » pensa Alice, ils le tueront bien sĂ»r un de ces jours. Ne serait-ce pas un meurtre de l’abandonner ? » Elle dit ces derniers mots Ă  haute voix, et la petite crĂ©ature rĂ©pondit en grognant elle avait cessĂ© d’éternuer alors. Ne grogne pas ainsi, » dit Alice ; ce n’est pas lĂ  du tout une bonne maniĂšre de s’exprimer. » Le bĂ©bĂ© grogna de nouveau. Alice le regarda au visage avec inquiĂ©tude pour voir ce qu’il avait. Sans contredit son nez Ă©tait trĂšs-retroussĂ©, et ressemblait bien plutĂŽt Ă  un groin qu’à un vrai nez. Ses yeux aussi devenaient trĂšs-petits pour un bĂ©bĂ©. Enfin Alice ne trouva pas du tout de son goĂ»t l’aspect de ce petit ĂȘtre. Mais peut-ĂȘtre sanglotait-il tout simplement, » pensa-t-elle, et elle regarda de nouveau les yeux du bĂ©bĂ© pour voir s’il n’y avait pas de larmes. Si tu vas te changer en porc, » dit Alice trĂšs-sĂ©rieusement, je ne veux plus rien avoir Ă  faire avec toi. Fais-y bien attention ! » La pauvre petite crĂ©ature sanglota de nouveau, ou grogna il Ă©tait impossible de savoir lequel des deux, et ils continuĂšrent leur chemin un instant en silence. Alice commençait Ă  dire en elle-mĂȘme, Mais, que faire de cette crĂ©ature quand je l’aurai portĂ©e Ă  la maison ? » lorsqu’il grogna de nouveau si fort qu’elle regarda sa figure avec quelque inquiĂ©tude. Cette fois il n’y avait pas Ă  s’y tromper, c’était un porc, ni plus ni moins, et elle comprit qu’il serait ridicule de le porter plus loin. Elle dĂ©posa donc par terre le petit animal, et se sentit toute soulagĂ©e de le voir trotter tranquillement vers le bois. S’il avait grandi, » se dit-elle, il serait devenu un bien vilain enfant ; tandis qu’il fait un assez joli petit porc, il me semble. » Alors elle se mit Ă  penser Ă  d’autres enfants qu’elle connaissait et qui feraient d’assez jolis porcs, si seulement on savait la maniĂšre de s’y prendre pour les mĂ©tamorphoser. Elle Ă©tait en train de faire ces rĂ©flexions, lorsqu’elle tressaillit en voyant tout Ă  coup le Chat assis Ă  quelques pas de lĂ  sur la branche d’un arbre. Le Chat grimaça en apercevant Alice. Elle trouva qu’il avait l’air bon enfant, et cependant il avait de trĂšs-longues griffes et une grande rangĂ©e de dents ; aussi comprit-elle qu’il fallait le traiter avec respect. Grimaçon ! » commença-t-elle un peu timidement, ne sachant pas du tout si cette familiaritĂ© lui serait agrĂ©able ; toutefois il ne fit qu’allonger sa grimace. Allons, il est content jusqu’à prĂ©sent, » pensa Alice, et elle continua Dites-moi, je vous prie, de quel cĂŽtĂ© faut-il me diriger ? » Cela dĂ©pend beaucoup de l’endroit oĂč vous voulez aller, » dit le Chat. Cela m’est assez indiffĂ©rent, » dit Alice. Alors peu importe de quel cĂŽtĂ© vous irez, » dit le Chat. Pourvu que j’arrive quelque part, » ajouta Alice en explication. Cela ne peut manquer, pourvu que vous marchiez assez longtemps. » Alice comprit que cela Ă©tait incontestable ; elle essaya donc d’une autre question Quels sont les gens qui demeurent par ici ? » De ce cĂŽtĂ©-ci, » dit le Chat, dĂ©crivant un cercle avec sa patte droite, demeure un chapelier ; de ce cĂŽtĂ©-lĂ , » faisant de mĂȘme avec sa patte gauche, demeure un liĂšvre. Allez voir celui que vous voudrez, tous deux sont fous. » Mais je ne veux pas frĂ©quenter des fous, » fit observer Alice. Vous ne pouvez pas vous en dĂ©fendre, tout le monde est fou ici. Je suis fou, vous ĂȘtes folle. » Comment savez-vous que je suis folle ? » dit Alice. Vous devez l’ĂȘtre, » dit le Chat, sans cela ne seriez pas venue ici. » Alice pensa que cela ne prouvait rien. Toutefois elle continua Et comment savez-vous que vous ĂȘtes fou ? » D’abord, » dit le Chat, un chien n’est pas fou ; vous convenez de cela. » Je le suppose, » dit Alice. Eh bien ! » continua le Chat, un chien grogne quand il se fĂąche, et remue la queue lorsqu’il est content. Or, moi, je grogne quand je suis content, et je remue la queue quand je me fĂąche. Donc je suis fou. » J’appelle cela faire le rouet, et non pas grogner, » dit Alice. Appelez cela comme vous voudrez, » dit le Chat. Jouez-vous au croquet avec la Reine aujourd’hui ? » Cela me ferait grand plaisir, » dit Alice, mais je n’ai pas Ă©tĂ© invitĂ©e. » Vous m’y verrez, » dit le Chat ; et il disparut. Alice ne fut pas trĂšs-Ă©tonnĂ©e, tant elle commençait Ă  s’habituer aux Ă©vĂ©nements extraordinaires. Tandis qu’elle regardait encore l’endroit que le Chat venait de quitter, il reparut tout Ă  coup. À propos, qu’est devenu le bĂ©bĂ© ? J’allais oublier de le demander. » Il a Ă©tĂ© changĂ© en porc, » dit tranquillement Alice, comme si le Chat Ă©tait revenu d’une maniĂšre naturelle. Je m’en doutais, » dit le Chat ; et il disparut de nouveau. Alice attendit quelques instants, espĂ©rant presque le revoir, mais il ne reparut pas ; et une ou deux minutes aprĂšs, elle continua son chemin dans la direction oĂč on lui avait dit que demeurait le LiĂšvre. J’ai dĂ©jĂ  vu des chapeliers, » se dit-elle ; le LiĂšvre sera de beaucoup le plus intĂ©ressant. » À ces mots elle leva les yeux, et voilĂ  que le Chat Ă©tait encore lĂ  assis sur une branche d’arbre. M’avez-vous dit porc, ou porte ? » demanda le Chat. J’ai dit porc, » rĂ©pĂ©ta Alice. Ne vous amusez donc pas Ă  paraĂźtre et Ă  disparaĂźtre si subitement, vous faites tourner la tĂȘte aux gens. » C’est bon, » dit le Chat, et cette fois il s’évanouit tout doucement Ă  commencer par le bout de la queue, et finissant par sa grimace qui demeura quelque temps aprĂšs que le reste fut disparu. Certes, » pensa Alice, j’ai souvent vu un chat sans grimace, mais une grimace sans chat, je n’ai jamais de ma vie rien vu de si drĂŽle. » Elle ne fit pas beaucoup de chemin avant d’arriver devant la maison du LiĂšvre. Elle pensa que ce devait bien ĂȘtre lĂ  la maison, car les cheminĂ©es Ă©taient en forme d’oreilles et le toit Ă©tait couvert de fourrure. La maison Ă©tait si grande qu’elle n’osa s’approcher avant d’avoir grignotĂ© encore un peu du morceau de champignon qu’elle avait dans la main gauche, et d’avoir atteint la taille de deux pieds environ ; et mĂȘme alors elle avança timidement en se disant Si aprĂšs tout il Ă©tait fou furieux ! Je voudrais presque avoir Ă©tĂ© faire visite au Chapelier plutĂŽt que d’ĂȘtre venue ici. » CHAPITRE THÉ DE FOUS. Il y avait une table servie sous un arbre devant la maison, et le LiĂšvre y prenait le thĂ© avec le Chapelier. Un Loir profondĂ©ment endormi Ă©tait assis entre les deux autres qui s’en servaient comme d’un coussin, le coude appuyĂ© sur lui et causant par-dessus sa tĂȘte. Bien gĂȘnant pour le Loir, » pensa Alice. Mais comme il est endormi je suppose que cela lui est Ă©gal. » Bien que la table fĂ»t trĂšs-grande, ils Ă©taient tous trois serrĂ©s l’un contre l’autre Ă  un des coins. Il n’y a pas de place ! Il n’y a pas de place ! » criĂšrent-ils en voyant Alice. Il y a abondance de place, » dit Alice indignĂ©e, et elle s’assit dans un large fauteuil Ă  l’un des bouts de la table. Prenez donc du vin, » dit le LiĂšvre d’un ton engageant. Alice regarda tout autour de la table, mais il n’y avait que du thĂ©. Je ne vois pas de vin, » fit-elle observer. Il n’y en a pas, » dit le LiĂšvre. En ce cas il n’était pas trĂšs-poli de votre part de m’en offrir, » dit Alice d’un ton fĂąchĂ©. Il n’était pas non plus trĂšs-poli de votre part de vous mettre Ă  table avant d’y ĂȘtre invitĂ©e, » dit le LiĂšvre. J’ignorais que ce fĂ»t votre table, » dit Alice. Il y a des couverts pour bien plus de trois convives. » Vos cheveux ont besoin d’ĂȘtre coupĂ©s, » dit le Chapelier. Il avait considĂ©rĂ© Alice pendant quelque temps avec beaucoup de curiositĂ©, et ce fut la premiĂšre parole qu’il lui adressa. Vous devriez apprendre Ă  ne pas faire de remarques sur les gens ; c’est trĂšs-grossier, » dit Alice d’un ton sĂ©vĂšre. À ces mots le Chapelier ouvrit de grands yeux ; mais il se contenta de dire Pourquoi une pie ressemble-t-elle Ă  un pupitre ? » Bon ! nous allons nous amuser, » pensa Alice. Je suis bien aise qu’ils se mettent Ă  demander des Ă©nigmes. Je crois pouvoir deviner cela, » ajouta-t-elle tout haut. Voulez-vous dire que vous croyez pouvoir trouver la rĂ©ponse ? » dit le LiĂšvre. PrĂ©cisĂ©ment, » rĂ©pondit Alice. Alors vous devriez dire ce que vous voulez dire, » continua le LiĂšvre. C’est ce que je fais, » rĂ©pliqua vivement Alice. Du moins — je veux dire ce que je dis ; c’est la mĂȘme chose, n’est-ce pas ? » Ce n’est pas du tout la mĂȘme chose, » dit le Chapelier. Vous pourriez alors dire tout aussi bien que Je vois ce que je mange, » est la mĂȘme chose que Je mange ce que je vois. » » Vous pourriez alors dire tout aussi bien, » ajouta le LiĂšvre, que J’aime ce qu’on me donne, » est la mĂȘme chose que On me donne ce que j’aime. » » Vous pourriez dire tout aussi bien, » ajouta le Loir, qui paraissait parler tout endormi, que Je respire quand je dors, » est la mĂȘme chose que Je dors quand je respire. » » C’est en effet tout un pour vous, » dit le Chapelier. Sur ce, la conversation tomba et il se fit un silence de quelques minutes. Pendant ce temps, Alice repassa dans son esprit tout ce qu’elle savait au sujet des pies et des pupitres ; ce qui n’était pas grand’chose. Le Chapelier rompit le silence le premier. Quel quantiĂšme du mois sommes-nous ? » dit-il en se tournant vers Alice. Il avait tirĂ© sa montre de sa poche et la regardait d’un air inquiet, la secouant de temps Ă  autre et l’approchant de son oreille. Alice rĂ©flĂ©chit un instant et rĂ©pondit Le quatre. » Elle est de deux jours en retard, » dit le Chapelier avec un soupir. Je vous disais bien que le beurre ne vaudrait rien au mouvement ! » ajouta-t-il en regardant le LiĂšvre avec colĂšre. C’était tout ce qu’il y avait de plus fin en beurre, » dit le LiĂšvre humblement. Oui, mais il faut qu’il y soit entrĂ© des miettes de pain, » grommela le Chapelier. Vous n’auriez pas dĂ» vous servir du couteau au pain pour mettre le beurre. » Le LiĂšvre prit la montre, et la contempla tristement, puis la trempa dans sa tasse, la contempla de nouveau, et pourtant ne trouva rien de mieux Ă  faire que de rĂ©pĂ©ter sa premiĂšre observation C’était tout ce qu’il y avait de plus fin en beurre. » Alice avait regardĂ© par-dessus son Ă©paule avec curiositĂ© Quelle singuliĂšre montre ! » dit-elle. Elle marque le quantiĂšme du mois, et ne marque pas l’heure qu’il est ! » Et pourquoi marquerait-elle l’heure ? » murmura le Chapelier. Votre montre marque-t-elle dans quelle annĂ©e vous ĂȘtes ? » Non, assurĂ©ment ! » rĂ©pliqua Alice sans hĂ©siter. Mais c’est parce qu’elle reste Ă  la mĂȘme annĂ©e pendant si longtemps. » Tout comme la mienne, » dit le Chapelier. Alice se trouva fort embarrassĂ©e. L’observation du Chapelier lui paraissait n’avoir aucun sens ; et cependant la phrase Ă©tait parfaitement correcte. Je ne vous comprends pas bien, » dit-elle, aussi poliment que possible. Le Loir est rendormi, » dit le Chapelier ; et il lui versa un peu de thĂ© chaud sur le nez. Le Loir secoua la tĂȘte avec impatience, et dit, sans ouvrir les yeux Sans doute, sans doute, c’est justement ce que j’allais dire. » Avez-vous devinĂ© l’énigme ? » dit le Chapelier, se tournant de nouveau vers Alice. Non, j’y renonce, » rĂ©pondit Alice ; quelle est la rĂ©ponse ? » Je n’en ai pas la moindre idĂ©e, » dit le Chapelier. Ni moi non plus, » dit le LiĂšvre. Alice soupira d’ennui. Il me semble que vous pourriez mieux employer le temps, » dit-elle, et ne pas le gaspiller Ă  proposer des Ă©nigmes qui n’ont point de rĂ©ponses. » Si vous connaissiez le Temps aussi bien que moi, » dit le Chapelier, vous ne parleriez pas de le gaspiller. On ne gaspille pas quelqu’un. » Je ne vous comprends pas, » dit Alice. Je le crois bien, » rĂ©pondit le Chapelier, en secouant la tĂȘte avec mĂ©pris ; je parie que vous n’avez jamais parlĂ© au Temps. » Cela se peut bien, » rĂ©pliqua prudemment Alice, mais je l’ai souvent mal employĂ©. » Ah ! voilĂ  donc pourquoi ! Il n’aime pas cela, » dit le Chapelier. Mais si seulement vous saviez le mĂ©nager, il ferait de la pendule tout ce que vous voudriez. Par exemple, supposons qu’il soit neuf heures du matin, l’heure de vos leçons, vous n’auriez qu’à dire tout bas un petit mot au Temps, et l’aiguille partirait en un clin d’Ɠil pour marquer une heure et demie, l’heure du dĂźner. » Je le voudrais bien, » dit tout bas le LiĂšvre. Cela serait trĂšs-agrĂ©able, certainement, » dit Alice d’un air pensif ; mais alors — je n’aurais pas encore faim, comprenez donc. » Peut-ĂȘtre pas d’abord, » dit le Chapelier ; mais vous pourriez retenir l’aiguille Ă  une heure et demie aussi longtemps que vous voudriez. » Est-ce comme cela que vous faites, vous ? » demanda Alice. Le Chapelier secoua tristement la tĂȘte. HĂ©las ! non, » rĂ©pondit-il, nous nous sommes querellĂ©s au mois de mars dernier, un peu avant qu’il devĂźnt fou. » Il montrait le LiĂšvre du bout de sa cuiller. C’était Ă  un grand concert donnĂ© par la Reine de CƓur, et j’eus Ă  chanter Ah ! vous dirai-je, ma sƓur, Ce qui calme ma douleur ! » Vous connaissez peut-ĂȘtre cette chanson ? » J’ai entendu chanter quelque chose comme ça, » dit Alice. Vous savez la suite, » dit le Chapelier ; et il continua C’est que j’avais des dragĂ©es,Et que je les ai mangĂ©es. » Ici le Loir se secoua et se mit Ă  chanter, tout en dormant Et que je les ai mangĂ©es, mangĂ©es, mangĂ©es, mangĂ©es, mangĂ©es, » si longtemps, qu’il fallĂ»t le pincer pour le faire taire. Eh bien, j’avais Ă  peine fini le premier couplet, » dit le Chapelier, que la Reine hurla Ah ! c’est comme ça que vous tuez le temps ! Qu’on lui coupe la tĂȘte ! » » Quelle cruautĂ© ! » s’écria Alice. Et, depuis lors, » continua le Chapelier avec tristesse, le Temps ne veut rien faire de ce que je lui demande. Il est toujours six heures maintenant. » Une brillante idĂ©e traversa l’esprit d’Alice. Est-ce pour cela qu’il y a tant de tasses Ă  thĂ© ici ? » demanda-t-elle. Oui, c’est cela, » dit le Chapelier avec un soupir ; il est toujours l’heure du thĂ©, et nous n’avons pas le temps de laver la vaisselle dans l’intervalle. » Alors vous faites tout le tour de la table, je suppose ? » dit Alice. Justement, » dit le Chapelier, Ă  mesure que les tasses ont servi. » Mais, qu’arrive-t-il lorsque vous vous retrouvez au commencement ? » se hasarda de dire Alice. Si nous changions de conversation, » interrompit le LiĂšvre en bĂąillant ; celle-ci commence Ă  me fatiguer. Je propose que la petite demoiselle nous conte une histoire. » J’ai bien peur de n’en pas savoir, » dit Alice, que cette proposition alarmait un peu. Eh bien, le Loir va nous en dire une, » criĂšrent-ils tous deux. Allons, Loir, rĂ©veillez-vous ! » et ils le pincĂšrent des deux cĂŽtĂ©s Ă  la fois. Le Loir ouvrit lentement les yeux. Je ne dormais pas, » dit-il d’une voix faible et enrouĂ©e. Je n’ai pas perdu un mot de ce que vous avez dit, vous autres. » Racontez-nous une histoire, » dit le LiĂšvre. Ah ! Oui, je vous en prie, » dit Alice d’un ton suppliant. Et faites vite, » ajouta le Chapelier, sans cela vous allez vous rendormir avant de vous mettre en train. » Il y avait une fois trois petites sƓurs, » commença bien vite le Loir, qui s’appelaient Elsie, Lacie, et Tillie, et elles vivaient au fond d’un puits. » De quoi vivaient-elles ? » dit Alice, qui s’intĂ©ressait toujours aux questions de boire ou de manger. Elles vivaient de mĂ©lasse, » dit le Loir, aprĂšs avoir rĂ©flĂ©chi un instant. Ce n’est pas possible, comprenez donc, » fit doucement observer Alice ; cela les aurait rendues malades. » Et en effet, » dit le Loir, elles Ă©taient trĂšs-malades. » Alice chercha Ă  se figurer un peu l’effet que produirait sur elle une maniĂšre de vivre si extraordinaire, mais cela lui parut trop embarrassant, et elle continua Mais pourquoi vivaient-elles au fond d’un puits ? » Prenez un peu plus de thĂ©, » dit le LiĂšvre Ă  Alice avec empressement. Je n’en ai pas pris du tout, » rĂ©pondit Alice d’un air offensĂ©. Je ne peux donc pas en prendre un peu plus. » Vous voulez dire que vous ne pouvez pas en prendre moins, » dit le Chapelier. Il est trĂšs-aisĂ© de prendre un peu plus que pas du tout. » On ne vous a pas demandĂ© votre avis, Ă  vous, » dit Alice. Ah ! qui est-ce qui se permet de faire des observations ? » demanda le Chapelier d’un air triomphant. Alice ne savait pas trop que rĂ©pondre Ă  cela. Aussi se servit-elle un peu de thĂ© et une tartine de pain et de beurre ; puis elle se tourna du cĂŽtĂ© du Loir, et rĂ©pĂ©ta sa question. Pourquoi vivaient-elles au fond d’un puits ? » Le Loir rĂ©flĂ©chit de nouveau pendant quelques instants et dit C’était un puits de mĂ©lasse. » Il n’en existe pas ! » se mit Ă  dire Alice d’un ton courroucĂ©. Mais le Chapelier et le LiĂšvre firent Chut ! Chut ! » et le Loir fit observer d’un ton bourru TĂąchez d’ĂȘtre polie, ou finissez l’histoire vous-mĂȘme. » Non, continuez, je vous prie, » dit Alice trĂšs-humblement. Je ne vous interromprai plus ; peut-ĂȘtre en existe-t-il un. » Un, vraiment ! » dit le Loir avec indignation ; toutefois il voulut bien continuer. Donc, ces trois petites sƓurs, vous saurez qu’elles faisaient tout ce qu’elles pouvaient pour s’en tirer. » Comment auraient-elles pu s’en tirer ? » dit Alice, oubliant tout Ă  fait sa promesse. C’est tout simple — » Il me faut une tasse propre, » interrompit le Chapelier. Avançons tous d’une place. » Il avançait tout en parlant, et le Loir le suivit ; le LiĂšvre prit la place du Loir, et Alice prit, d’assez mauvaise grĂące, celle du LiĂšvre. Le Chapelier fut le seul qui gagnĂąt au change ; Alice se trouva bien plus mal partagĂ©e qu’auparavant, car le LiĂšvre venait de renverser le lait dans son assiette. Alice, craignant d’offenser le Loir, reprit avec circonspection Mais je ne comprends pas ; comment auraient-elles pu s’en tirer ? » C’est tout simple, » dit le Chapelier. Quand il y a de l’eau dans un puits, vous savez bien comment on en tire, n’est-ce pas ? Eh bien ! d’un puits de mĂ©lasse on tire de la mĂ©lasse, et quand il y a des petites filles dans la mĂ©lasse on les tire en mĂȘme temps ; comprenez-vous, petite sotte ? » Pas tout Ă  fait, » dit Alice, encore plus embarrassĂ©e par cette rĂ©ponse. Alors vous feriez bien de vous taire, » dit le Chapelier. Alice trouva cette grossiĂšretĂ© un peu trop forte ; elle se leva indignĂ©e et s’en alla. Le Loir s’endormit Ă  l’instant mĂȘme, et les deux autres ne prirent pas garde Ă  son dĂ©part, bien qu’elle regardĂąt en arriĂšre deux ou trois fois, espĂ©rant presque qu’ils la rappelleraient. La derniĂšre fois qu’elle les vit, ils cherchaient Ă  mettre le Loir dans la thĂ©iĂšre. À aucun prix je ne voudrais retourner auprĂšs de ces gens-lĂ , » dit Alice, en cherchant son chemin Ă  travers le bois. C’est le thĂ© le plus ridicule auquel j’aie assistĂ© de ma vie ! » Comme elle disait cela, elle s’aperçut qu’un des arbres avait une porte par laquelle on pouvait pĂ©nĂ©trer Ă  l’intĂ©rieur. VoilĂ  qui est curieux, » pensa-t-elle. Mais tout est curieux aujourd’hui. Je crois que je ferai bien d’entrer tout de suite. » Elle entra. Elle se retrouva encore dans la longue salle tout prĂšs de la petite table de verre. Cette fois je m’y prendrai mieux, » se dit-elle, et elle commença par saisir la petite clef d’or et par ouvrir la porte qui menait au jardin, et puis elle se mit Ă  grignoter le morceau de champignon qu’elle avait mis dans sa poche, jusqu’à ce qu’elle fĂ»t rĂ©duite Ă  environ deux pieds de haut ; elle prit alors le petit passage ; et enfin — elle se trouva dans le superbe jardin au milieu des brillants parterres et des fraĂźches fontaines. CHAPITRE CROQUET DE LA REINE. Un grand rosier se trouvait Ă  l’entrĂ©e du jardin ; les roses qu’il portait Ă©taient blanches, mais trois jardiniers Ă©taient en train de les peindre en rouge. Alice s’avança pour les regarder, et, au moment oĂč elle approchait, elle en entendit un qui disait Fais donc attention, Cinq, et ne m’éclabousse pas ainsi avec ta peinture. » Ce n’est pas de ma faute, » dit Cinq d’un ton bourru, c’est Sept qui m’a poussĂ© le coude. » LĂ -dessus Sept leva les yeux et dit C’est cela, Cinq ! Jetez toujours le blĂąme sur les autres ! » Vous feriez bien de vous taire, vous, » dit Cinq. J’ai entendu la Reine dire pas plus tard que hier que vous mĂ©ritiez d’ĂȘtre dĂ©capitĂ© ! » Pourquoi donc cela ? » dit celui qui avait parlĂ© le premier. Cela ne vous regarde pas, Deux, » dit Sept. Si fait, cela le regarde, » dit Cinq ; et je vais le lui dire. C’est pour avoir apportĂ© Ă  la cuisiniĂšre des oignons de tulipe au lieu d’oignons Ă  manger. » Sept jeta lĂ  son pinceau et s’écriait De toutes les injustices — » lorsque ses regards tombĂšrent par hasard sur Alice, qui restait lĂ  Ă  les regarder, et il se retint tout Ă  coup. Les autres se retournĂšrent aussi, et tous firent un profond salut. Voudriez-vous avoir la bontĂ© de me dire pourquoi vous peignez ces roses ? » demanda Alice un peu timidement. Cinq et Sept ne dirent rien, mais regardĂšrent Deux. Deux commença Ă  voix basse Le fait est, voyez-vous, mademoiselle, qu’il devrait y avoir ici un rosier Ă  fleurs rouges, et nous en avons mis un Ă  fleurs blanches, par erreur. Si la Reine s’en apercevait nous aurions tous la tĂȘte tranchĂ©e, vous comprenez. Aussi, mademoiselle, vous voyez que nous faisons de notre mieux avant qu’elle vienne pour — » À ce moment Cinq, qui avait regardĂ© tout le temps avec inquiĂ©tude de l’autre cĂŽtĂ© du jardin, s’écria La Reine ! La Reine ! » et les trois ouvriers se prĂ©cipitĂšrent aussitĂŽt la face contre terre. Il se faisait un grand bruit de pas, et Alice se retourna, dĂ©sireuse de voir la Reine. D’abord venaient des soldats portant des piques ; ils Ă©taient tous faits comme les jardiniers, longs et plats, les mains et les pieds aux coins ; ensuite venaient les dix courtisans. Ceux-ci Ă©taient tous parĂ©s de carreaux de diamant et marchaient deux Ă  deux comme les soldats. DerriĂšre eux venaient les enfants de la Reine ; il y en avait dix, et les petits chĂ©rubins gambadaient joyeusement, se tenant par la main deux Ă  deux ; ils Ă©taient tous ornĂ©s de cƓurs. AprĂšs eux venaient les invitĂ©s, des rois et des reines pour la plupart. Dans le nombre, Alice reconnut le Lapin Blanc. Il avait l’air Ă©mu et agitĂ© en parlant, souriait Ă  tout ce qu’on disait, et passa sans faire attention Ă  elle. Suivait le Valet de CƓur, portant la couronne sur un coussin de velours ; et, fermant cette longue procession, LE ROI ET LA REINE DE CƒUR. Alice ne savait pas au juste si elle devait se prosterner comme les trois jardiniers ; mais elle ne se rappelait pas avoir jamais entendu parler d’une pareille formalitĂ©. Et d’ailleurs Ă  quoi serviraient les processions, » pensa-t-elle, si les gens avaient Ă  se mettre la face contre terre de façon Ă  ne pas les voir ? » Elle resta donc debout Ă  sa place et attendit. Quand la procession fut arrivĂ©e en face d’Alice, tout le monde s’arrĂȘta pour la regarder, et la Reine dit sĂ©vĂšrement Qui est-ce ? » Elle s’adressait au Valet de CƓur, qui se contenta de saluer et de sourire pour toute rĂ©ponse. Idiot ! » dit la Reine en rejetant la tĂȘte en arriĂšre avec impatience ; et, se tournant vers Alice, elle continua Votre nom, petite ? » Je me nomme Alice, s’il plaĂźt Ă  Votre MajestĂ©, » dit Alice fort poliment. Mais elle ajouta en elle-mĂȘme Ces gens-lĂ  ne sont, aprĂšs tout, qu’un paquet de cartes. Pourquoi en aurais-je peur ? » Et qui sont ceux-ci ? » dit la Reine, montrant du doigt les trois jardiniers Ă©tendus autour du rosier. Car vous comprenez que, comme ils avaient la face contre terre et que le dessin qu’ils avaient sur le dos Ă©tait le mĂȘme que celui des autres cartes du paquet, elle ne pouvait savoir s’ils Ă©taient des jardiniers, des soldats, des courtisans, ou bien trois de ses propres enfants. Comment voulez-vous que je le sache ? » dit Alice avec un courage qui la surprit elle-mĂȘme. Cela n’est pas mon affaire Ă  moi. » La Reine devint pourpre de colĂšre ; et aprĂšs l’avoir considĂ©rĂ©e un moment avec des yeux flamboyants comme ceux d’une bĂȘte fauve, elle se mit Ă  crier Qu’on lui coupe la tĂȘte ! » Quelle idĂ©e ! » dit Alice trĂšs-haut et d’un ton dĂ©cidĂ©. La Reine se tut. Le Roi lui posa la main sur le bras, et lui dit timidement ConsidĂ©rez donc, ma chĂšre amie, que ce n’est qu’une enfant. » La Reine lui tourna le dos avec colĂšre, et dit au Valet Retournez-les ! » Ce que fit le Valet trĂšs-soigneusement du bout du pied. Debout ! » dit la Reine d’une voix forte et stridente. Les trois jardiniers se relevĂšrent Ă  l’instant et se mirent Ă  saluer le Roi, la Reine, les jeunes princes, et tout le monde. Finissez ! » cria la Reine. Vous m’étourdissez. » Alors, se tournant vers le rosier, elle continua Qu’est-ce que vous faites donc lĂ  ? » Avec le bon plaisir de Votre MajestĂ©, » dit Deux d’un ton trĂšs-humble, mettant un genou en terre, nous tĂąchions — » Je le vois bien ! » dit la Reine, qui avait pendant ce temps examinĂ© les roses. Qu’on leur coupe la tĂȘte ! » Et la procession continua sa route, trois des soldats restant en arriĂšre pour exĂ©cuter les malheureux jardiniers, qui coururent se mettre sous la protection d’Alice. Vous ne serez pas dĂ©capitĂ©s, » dit Alice ; et elle les mit dans un grand pot Ă  fleurs qui se trouvait prĂšs de lĂ . Les trois soldats errĂšrent de cĂŽtĂ© et d’autre, pendant une ou deux minutes, pour les chercher, puis s’en allĂšrent tranquillement rejoindre les autres. Leur a-t-on coupĂ© la tĂȘte ? » cria la Reine. Leurs tĂȘtes n’y sont plus, s’il plaĂźt Ă  Votre MajestĂ© ! » lui criĂšrent les soldats. C’est bien ! » cria la Reine. Savez-vous jouer au croquet ? » Les soldats ne soufflĂšrent mot, et regardĂšrent Alice, car, Ă©videmment, c’était Ă  elle que s’adressait la question. Oui, » cria Alice. Eh bien, venez ! » hurla la Reine ; et Alice se joignit Ă  la procession, fort curieuse de savoir ce qui allait arriver. Il fait un bien beau temps aujourd’hui, » dit une voix timide Ă  cĂŽtĂ© d’elle. Elle marchait auprĂšs du Lapin Blanc, qui la regardait d’un Ɠil inquiet. Bien beau, » dit Alice. OĂč est la Duchesse ? » Chut ! Chut ! » dit vivement le Lapin Ă  voix basse et en regardant avec inquiĂ©tude par-dessus son Ă©paule. Puis il se leva sur la pointe des pieds, colla sa bouche Ă  l’oreille d’Alice et lui souffla Elle est condamnĂ©e Ă  mort » Pour quelle raison ? » dit Alice. Avez-vous dit quel dommage ? » » demanda le Lapin. Non, » dit Alice. Je ne pense pas du tout que ce soit dommage. J’ai dit pour quelle raison ? » » Elle a donnĂ© des soufflets Ă  la Reine, » commença le Lapin. Alice fit entendre un petit Ă©clat de rire. Oh, chut ! » dit tout bas le Lapin d’un ton effrayĂ©. La Reine va nous entendre ! Elle est arrivĂ©e un peu tard, voyez-vous, et la Reine a dit — » À vos places ! » cria la Reine d’une voix de tonnerre, et les gens se mirent Ă  courir dans toutes les directions, trĂ©buchant les uns contre les autres ; toutefois, au bout de quelques instants chacun fut Ă  sa place et la partie commença. Alice n’avait de sa vie vu de jeu de croquet aussi curieux que celui-lĂ . Le terrain n’était que billons et sillons ; des hĂ©rissons vivants servaient de boules, et des flamants de maillets. Les soldats, courbĂ©s en deux, avaient Ă  se tenir la tĂȘte et les pieds sur le sol pour former des arches. Ce qui embarrassa le plus Alice au commencement du jeu, ce fut de manier le flamant ; elle parvenait bien Ă  fourrer son corps assez commodĂ©ment sous son bras, en laissant pendre les pieds ; mais, le plus souvent, Ă  peine lui avait-elle allongĂ© le cou bien comme il faut, et allait-elle frapper le hĂ©risson avec la tĂȘte, que le flamant se relevait en se tordant, et la regardait d’un air si Ă©bahi qu’elle ne pouvait s’empĂȘcher d’éclater de rire ; et puis, quand elle lui avait fait baisser la tĂȘte et allait recommencer, il Ă©tait bien impatientant de voir que le hĂ©risson s’était dĂ©roulĂ© et s’en allait. En outre, il se trouvait ordinairement un billon ou un sillon dans son chemin partout oĂč elle voulait envoyer le hĂ©risson, et comme les soldats courbĂ©s en deux se relevaient sans cesse pour s’en aller d’un autre cĂŽtĂ© du terrain, Alice en vint bientĂŽt Ă  cette conclusion que c’était lĂ  un jeu fort difficile, en vĂ©ritĂ©. Les joueurs jouaient tous Ă  la fois, sans attendre leur tour, se querellant tout le temps et se battant Ă  qui aurait les hĂ©rissons. La Reine entra bientĂŽt dans une colĂšre furieuse et se mit Ă  trĂ©pigner en criant Qu’on coupe la tĂȘte Ă  celui-ci ! » ou bien Qu’on coupe la tĂȘte Ă  celle-lĂ  ! » une fois environ par minute. Alice commença Ă  se sentir trĂšs-mal Ă  l’aise ; il est vrai qu’elle ne s’était pas disputĂ©e avec la Reine ; mais elle savait que cela pouvait lui arriver Ă  tout moment. Et alors, » pensait-elle, que deviendrai-je ? Ils aiment terriblement Ă  couper la tĂȘte aux gens ici. Ce qui m’étonne, c’est qu’il en reste encore de vivants. » Elle cherchait autour d’elle quelque moyen de s’échapper, et se demandait si elle pourrait se retirer sans ĂȘtre vue ; lorsqu’elle aperçut en l’air quelque chose d’étrange ; cette apparition l’intrigua beaucoup d’abord, mais, aprĂšs l’avoir considĂ©rĂ©e quelques instants, elle dĂ©couvrit que c’était une grimace, et se dit en elle-mĂȘme, C’est le Grimaçon ; maintenant j’aurai Ă  qui parler. » Comment cela va-t-il ? » dit le Chat, quand il y eut assez de sa bouche pour qu’il pĂ»t parler. Alice attendit que les yeux parussent, et lui fit alors un signe de tĂȘte amical. Il est inutile de lui parler, » pensait-elle, avant que ses oreilles soient venues, l’une d’elle tout au moins. » Une minute aprĂšs, la tĂȘte se montra tout entiĂšre, et alors Alice posa Ă  terre son flamant et se mit Ă  raconter sa partie de croquet, enchantĂ©e d’avoir quelqu’un qui l’écoutĂąt. Le Chat trouva apparemment qu’il s’était assez mis en vue ; car sa tĂȘte fut tout ce qu’on en aperçut. Ils ne jouent pas du tout franc jeu, » commença Alice d’un ton de mĂ©contentement, et ils se querellent tous si fort, qu’on ne peut pas s’entendre parler ; et puis on dirait qu’ils n’ont aucune rĂšgle prĂ©cise ; du moins, s’il y a des rĂšgles, personne ne les suit. Ensuite vous n’avez pas idĂ©e comme cela embrouille que tous les instruments du jeu soient vivants ; par exemple, voilĂ  l’arche par laquelle j’ai Ă  passer qui se promĂšne lĂ -bas Ă  l’autre bout du jeu, et j’aurais fait croquet sur le hĂ©risson de la Reine tout Ă  l’heure, s’il ne s’était pas sauvĂ© en voyant venir le mien ! » Est-ce que vous aimez la Reine ? » dit le Chat Ă  voix basse. Pas du tout, » dit Alice. Elle est si — » Au mĂȘme instant elle aperçut la Reine tout prĂšs derriĂšre elle, qui Ă©coutait ; alors elle continua si sĂ»re de gagner, que ce n’est guĂšre la peine de finir la partie. » La Reine sourit et passa. Avec qui causez-vous donc lĂ , » dit le Roi, s’approchant d’Alice et regardant avec une extrĂȘme curiositĂ© la tĂȘte du Chat. C’est un de mes amis, un Grimaçon, » dit Alice permettez-moi de vous le prĂ©senter. » Sa mine ne me plaĂźt pas du tout, » dit le Roi. Pourtant il peut me baiser la main, si cela lui fait plaisir. » Non, grand merci, » dit le Chat. Ne faites pas l’impertinent, » dit le Roi, et ne me regardez pas ainsi ! » Il s’était mis derriĂšre Alice en disant ces mots. Un chat peut bien regarder un roi, » dit Alice. J’ai lu quelque chose comme cela dans un livre, mais je ne me rappelle pas oĂč. » Eh bien, il faut le faire enlever, » dit le Roi d’un ton trĂšs-dĂ©cidĂ© ; et il cria Ă  la Reine, qui passait en ce moment Mon amie, je dĂ©sirerais que vous fissiez enlever ce chat ! » La Reine n’avait qu’une seule maniĂšre de trancher les difficultĂ©s, petites ou grandes. Qu’on lui coupe la tĂȘte ! » dit-elle sans mĂȘme se retourner. Je vais moi-mĂȘme chercher le bourreau, » dit le Roi avec empressement ; et il s’en alla prĂ©cipitamment. Alice pensa qu’elle ferait bien de retourner voir oĂč en Ă©tait la partie, car elle entendait au loin la voix de la Reine qui criait de colĂšre. Elle l’avait dĂ©jĂ  entendue condamner trois des joueurs Ă  avoir la tĂȘte coupĂ©e, parce qu’ils avaient laissĂ© passer leur tour, et elle n’aimait pas du tout la tournure que prenaient les choses ; car le jeu Ă©tait si embrouillĂ© qu’elle ne savait jamais quand venait son tour. Elle alla Ă  la recherche de son hĂ©risson. Il Ă©tait en train de se battre avec un autre hĂ©risson ; ce qui parut Ă  Alice une excellente occasion de faire croquet de l’un sur l’autre. Il n’y avait Ă  cela qu’une difficultĂ©, et c’était que son flamant avait passĂ© de l’autre cĂŽtĂ© du jardin, oĂč Alice le voyait qui faisait de vains efforts pour s’enlever et se percher sur un arbre. Quand elle eut rattrapĂ© et ramenĂ© le flamant, la bataille Ă©tait terminĂ©e, et les deux hĂ©rissons avaient disparu. Mais cela ne fait pas grand’chose, » pensa Alice, puisque toutes les arches ont quittĂ© ce cĂŽtĂ© de la pelouse. » Elle remit donc le flamant sous son bras pour qu’il ne lui Ă©chappĂąt plus, et retourna causer un peu avec son ami. Quand elle revint auprĂšs du Chat, elle fut surprise de trouver une grande foule rassemblĂ©e autour de lui. Une discussion avait lieu entre le bourreau, le Roi, et la Reine, qui parlaient tous Ă  la fois, tandis que les autres ne soufflaient mot et semblaient trĂšs-mal Ă  l’aise. DĂšs que parut Alice, ils en appelĂšrent Ă  elle tous les trois pour qu’elle dĂ©cidĂąt la question, et lui rĂ©pĂ©tĂšrent leurs raisonnements. Comme ils parlaient tous Ă  la fois, elle eut beaucoup de peine Ă  comprendre ce qu’ils disaient. Le raisonnement du bourreau Ă©tait qu’on ne pouvait pas trancher une tĂȘte, Ă  moins qu’il n’y eĂ»t un corps d’oĂč l’on pĂ»t la couper ; que jamais il n’avait eu pareille chose Ă  faire, et que ce n’était pas Ă  son Ăąge qu’il allait commencer. Le raisonnement du Roi Ă©tait que tout ce qui avait une tĂȘte pouvait ĂȘtre dĂ©capitĂ©, et qu’il ne fallait pas dire des choses qui n’avaient pas de bon sens. Le raisonnement de la Reine Ă©tait que si la question ne se dĂ©cidait pas en moins de rien, elle ferait trancher la tĂȘte Ă  tout le monde Ă  la ronde. C’était cette derniĂšre observation qui avait donnĂ© Ă  toute la compagnie l’air si grave et si inquiet. Alice ne trouva rien de mieux Ă  dire que Il appartient Ă  la Duchesse ; c’est elle que vous feriez bien de consulter Ă  ce sujet. » Elle est en prison, » dit la Reine au bourreau. Qu’on l’amĂšne ici. » Et le bourreau partit comme un trait. La tĂȘte du Chat commença Ă  s’évanouir aussitĂŽt que le bourreau fut parti, et elle avait complĂ©tement disparu quand il revint accompagnĂ© de la Duchesse ; de sorte que le Roi et le bourreau se mirent Ă  courir de cĂŽtĂ© et d’autre comme des fous pour trouver cette tĂȘte, tandis que le reste de la compagnie retournait au jeu. CHAPITRE DE LA FAUSSE-TORTUE. Vous ne sauriez croire combien je suis heureuse de vous voir, ma bonne vieille fille ! » dit la Duchesse, passant amicalement son bras sous celui d’Alice, et elles s’éloignĂšrent ensemble. Alice Ă©tait bien contente de la trouver de si bonne humeur, et pensait en elle-mĂȘme que c’était peut-ĂȘtre le poivre qui l’avait rendue si mĂ©chante, lorsqu’elles se rencontrĂšrent dans la cuisine. Quand je serai Duchesse, moi, » se dit-elle d’un ton qui exprimait peu d’espĂ©rance cependant, je n’aurai pas de poivre dans ma cuisine, pas le moindre grain. La soupe peut trĂšs-bien s’en passer. Ça pourrait bien ĂȘtre le poivre qui Ă©chauffe la bile des gens, » continua-t-elle, enchantĂ©e d’avoir fait cette dĂ©couverte ; ça pourrait bien ĂȘtre le vinaigre qui les aigrit ; la camomille qui les rend amĂšres ; et le sucre d’orge et d’autres choses du mĂȘme genre qui adoucissent le caractĂšre des enfants. Je voudrais bien que tout le monde sĂ»t cela ; on ne serait pas si chiche de sucreries, voyez-vous. » Elle avait alors complĂštement oubliĂ© la Duchesse, et tressaillit en entendant sa voix tout prĂšs de son oreille. Vous pensez Ă  quelque chose, ma chĂšre petite, et cela vous fait oublier de causer. Je ne puis pas vous dire en ce moment quelle est la morale de ce fait, mais je m’en souviendrai tout Ă  l’heure. » Peut-ĂȘtre n’y en a-t-il pas, » se hasarda de dire Alice. Bah, bah, mon enfant ! » dit la Duchesse. Il y a une morale Ă  tout, si seulement on pouvait la trouver. » Et elle se serra plus prĂšs d’Alice en parlant. Alice n’aimait pas trop qu’elle se tĂźnt si prĂšs d’elle ; d’abord parce que la Duchesse Ă©tait trĂšs-laide, et ensuite parce qu’elle Ă©tait juste assez grande pour appuyer son menton sur l’épaule d’Alice, et c’était un menton trĂšs-dĂ©sagrĂ©ablement pointu. Pourtant elle ne voulait pas ĂȘtre impolie, et elle supporta cela de son mieux. La partie va un peu mieux maintenant, » dit-elle, afin de soutenir la conversation. C’est vrai, » dit la Duchesse ; et la morale en est Oh ! c’est l’amour, l’amour qui fait aller le monde Ă  la ronde ! » » Quelqu’un a dit, » murmura Alice, que c’est quand chacun s’occupe de ses affaires que le monde n’en va que mieux. » Eh bien ! Cela signifie presque la mĂȘme chose, » dit la Duchesse, qui enfonça son petit menton pointu dans l’épaule d’Alice, en ajoutant Et la morale en est Un chien vaut mieux que deux gros rats. » » Comme elle aime Ă  trouver des morales partout ! » pensa Alice. Je parie que vous vous demandez pourquoi je ne passe pas mon bras autour de votre taille, » dit la Duchesse aprĂšs une pause La raison en est que je ne me fie pas trop Ă  votre flamant. Voulez-vous que j’essaie ? » Il pourrait mordre, » rĂ©pondit Alice, qui ne se sentait pas la moindre envie de faire l’essai proposĂ©. C’est bien vrai, » dit la Duchesse ; les flamants et la moutarde mordent tous les deux, et la morale en est Qui se ressemble, s’assemble. » » Seulement la moutarde n’est pas un oiseau, » rĂ©pondit Alice. Vous avez raison, comme toujours, » dit la Duchesse ; avec quelle clartĂ©, vous prĂ©sentez les choses ! » C’est un minĂ©ral, je crois, » dit Alice. AssurĂ©ment, » dit la Duchesse, qui semblait prĂȘte Ă  approuver tout ce que disait Alice ; il y a une bonne mine de moutarde prĂšs d’ici ; la morale en est qu’il faut faire bonne mine Ă  tout le monde ! » Oh ! je sais, » s’écria Alice, qui n’avait pas fait attention Ă  cette derniĂšre observation, c’est un vĂ©gĂ©tal ; ça n’en a pas l’air, mais c’en est un. » Je suis tout Ă  fait de votre avis, » dit la Duchesse, et la morale en est Soyez ce que vous voulez paraĂźtre ; » ou, si vous voulez que je le dise plus simplement Ne vous imaginez jamais de ne pas ĂȘtre autrement que ce qu’il pourrait sembler aux autres que ce que vous Ă©tiez ou auriez pu ĂȘtre n’était pas autrement que ce que vous aviez Ă©tĂ© leur aurait paru ĂȘtre autrement. » » Il me semble que je comprendrais mieux cela, » dit Alice fort poliment, si je l’avais par Ă©crit mais je ne peux pas trĂšs-bien le suivre comme vous le dites. » Cela n’est rien auprĂšs de ce que je pourrais dire si je voulais, » rĂ©pondit la Duchesse d’un ton satisfait. Je vous en prie, ne vous donnez pas la peine d’allonger davantage votre explication, » dit Alice. Oh ! ne parlez pas de ma peine, » dit la Duchesse ; je vous fais cadeau de tout ce que j’ai dit jusqu’à prĂ©sent. » VoilĂ  un cadeau qui n’est pas cher ! » pensa Alice. Je suis bien contente qu’on ne fasse pas de cadeau d’anniversaire comme cela ! » Mais elle ne se hasarda pas Ă  le dire tout haut. Encore Ă  rĂ©flĂ©chir ? » demanda la Duchesse, avec un nouveau coup de son petit menton pointu. J’ai bien le droit de rĂ©flĂ©chir, » dit Alice sĂšchement, car elle commençait Ă  se sentir un peu ennuyĂ©e. À peu prĂšs le mĂȘme droit, » dit la Duchesse, que les cochons de voler, et la mo— » Mais ici, au grand Ă©tonnement d’Alice, la voix de la Duchesse s’éteignit au milieu de son mot favori, morale, et le bras qui Ă©tait passĂ© sous le sien commença de trembler. Alice leva les yeux et vit la Reine en face d’elle, les bras croisĂ©s, sombre et terrible comme un orage. VoilĂ  un bien beau temps, Votre MajestĂ© ! » fit la Duchesse, d’une voix basse et tremblante. Je vous en prĂ©viens ! » cria la Reine, trĂ©pignant tout le temps. Hors d’ici, ou Ă  bas la tĂȘte ! et cela en moins de rien ! Choisissez. » La Duchesse eut bientĂŽt fait son choix elle disparut en un clin d’Ɠil. Continuons notre partie, » dit la Reine Ă  Alice ; et Alice, trop effrayĂ©e pour souffler mot, la suivit lentement vers la pelouse. Les autres invitĂ©s, profitant de l’absence de la Reine, se reposaient Ă  l’ombre, mais sitĂŽt qu’ils la virent ils se hĂątĂšrent de retourner au jeu, la Reine leur faisant simplement observer qu’un instant de retard leur coĂ»terait la vie. Tant que dura la partie, la Reine ne cessa de se quereller avec les autres joueurs et de crier Qu’on coupe la tĂȘte Ă  celui-ci ! Qu’on coupe la tĂȘte Ă  celle-lĂ  ! » Ceux qu’elle condamnait Ă©taient arrĂȘtĂ©s par les soldats qui, bien entendu, avaient Ă  cesser de servir d’arches, de sorte qu’au bout d’une demi-heure environ, il ne restait plus d’arches, et tous les joueurs, Ă  l’exception du Roi, de la Reine, et d’Alice, Ă©taient arrĂȘtĂ©s et condamnĂ©s Ă  avoir la tĂȘte tranchĂ©e. Alors la Reine cessa le jeu toute hors d’haleine, et dit Ă  Alice Avez-vous vu la Fausse-Tortue ? » Non, » dit Alice ; je ne sais mĂȘme pas ce que c’est qu’une Fausse-Tortue. » C’est ce dont on fait la soupe Ă  la Fausse-Tortue, » dit la Reine. Je n’en ai jamais vu, et c’est la premiĂšre fois que j’en entends parler, » dit Alice. Eh bien ! venez, » dit la Reine, et elle vous contera son histoire. » Comme elles s’en allaient ensemble, Alice entendit le Roi dire Ă  voix basse Ă  toute la compagnie Vous ĂȘtes tous graciĂ©s. » Allons, voilĂ  qui est heureux ! » se dit-elle en elle-mĂȘme, car elle Ă©tait toute chagrine du grand nombre d’exĂ©cutions que la Reine avait ordonnĂ©es. Elles rencontrĂšrent bientĂŽt un Griffon, Ă©tendu au soleil et dormant profondĂ©ment. Si vous ne savez pas ce que c’est qu’un Griffon, regardez l’image. Debout ! paresseux, » dit la Reine, et menez cette petite demoiselle voir la Fausse-Tortue, et l’entendre raconter son histoire. Il faut que je m’en retourne pour veiller Ă  quelques exĂ©cutions que j’ai ordonnĂ©es ; » et elle partit laissant Alice seule avec le Griffon. La mine de cet animal ne plaisait pas trop Ă  Alice, mais, tout bien considĂ©rĂ©, elle pensa qu’elle ne courait pas plus de risques en restant auprĂšs de lui, qu’en suivant cette Reine farouche. Le Griffon se leva et se frotta les yeux, puis il guetta la Reine jusqu’à ce qu’elle fĂ»t disparue ; et il se mit Ă  ricaner. Quelle farce ! » dit le Griffon, moitiĂ© Ă  part soi, moitiĂ© Ă  Alice. Quelle est la farce ? » demanda Alice. Elle ! » dit le Griffon. C’est une idĂ©e qu’elle se fait ; jamais on n’exĂ©cute personne, vous comprenez. Venez donc ! » Tout le monde ici dit Venez donc ! » » pensa Alice, en suivant lentement le Griffon. Jamais de ma vie on ne m’a fait aller comme cela ; non, jamais ! » Ils ne firent pas beaucoup de chemin avant d’apercevoir dans l’éloignement la Fausse-Tortue assise, triste et solitaire, sur un petit rĂ©cif, et, Ă  mesure qu’ils approchaient, Alice pouvait l’entendre qui soupirait comme si son cƓur allait se briser ; elle la plaignait sincĂšrement. Quel est donc son chagrin ? » demanda-t-elle au Griffon ; et le Griffon rĂ©pondit, presque dans les mĂȘmes termes qu’auparavant C’est une idĂ©e qu’elle se fait ; elle n’a point de chagrin, vous comprenez. Venez donc ! » Ainsi ils s’approchĂšrent de la Fausse-Tortue, qui les regarda avec de grands yeux pleins de larmes, mais ne dit rien. Cette petite demoiselle, » dit le Griffon, veut savoir votre histoire. » Je vais la lui raconter, » dit la Fausse-Tortue, d’un ton grave et sourd Asseyez-vous tous deux, et ne dites pas un mot avant que j’aie fini. » Ils s’assirent donc, et pendant quelques minutes, personne ne dit mot. Alice pensait Je ne vois pas comment elle pourra jamais finir si elle ne commence pas. » Mais elle attendit patiemment. Autrefois, » dit enfin la Fausse-Tortue, j’étais une vraie Tortue. » Ces paroles furent suivies d’un long silence interrompu seulement de temps Ă  autre par cette exclamation du Griffon Hjckrrh ! » et les soupirs continuels de la Fausse-Tortue. Alice Ă©tait sur le point de se lever et de dire Merci de votre histoire intĂ©ressante, » mais elle ne pouvait s’empĂȘcher de penser qu’il devait sĂ»rement y en avoir encore Ă  venir. Elle resta donc tranquille sans rien dire. Quand nous Ă©tions petits, » continua la Fausse Tortue d’un ton plus calme, quoiqu’elle laissĂąt encore de temps Ă  autre Ă©chapper un sanglot, nous allions Ă  l’école au fond de la mer. La maĂźtresse Ă©tait une vieille tortue ; nous l’appelions ChĂ©lonĂ©e. » Et pourquoi l’appeliez-vous ChĂ©lonĂ©e, si ce n’était pas son nom ? » Parce qu’on ne pouvait s’empĂȘcher de s’écrier en la voyant Quel long nez ! » » dit la Fausse-Tortue d’un ton fĂąchĂ© ; vous ĂȘtes vraiment bien bornĂ©e ! » Vous devriez avoir honte de faire une question si simple ! » ajouta le Griffon ; et puis tous deux gardĂšrent le silence, les yeux fixĂ©s sur la pauvre Alice, qui se sentait prĂȘte Ă  rentrer sous terre. Enfin le Griffon dit Ă  la Fausse-Tortue, En avant, camarade ! TĂąchez d’en finir aujourd’hui ! » et elle continua en ces termes Oui, nous allions Ă  l’école dans la mer, bien que cela vous Ă©tonne. » Je n’ai pas dit cela, » interrompit Alice. Vous l’avez dit, » rĂ©pondit la Fausse-Tortue. Taisez-vous donc, » ajouta le Griffon, avant qu’Alice pĂ»t reprendre la parole. La Fausse-Tortue continua Nous recevions la meilleure Ă©ducation possible ; au fait, nous allions tous les jours Ă  l’école. » Moi aussi, j’y ai Ă©tĂ© tous les jours, » dit Alice ; il n’y a pas de quoi ĂȘtre si fiĂšre. » Avec des en sus, » » dit la Fausse-Tortue avec quelque inquiĂ©tude. Oui, » dit Alice, nous apprenions l’italien et la musique en sus. » Et le blanchissage ? » dit la Fausse-Tortue. Non, certainement ! » dit Alice indignĂ©e. Ah ! Alors votre pension n’était pas vraiment des bonnes, » dit la Fausse-Tortue comme soulagĂ©e d’un grand poids. Eh bien, Ă  notre pension il y avait au bas du prospectus l’italien, la musique, et le blanchissage en sus. » » Vous ne deviez pas en avoir grand besoin, puisque vous viviez au fond de la mer, » dit Alice. Je n’avais pas les moyens de l’apprendre, » dit en soupirant la Fausse-Tortue ; je ne suivais que les cours ordinaires. » Qu’est-ce que c’était ? » demanda Alice. À Luire et Ă  MĂ©dire, cela va sans dire, » rĂ©pondit la Fausse-Tortue ; et puis les diffĂ©rentes branches de l’ArithmĂ©tique l’Ambition, la Distraction, l’Enjolification, et la DĂ©rision. » Je n’ai jamais entendu parler d’enjolification, » se hasarda de dire Alice. Qu’est-ce que c’est ? » Le Griffon leva les deux pattes en l’air en signe d’étonnement. Vous n’avez jamais entendu parler d’enjolir ! » s’écria-t-il. Vous savez ce que c’est que embellir, » je suppose ? » Oui, » dit Alice, en hĂ©sitant cela veut dire — rendre — une chose — plus belle. » Eh bien ! » continua le Griffon, si vous ne savez pas ce que c’est que enjolir » vous ĂȘtes vraiment niaise. » Alice ne se sentit pas encouragĂ©e Ă  faire de nouvelles questions lĂ -dessus, elle se tourna donc vers la Fausse-Tortue, et lui dit, Qu’appreniez-vous encore ? » Eh bien, il y avait le Grimoire, » rĂ©pondit la Fausse-Tortue en comptant sur ses battoirs ; le Grimoire ancien et moderne, avec la MĂ©rographie, et puis le DĂ©dain ; le maĂźtre de DĂ©dain Ă©tait un vieux congre qui venait une fois par semaine ; il nous enseignait Ă  DĂ©daigner, Ă  Esquiver et Ă  Feindre Ă  l’huĂźtre. » Qu’est-ce que cela ? » dit Alice. Ah ! je ne peux pas vous le montrer, moi, » dit la Fausse-Tortue, je suis trop gĂȘnĂ©e, et le Griffon ne l’a jamais appris. » Je n’en avais pas le temps, » dit le Griffon, mais j’ai suivi les cours du professeur de langues mortes ; c’était un vieux crabe, celui-lĂ . » Je n’ai jamais suivi ses cours, » dit la Fausse-Tortue avec un soupir ; il enseignait le Larcin et la GrĂšve. » C’est ça, c’est ça, » dit le Griffon, en soupirant Ă  son tour ; et ces deux crĂ©atures se cachĂšrent la figure dans leurs pattes. Combien d’heures de leçons aviez-vous par jour ? » dit Alice vivement, pour changer la conversation. Dix heures, le premier jour, » dit la Fausse-Tortue ; neuf heures, le second, et ainsi de suite. » Quelle singuliĂšre mĂ©thode ! » s’écria Alice. C’est pour cela qu’on les appelle leçons, » dit le Griffon, parce que nous les laissons lĂ  peu Ă  peu. » C’était lĂ  pour Alice une idĂ©e toute nouvelle ; elle y rĂ©flĂ©chit un peu avant de faire une autre observation. Alors le onziĂšme jour devait ĂȘtre un jour de congĂ© ? » AssurĂ©ment, » rĂ©pondit la Fausse-Tortue. Et comment vous arrangiez-vous le douziĂšme jour ? » s’empressa de demander Alice. En voilĂ  assez sur les leçons, » dit le Griffon intervenant d’un ton trĂšs-dĂ©cidĂ© ; parlez-lui des jeux maintenant. » CHAPITRE QUADRILLE DE HOMARDS. La Fausse-Tortue soupira profondĂ©ment et passa le dos d’une de ses nageoires sur ses yeux. Elle regarda Alice et s’efforça de parler, mais les sanglots Ă©touffĂšrent sa voix pendant une ou deux minutes. On dirait qu’elle a un os dans le gosier, » dit le Griffon, et il se mit Ă  la secouer et Ă  lui taper dans le dos. Enfin la Fausse-Tortue retrouva la voix, et, tandis que de grosses larmes coulaient le long de ses joues, elle continua Peut-ĂȘtre n’avez-vous pas beaucoup vĂ©cu au fond de la mer ? » — Non, » dit Alice — et peut-ĂȘtre ne vous a-t-on jamais prĂ©sentĂ©e Ă  un homard ? » Alice allait dire J’en ai goĂ»tĂ© une fois — » mais elle se reprit vivement, et dit Non, jamais. » De sorte que vous ne pouvez pas du tout vous figurer quelle chose dĂ©licieuse c’est qu’un quadrille de homards. » Non, vraiment, » dit Alice. Qu’est-ce que c’est que cette danse-lĂ  ? » D’abord, » dit le Griffon, on se met en rang le long des bords de la mer — » On forme deux rangs, » cria la Fausse-Tortue des phoques, des tortues et des saumons, et ainsi de suite. Puis lorsqu’on a dĂ©barrassĂ© la cĂŽte des gelĂ©es de mer — » Cela prend ordinairement longtemps, » dit le Griffon. — on avance deux fois — » Chacun ayant un homard pour danseur, » cria le Griffon. Cela va sans dire, » dit la Fausse-Tortue. Avancez deux fois et balancez — » Changez de homards, et revenez dans le mĂȘme ordre, » continua le Griffon. Et puis, vous comprenez, » continua la Fausse-Tortue, vous jetez les — » Les homards ! » cria le Griffon, en faisant un bond en l’air. — aussi loin Ă  la mer que vous le pouvez — » Vous nagez Ă  leur poursuite !! » cria le Griffon. — vous faites une cabriole dans la mer !!! » cria la Fausse-Tortue, en cabriolant de tous cĂŽtĂ©s comme une folle. Changez encore de homards !!!! » hurla le Griffon de toutes ses forces. — revenez Ă  terre ; et — c’est lĂ  la premiĂšre figure, » dit la Fausse-Tortue, baissant tout Ă  coup la voix ; et ces deux ĂȘtres, qui pendant tout ce temps avaient bondi de tous cĂŽtĂ©s comme des fous, se rassirent bien tristement et bien posĂ©ment, puis regardĂšrent Alice. Cela doit ĂȘtre une trĂšs-jolie danse, » dit timidement Alice. Voudriez-vous voir un peu comment ça se danse ? » dit la Fausse-Tortue. Cela me ferait grand plaisir, » dit Alice. Allons, essayons la premiĂšre figure, » dit la Fausse-Tortue au Griffon ; nous pouvons la faire sans homards, vous comprenez. Qui va chanter ? » Oh ! chantez, vous, » dit le Griffon ; moi j’ai oubliĂ© les paroles. » Ils se mirent donc Ă  danser gravement tout autour d’Alice, lui marchant de temps Ă  autre sur les pieds quand ils approchaient trop prĂšs, et remuant leurs pattes de devant pour marquer la mesure, tandis que la Fausse-Tortue chantait trĂšs-lentement et trĂšs-tristement Nous n’irons plus Ă  l’eau, Si tu n’avances tĂŽt ; Ce Marsouin trop pressĂ© Va tous nous Ă©craser. Colimaçon danse, Entre dans la danse ; Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon. » Je ne veux pas danser, Je me f’rais fracasser. » Oh ! » reprend le Merlan, C’est pourtant bien plaisant. » Colimaçon danse, Entre dans la danse ; Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon. Je ne veux pas plonger, Je ne sais pas nager. » — Le Homard et l’bateauD’sauv’tag’ te tir’ront d’l’eau. » Colimaçon danse, Entre dans la danse ;Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon. Merci ; c’est une danse trĂšs-intĂ©ressante Ă  voir danser, » dit Alice, enchantĂ©e que ce fĂ»t enfin fini ; et je trouve cette curieuse chanson du merlan si agrĂ©able ! » Oh ! quant aux merlans, » dit la Fausse-Tortue, ils — vous les avez vus, sans doute ? » Oui, » dit Alice, je les ai souvent vus Ă  dü— » elle s’arrĂȘta tout court. Je ne sais pas oĂč est Di, » reprit la Fausse Tortue ; mais, puisque vous les avez vus si souvent, vous devez savoir l’air qu’ils ont ? » Je le crois, » rĂ©pliqua Alice, en se recueillant. Ils ont la queue dans la bouche — et sont tout couverts de mie de pain. » Vous vous trompez Ă  l’endroit de la mie de pain, » dit la Fausse-Tortue la mie serait enlevĂ©e dans la mer, mais ils ont bien la queue dans la bouche, et la raison en est que — » Ici la Fausse-Tortue bĂąilla et ferma les yeux. Dites-lui-en la raison et tout ce qui s’ensuit, » dit-elle au Griffon. La raison, c’est que les merlans, » dit le Griffon, voulurent absolument aller Ă  la danse avec les homards. Alors on les jeta Ă  la mer. Alors ils eurent Ă  tomber bien loin, bien loin. Alors ils s’entrĂšrent la queue fortement dans la bouche. Alors ils ne purent plus l’en retirer. VoilĂ  tout. » Merci, » dit Alice, c’est trĂšs-intĂ©ressant ; je n’en avais jamais tant appris sur le compte des merlans. » Je propose donc, » dit le Griffon, que vous nous racontiez quelques-unes de vos aventures. » Je pourrais vous conter mes aventures Ă  partir de ce matin, » dit Alice un peu timidement ; mais il est inutile de parler de la journĂ©e d’hier, car j’étais une personne tout Ă  fait diffĂ©rente alors. » Expliquez-nous cela, » dit la Fausse-Tortue. Non, non, les aventures d’abord, » dit le Griffon d’un ton d’impatience ; les explications prennent tant de temps. » Alice commença donc Ă  leur conter ses aventures depuis le moment oĂč elle avait vu le Lapin Blanc pour la premiĂšre fois. Elle fut d’abord un peu troublĂ©e dans le commencement ; les deux crĂ©atures se tenaient si prĂšs d’elle, une de chaque cĂŽtĂ©, et ouvraient de si grands yeux et une si grande bouche ! Mais elle reprenait courage Ă  mesure qu’elle parlait. Les auditeurs restĂšrent fort tranquilles jusqu’à ce qu’elle arrivĂąt au moment de son histoire oĂč elle avait eu Ă  rĂ©pĂ©ter Ă  la chenille Vous ĂȘtes vieux, PĂšre Guillaume, » et oĂč les mots lui Ă©taient venus tout de travers, et alors la Fausse-Tortue poussa un long soupir et dit C’est bien singulier. » Tout cela est on ne peut plus singulier, » dit le Griffon. Tout de travers, » rĂ©pĂ©ta la Fausse-Tortue d’un air rĂȘveur. Je voudrais bien l’entendre rĂ©citer quelque chose Ă  prĂ©sent. Dites-lui de s’y mettre. » Elle regardait le Griffon comme si elle lui croyait de l’autoritĂ© sur Alice. Debout, et rĂ©citez C’est la voix du canon, » » dit le Griffon. Comme ces ĂȘtres-lĂ  vous commandent et vous font rĂ©pĂ©ter des leçons ! » pensa Alice ; autant vaudrait ĂȘtre Ă  l’école. » Cependant elle se leva et se mit Ă  rĂ©citer ; mais elle avait la tĂȘte si pleine du Quadrille de Homards, qu’elle savait Ă  peine ce qu’elle disait, et que les mots lui venaient tout drĂŽlement — C’est la voix du homard grondant comme la foudre On m’a trop fait bouillir, il faut que je me poudre ! »Puis, les pieds en dehors, prenant la brosse en main, De se faire bien beau vite il se met en train. » C’est tout diffĂ©rent de ce que je rĂ©citais quand j’étais petit, moi, » dit le Griffon. Je ne l’avais pas encore entendu rĂ©citer, » dit la Fausse-Tortue ; mais cela me fait l’effet d’un fameux galimatias. » Alice ne dit rien ; elle s’était rassise, la figure dans ses mains, se demandant avec Ă©tonnement si jamais les choses reprendraient leur cours naturel. Je voudrais bien qu’on m’expliquĂąt cela, » dit la Fausse-Tortue. Elle ne peut pas l’expliquer, » dit le Griffon vivement. Continuez, rĂ©citez les vers suivants. » Mais, les pieds en dehors, » continua opiniĂątrement la Fausse-Tortue. Pourquoi dire qu’il avait les pieds en dehors ? » C’est la premiĂšre position lorsqu’on apprend Ă  danser, » dit Alice ; tout cela l’embarrassait fort, et il lui tardait de changer la conversation. RĂ©citez les vers suivants, » rĂ©pĂ©ta le Griffon avec impatience ; ça commence Passant prĂšs de chez lui — » » Alice n’osa pas dĂ©sobĂ©ir, bien qu’elle fĂ»t sĂ»re que les mots allaient lui venir tout de travers. Elle continua donc d’une voix tremblante Passant prĂšs de chez lui, j’ai vu, ne vous dĂ©plaise, Une huĂźtre et un hibou qui dĂźnaient fort Ă  l’aise. » À quoi bon rĂ©pĂ©ter tout ce galimatias, » interrompit la Fausse-Tortue, si vous ne l’expliquez pas Ă  mesure que vous le dites ? C’est, de beaucoup, ce que j’ai entendu de plus embrouillant. » Oui, je crois que vous feriez bien d’en rester lĂ , » dit le Griffon ; et Alice ne demanda pas mieux. Essaierons-nous une autre figure du Quadrille de Homards ? » continua le Griffon. Ou bien, prĂ©fĂ©rez-vous que la Fausse-Tortue vous chante quelque chose ? » Oh ! une chanson, je vous prie ; si la Fausse-Tortue veut bien avoir cette obligeance, » rĂ©pondit Alice, avec tant d’empressement que le Griffon dit d’un air un peu offensĂ© Hum ! Chacun son goĂ»t. Chantez-lui La Soupe Ă  la Tortue, » hĂ© ! camarade ! » La Fausse-Tortue poussa un profond soupir et commença, d’une voix de temps en temps Ă©touffĂ©e par les sanglots Ô doux potage, Ô mets dĂ©licieux !Ah ! pour partage, Quoi de plus prĂ©cieux ?Plonger dans ma soupiĂšre Cette vaste cuillĂšre Est un bonheur Qui me rĂ©jouit le cƓur. Gibier, volaille, LiĂšvres, dindes, perdreaux, Rien qui te vaille, —Pas mĂȘme les pruneaux !Plonger dans ma soupiĂšre Cette vaste cuillĂšreEst un bonheur Qui me rĂ©jouit le cƓur. » Bis au refrain ! » cria le Griffon ; et la Fausse-Tortue venait de le reprendre, quand un cri, Le procĂšs va commencer ! » se fit entendre au loin. Venez donc ! » cria le Griffon ; et, prenant Alice par la main, il se mit Ă  courir sans attendre la fin de la chanson. Qu’est-ce que c’est que ce procĂšs ? » demanda Alice hors d’haleine ; mais le Griffon se contenta de rĂ©pondre Venez donc ! » en courant de plus belle, tandis que leur parvenaient, de plus en plus faibles, apportĂ©es par la brise qui les poursuivait, ces paroles pleines de mĂ©lancolie Plonger dans ma soupiĂšre Cette vaste cuillĂšre Est un bonheur Qui me rĂ©jouit le cƓur. » CHAPITRE A VOLÉ LES TARTES ? Le Roi et la Reine de CƓur Ă©taient assis sur leur trĂŽne, entourĂ©s d’une nombreuse assemblĂ©e toutes sortes de petits oiseaux et d’autres bĂȘtes, ainsi que le paquet de cartes tout entier. Le Valet, chargĂ© de chaĂźnes, gardĂ© de chaque cĂŽtĂ© par un soldat, se tenait debout devant le trĂŽne, et prĂšs du roi se trouvait le Lapin Blanc, tenant d’une main une trompette et de l’autre un rouleau de parchemin. Au beau milieu de la salle Ă©tait une table sur laquelle on voyait un grand plat de tartes ; ces tartes semblaient si bonnes que cela donna faim Ă  Alice, rien que de les regarder. Je voudrais bien qu’on se dĂ©pĂȘchĂąt de finir le procĂšs, » pensa-t-elle, et qu’on fĂźt passer les rafraĂźchissements, » mais cela ne paraissait guĂšre probable, aussi se mit-elle Ă  regarder tout autour d’elle pour passer le temps. C’était la premiĂšre fois qu’Alice se trouvait dans une cour de justice, mais elle en avait lu des descriptions dans les livres, et elle fut toute contente de voir qu’elle savait le nom de presque tout ce qu’il y avait lĂ . Ça, c’est le juge, » se dit-elle ; je le reconnais Ă  sa grande perruque. » Le juge, disons-le en passant, Ă©tait le Roi, et, comme il portait sa couronne par-dessus sa perruque regardez le frontispice, si vous voulez savoir comment il s’était arrangĂ© il n’avait pas du tout l’air d’ĂȘtre Ă  son aise, et cela ne lui allait pas bien du tout. Et ça, c’est le banc du jury, » pensa Alice ; et ces douze crĂ©atures » elle Ă©tait forcĂ©e de dire crĂ©atures, » vous comprenez, car quelques-uns Ă©taient des bĂȘtes et quelques autres des oiseaux, je suppose que ce sont les jurĂ©s ; » elle se rĂ©pĂ©ta ce dernier mot deux ou trois fois, car elle en Ă©tait assez fiĂšre pensant avec raison que bien peu de petites filles de son Ăąge savent ce que cela veut dire. Les douze jurĂ©s Ă©taient tous trĂšs-occupĂ©s Ă  Ă©crire sur des ardoises. Qu’est-ce qu’ils font lĂ  ? » dit Alice Ă  l’oreille du Griffon. Ils ne peuvent rien avoir Ă  Ă©crire avant que le procĂšs soit commencĂ©. » Ils inscrivent leur nom, » rĂ©pondit de mĂȘme le Griffon, de peur de l’oublier avant la fin du procĂšs. » Les niais ! » s’écria Alice d’un ton indignĂ©, mais elle se retint bien vite, car le Lapin Blanc cria Silence dans l’auditoire ! » Et le Roi, mettant ses lunettes, regarda vivement autour de lui pour voir qui parlait. Alice pouvait voir, aussi clairement que si elle eĂ»t regardĂ© par-dessus leurs Ă©paules, que tous les jurĂ©s Ă©taient en train d’écrire les niais » sur leurs ardoises, et elle pouvait mĂȘme distinguer que l’un d’eux ne savait pas Ă©crire niais » et qu’il Ă©tait obligĂ© de le demander Ă  son voisin. Leurs ardoises seront dans un bel Ă©tat avant la fin du procĂšs ! » pensa Alice. Un des jurĂ©s avait un crayon qui grinçait ; Alice, vous le pensez bien, ne pouvait pas souffrir cela ; elle fit le tour de la salle, arriva derriĂšre lui, et trouva bientĂŽt l’occasion d’enlever le crayon. Ce fut si tĂŽt fait que le pauvre petit jurĂ© c’était Jacques, le lĂ©zard ne pouvait pas s’imaginer ce qu’il Ă©tait devenu. AprĂšs avoir cherchĂ© partout, il fut obligĂ© d’écrire avec un doigt tout le reste du jour, et cela Ă©tait fort inutile, puisque son doigt ne laissait aucune marque sur l’ardoise. HĂ©raut, lisez l’acte d’accusation ! » dit le Roi. Sur ce, le Lapin Blanc sonna trois fois de la trompette, et puis, dĂ©roulant le parchemin, lut ainsi qu’il suit La Reine de CƓur fit des tartes,Un beau jour de printemps ; Le Valet de CƓur prit les tartes, Et s’en fut tout content ! » DĂ©libĂ©rez, » dit le Roi aux jurĂ©s. Pas encore, pas encore, » interrompit vivement le Lapin ; il y a bien des choses Ă  faire auparavant ! » Appelez les tĂ©moins, » dit le Roi ; et le Lapin Blanc sonna trois fois de la trompette, et cria Le premier tĂ©moin ! » Le premier tĂ©moin Ă©tait le Chapelier. Il entra, tenant d’une main une tasse de thĂ© et de l’autre une tartine de beurre. Pardon, Votre MajestĂ©, » dit il, si j’apporte cela ici ; je n’avais pas tout Ă  fait fini de prendre mon thĂ© lorsqu’on est venu me chercher. » Vous auriez dĂ» avoir fini, » dit le Roi ; quand avez-vous commencĂ© ? » Le Chapelier regarda le LiĂšvre qui l’avait suivi dans la salle, bras dessus bras dessous avec le Loir. Le Quatorze Mars, je crois bien, » dit-il. Le Quinze ! » dit le LiĂšvre. Le Seize ! » ajouta le Loir. Notez cela, » dit le Roi aux jurĂ©s. Et les jurĂ©s s’empressĂšrent d’écrire les trois dates sur leurs ardoises ; puis en firent l’addition, dont ils cherchĂšrent Ă  rĂ©duire le total en francs et centimes. Ôtez votre chapeau, » dit le Roi au Chapelier. Il n’est pas Ă  moi, » dit le Chapelier. VolĂ© ! » s’écria le Roi en se tournant du cĂŽtĂ© des jurĂ©s, qui s’empressĂšrent de prendre note du fait. Je les tiens en vente, » ajouta le Chapelier, comme explication. Je n’en ai pas Ă  moi ; je suis chapelier. » Ici la Reine mit ses lunettes, et se prit Ă  regarder fixement le Chapelier, qui devint pĂąle et tremblant. Faites votre dĂ©position, » dit le Roi ; et ne soyez pas agitĂ© ; sans cela je vous fais exĂ©cuter sur-le-champ. » Cela ne parut pas du tout encourager le tĂ©moin ; il ne cessait de passer d’un pied sur l’autre en regardant la Reine d’un air inquiet, et, dans son trouble, il mordit dans la tasse et en enleva un grand morceau, au lieu de mordre dans la tartine de beurre. Juste Ă  ce moment-lĂ , Alice Ă©prouva une Ă©trange sensation qui l’embarrassa beaucoup, jusqu’à ce qu’elle se fĂ»t rendu compte de ce que c’était. Elle recommençait Ă  grandir, et elle pensa d’abord Ă  se lever et Ă  quitter la cour mais, toute rĂ©flexion faite, elle se dĂ©cida Ă  rester oĂč elle Ă©tait, tant qu’il y aurait de la place pour elle. Ne poussez donc pas comme ça, » dit le Loir ; je puis Ă  peine respirer. » Ce n’est pas de ma faute, » dit Alice doucement ; je grandis. » Vous n’avez pas le droit de grandir ici, » dit le Loir. Ne dites pas de sottises, » rĂ©pliqua Alice plus hardiment ; vous savez bien que vous aussi vous grandissez. » Oui, mais je grandis raisonnablement, moi, » dit le Loir ; et non de cette façon ridicule. » Il se leva en faisant la mine, et passa de l’autre cĂŽtĂ© de la salle. Pendant tout ce temps-lĂ , la Reine n’avait pas cessĂ© de fixer les yeux sur le Chapelier, et, comme le Loir traversait la salle, elle dit Ă  un des officiers du tribunal Apportez-moi la liste des chanteurs du dernier concert. » Sur quoi, le malheureux Chapelier se mit Ă  trembler si fortement qu’il en perdit ses deux souliers. Faites votre dĂ©position, » rĂ©pĂ©ta le Roi en colĂšre ; ou bien je vous fais exĂ©cuter, que vous soyez troublĂ© ou non ! » Je suis un pauvre homme, Votre MajestĂ©, » fit le Chapelier d’une voix tremblante ; et il n’y avait guĂšre qu’une semaine ou deux que j’avais commencĂ© Ă  prendre mon thĂ©, et avec ça les tartines devenaient si minces et les dragĂ©es du thĂ© — » Les dragĂ©es de quoi ? » dit le Roi. Ça a commencĂ© par le thĂ©, » rĂ©pondit le Chapelier. Je vous dis que dragĂ©e commence par un d ! » cria le Roi vivement. Me prenez-vous pour un Ăąne ? Continuez ! » Je suis un pauvre homme, » continua le Chapelier ; et les dragĂ©es et les autres choses me firent perdre la tĂȘte. Mais le LiĂšvre dit — » C’est faux ! » s’écria le LiĂšvre se dĂ©pĂȘchant de l’interrompre. C’est vrai ! » cria le Chapelier. Je le nie ! » cria le LiĂšvre. Il le nie ! » dit le Roi. Passez lĂ -dessus. » Eh bien ! dans tous les cas, le Loir dit — » continua le Chapelier, regardant autour de lui pour voir s’il nierait aussi ; mais le Loir ne nia rien, car il dormait profondĂ©ment. AprĂšs cela, » continua le Chapelier, je me coupai d’autres tartines de beurre. » Mais, que dit le Loir ? » demanda un des jurĂ©s. C’est ce que je ne peux pas me rappeler, » dit le Chapelier. Il faut absolument que vous vous le rappeliez, » fit observer le Roi ; ou bien je vous fais exĂ©cuter. » Le malheureux Chapelier laissa tomber sa tasse et sa tartine de beurre, et mit un genou en terre. Je suis un pauvre homme, Votre MajestĂ© ! » commença-t-il. Vous ĂȘtes un trĂšs-pauvre orateur, » dit le Roi. Ici un des cochons d’Inde applaudit, et fut immĂ©diatement rĂ©primĂ© par un des huissiers. Comme ce mot est assez difficile, je vais vous expliquer comment cela se fit. Ils avaient un grand sac de toile qui se fermait Ă  l’aide de deux ficelles attachĂ©es Ă  l’ouverture ; dans ce sac ils firent glisser le cochon d’Inde la tĂȘte la premiĂšre, puis ils s’assirent dessus. Je suis contente d’avoir vu cela, » pensa Alice. J’ai souvent lu dans les journaux, Ă  la fin des procĂšs Il se fit quelques tentatives d’applaudissements qui furent bientĂŽt rĂ©primĂ©es par les huissiers, » et je n’avais jamais compris jusqu’à prĂ©sent ce que cela voulait dire. » Si c’est lĂ  tout ce que vous savez de l’affaire, vous pouvez vous prosterner, » continua le Roi. Je ne puis pas me prosterner plus bas que cela, » dit le Chapelier ; je suis dĂ©jĂ  par terre. » Alors asseyez-vous, » rĂ©pondit le Roi. Ici l’autre cochon d’Inde applaudit et fut rĂ©primĂ©. Bon, cela met fin aux cochons d’Inde ! » pensa Alice. Maintenant ça va mieux aller. » J’aimerais bien aller finir de prendre mon thĂ©, » dit le Chapelier, en lançant un regard inquiet sur la Reine, qui lisait la liste des chanteurs. Vous pouvez vous retirer, » dit le Roi ; et le Chapelier se hĂąta de quitter la cour, sans mĂȘme prendre le temps de mettre ses souliers. Et coupez-lui la tĂȘte dehors, » ajouta la Reine, s’adressant Ă  un des huissiers ; mais le Chapelier Ă©tait dĂ©jĂ  bien loin avant que l’huissier arrivĂąt Ă  la porte. Appelez un autre tĂ©moin, » dit le Roi. L’autre tĂ©moin, c’était la cuisiniĂšre de la Duchesse ; elle tenait la poivriĂšre Ă  la main, et Alice devina qui c’était, mĂȘme avant qu’elle entrĂąt dans la salle, en voyant Ă©ternuer, tout Ă  coup et tous Ă  la fois, les gens qui se trouvaient prĂšs de la porte. Faites votre dĂ©position, » dit le Roi. Non ! » dit la cuisiniĂšre. Le Roi regarda d’un air inquiet le Lapin Blanc, qui lui dit Ă  voix basse Il faut que Votre MajestĂ© interroge ce tĂ©moin-lĂ  contradictoirement. » Puisqu’il le faut, il le faut, » dit le Roi, d’un air triste ; et, aprĂšs avoir croisĂ© les bras et froncĂ© les sourcils en regardant la cuisiniĂšre, au point que les yeux lui Ă©taient presque complĂštement rentrĂ©s dans la tĂȘte, il dit d’une voix creuse De quoi les tartes sont-elles faites ? » De poivre principalement ! » dit la cuisiniĂšre. De mĂ©lasse, » dit une voix endormie derriĂšre elle. Saisissez ce Loir au collet ! » cria la Reine. Coupez la tĂȘte Ă  ce Loir ! Mettez ce Loir Ă  la porte ! RĂ©primez-le, pincez-le, arrachez-lui ses moustaches ! » Pendant quelques instants, toute la cour fut sens dessus dessous pour mettre le Loir Ă  la porte ; et, quand le calme fut rĂ©tabli, la cuisiniĂšre avait disparu. Cela ne fait rien, » dit le Roi, comme soulagĂ© d’un grand poids. Appelez le troisiĂšme tĂ©moin ; » et il ajouta Ă  voix basse en s’adressant Ă  la Reine Vraiment, mon amie, il faut que vous interrogiez cet autre tĂ©moin ; cela me fait trop mal au front ! » Alice regardait le Lapin Blanc tandis qu’il tournait la liste dans ses doigts, curieuse de savoir quel serait l’autre tĂ©moin. Car les dĂ©positions ne prouvent pas grand’chose jusqu’à prĂ©sent, » se dit-elle. Imaginez sa surprise quand le Lapin Blanc cria, du plus fort de sa petite voix criarde Alice ! » CHAPITRE D’ALICE. VoilĂ  ! » cria Alice, oubliant tout Ă  fait dans le trouble du moment combien elle avait grandi depuis quelques instants, et elle se leva si brusquement qu’elle accrocha le banc des jurĂ©s avec le bord de sa robe, et le renversa, avec tous ses occupants, sur la tĂȘte de la foule qui se trouvait au-dessous, et on les vit se dĂ©battant de tous cĂŽtĂ©s, comme les poissons rouges du vase qu’elle se rappelait avoir renversĂ© par accident la semaine prĂ©cĂ©dente. Oh ! je vous demande bien pardon ! » s’écria-t-elle toute confuse, et elle se mit Ă  les ramasser bien vite, car l’accident arrivĂ© aux poissons rouges lui trottait dans la tĂȘte, et elle avait une idĂ©e vague qu’il fallait les ramasser tout de suite et les remettre sur les bancs, sans quoi ils mourraient. Le procĂšs ne peut continuer, » dit le Roi d’une voix grave, avant que les jurĂ©s soient tous Ă  leurs places ; tous ! » rĂ©pĂ©ta-t-il avec emphase en regardant fixement Alice. Alice regarda le banc des jurĂ©s, et vit que dans son empressement elle y avait placĂ© le LĂ©zard la tĂȘte en bas, et le pauvre petit ĂȘtre remuait la queue d’une triste façon, dans l’impossibilitĂ© de se redresser ; elle l’eut bientĂŽt retournĂ© et replacĂ© convenablement. Non que cela soit bien important, » se dit-elle, car je pense qu’il serait tout aussi utile au procĂšs la tĂȘte en bas qu’autrement. » SitĂŽt que les jurĂ©s se furent un peu remis de la secousse, qu’on eut retrouvĂ© et qu’on leur eut rendu leurs ardoises et leurs crayons, ils se mirent fort diligemment Ă  Ă©crire l’histoire de l’accident, Ă  l’exception du LĂ©zard, qui paraissait trop accablĂ© pour faire autre chose que demeurer la bouche ouverte, les yeux fixĂ©s sur le plafond de la salle. Que savez-vous de cette affaire-lĂ  ? » demanda le Roi Ă  Alice. Rien, » rĂ©pondit-elle. Rien absolument ? » insista le Roi. Rien absolument, » dit Alice. VoilĂ  qui est trĂšs-important, » dit le Roi, se tournant vers les jurĂ©s. Ils allaient Ă©crire cela sur leurs ardoises quand le Lapin Blanc interrompant Peu important, veut dire Votre MajestĂ©, sans doute, » dit-il d’un ton trĂšs-respectueux, mais en fronçant les sourcils et en lui faisant des grimaces. Peu important, bien entendu, c’est ce que je voulais dire, » rĂ©pliqua le Roi avec empressement. Et il continua de rĂ©pĂ©ter Ă  demi-voix TrĂšs-important, peu important, peu important, trĂšs-important ; » comme pour essayer lequel des deux Ă©tait le mieux sonnant. Quelques-uns des jurĂ©s Ă©crivirent trĂšs-important, » d’autres, peu important. » Alice voyait tout cela, car elle Ă©tait assez prĂšs d’eux pour regarder sur leurs ardoises. Mais cela ne fait absolument rien, » pensa-t-elle. À ce moment-lĂ , le Roi, qui pendant quelque temps avait Ă©tĂ© fort occupĂ© Ă  Ă©crire dans son carnet, cria Silence ! » et lut sur son carnet RĂšgle Quarante-deux Toute personne ayant une taille de plus d’un mille de haut devra quitter la cour. » Tout le monde regarda Alice. Je n’ai pas un mille de haut, » dit-elle. Si fait, » dit le Roi. PrĂšs de deux milles, » ajouta la Reine. Eh bien ! je ne sortirai pas quand mĂȘme ; d’ailleurs cette rĂšgle n’est pas d’usage, vous venez de l’inventer. » C’est la rĂšgle la plus ancienne qu’il y ait dans le livre, » dit le Roi. Alors elle devrait porter le numĂ©ro Un. » Le Roi devint pĂąle et ferma vivement son carnet. DĂ©libĂ©rez, » dit-il aux jurĂ©s d’une voix faible et tremblante. Il y a d’autres dĂ©positions Ă  recevoir, s’il plaĂźt Ă  Votre MajestĂ©, » dit le Lapin, se levant prĂ©cipitamment ; on vient de ramasser ce papier. » Qu’est-ce qu’il y a dedans ? » dit la Reine. Je ne l’ai pas encore ouvert, » dit le Lapin Blanc ; mais on dirait que c’est une lettre Ă©crite par l’accusĂ© Ă  — Ă  quelqu’un. » Cela doit ĂȘtre ainsi, » dit le Roi, Ă  moins qu’elle ne soit Ă©crite Ă  personne, ce qui n’est pas ordinaire, vous comprenez. » À qui est-elle adressĂ©e ? » dit un des jurĂ©s. Elle n’est pas adressĂ©e du tout, » dit le Lapin Blanc ; au fait, il n’y a rien d’écrit Ă  l’extĂ©rieur. » Il dĂ©plia le papier tout en parlant et ajouta Ce n’est pas une lettre, aprĂšs tout ; c’est une piĂšce de vers. » Est-ce l’écriture de l’accusĂ© ? » demanda un autre jurĂ©. Non, » dit le Lapin Blanc, et c’est ce qu’il y a de plus drĂŽle. » Les jurĂ©s eurent tous l’air fort embarrassĂ©. Il faut qu’il ait imitĂ© l’écriture d’un autre, » dit le Roi. Les jurĂ©s reprirent l’air serein. Pardon, Votre MajestĂ©, » dit le Valet, ce n’est pas moi qui ai Ă©crit cette lettre, et on ne peut pas prouver que ce soit moi ; il n’y a pas de signature. » Si vous n’avez pas signĂ©, » dit le Roi, cela ne fait qu’empirer la chose ; il faut absolument que vous ayez eu de mauvaises intentions, sans cela vous auriez signĂ©, comme un honnĂȘte homme. » LĂ -dessus tout le monde battit des mains ; c’était la premiĂšre rĂ©flexion vraiment bonne que le Roi eĂ»t faite ce jour-lĂ . Cela prouve sa culpabilitĂ©, » dit la Reine. Cela ne prouve rien, » dit Alice. Vous ne savez mĂȘme pas ce dont il s’agit. » Lisez ces vers, » dit le Roi. Le Lapin Blanc mit ses lunettes. Par oĂč commencerai-je, s’il plaĂźt Ă  Votre MajestĂ© ? » demanda-t-il. Commencez par le commencement, » dit gravement le Roi, et continuez jusqu’à ce que vous arriviez Ă  la fin ; lĂ , vous vous arrĂȘterez. » Voici les vers que lut le Lapin Blanc On m’a dit que tu fus chez elle Afin de lui pouvoir parler, Et qu’elle assura, la cruelle, Que je ne savais pas nager ! BientĂŽt il leur envoya dire Nous savons fort bien que c’est vrai ! Qu’il ne faudrait pas en mĂ©dire, Ou gare les coups de balai ! J’en donnai trois, elle en prit une ; Combien donc en recevrons-nous ? Il y a lĂ  quelque lacune. Toutes revinrent d’eux Ă  vous. Si vous ou moi, dans cette affaire, Étions par trop embarrassĂ©s, Prions qu’il nous laisse, confrĂšre, Tous deux comme il nous a trouvĂ©s. Vous les avez, j’en suis certaine, Avant que de ses nerfs l’accĂšs Ne bouleversĂąt l’inhumaine, TrompĂ©s tous trois avec succĂšs. Cachez-lui qu’elle les prĂ©fĂšre ; Car ce doit ĂȘtre, par ma foi, Et sera toujours, je l’espĂšre Un secret entre vous et moi. » VoilĂ  la piĂšce de conviction la plus importante que nous ayons eue jusqu’à prĂ©sent, » dit le Roi en se frottant les mains ; ainsi, que le jury maintenant — — » S’il y a un seul des jurĂ©s qui puisse l’expliquer, » dit Alice elle Ă©tait devenue si grande dans ces derniers instants qu’elle n’avait plus du tout peur de l’interrompre, je lui donne une piĂšce de dix sous. Je ne crois pas qu’il y ait un atome de sens commun lĂ -dedans. » Tous les jurĂ©s Ă©crivirent sur leurs ardoises Elle ne croit pas qu’il y ait un atome de sens commun lĂ -dedans, » mais aucun d’eux ne tenta d’expliquer la piĂšce de vers. Si elle ne signifie rien, » dit le Roi, cela nous Ă©pargne un monde d’ennuis, vous comprenez ; car il est inutile d’en chercher l’explication ; et cependant je ne sais pas trop, » continua-t-il en Ă©talant la piĂšce de vers sur ses genoux et les regardant d’un Ɠil ; il me semble que j’y vois quelque chose, aprĂšs tout. Que je ne savais pas nager ! » Vous ne savez pas nager, n’est-ce pas ? » ajouta-t-il en se tournant vers le Valet. Le Valet secoua la tĂȘte tristement. En ai-je l’air, » dit-il. Non, certainement, il n’en avait pas l’air, Ă©tant fait tout entier de carton. Jusqu’ici c’est bien, » dit le Roi ; et il continua de marmotter tout bas, Nous savons fort bien que c’est vrai. » C’est le jury qui dit cela, bien sĂ»r ! J’en donnai trois, elle en prit une ; » justement, c’est lĂ  ce qu’il fit des tartes, vous comprenez. » Mais vient ensuite Toutes revinrent d’eux Ă  vous, » » dit Alice. Tiens, mais les voici ! » dit le Roi d’un air de triomphe, montrant du doigt les tartes qui Ă©taient sur la table. Il n’y a rien de plus clair que cela ; et encore Avant que de ses nerfs l’accĂšs. » Vous n’avez jamais eu d’attaques de nerfs, je crois, mon Ă©pouse ? » dit-il Ă  la Reine. Jamais ! » dit la Reine d’un air furieux en jetant un encrier Ă  la tĂȘte du LĂ©zard. Le malheureux Jacques avait cessĂ© d’écrire sur son ardoise avec un doigt, car il s’était aperçu que cela ne faisait aucune marque ; mais il se remit bien vite Ă  l’ouvrage en se servant de l’encre qui lui dĂ©coulait le long de la figure, aussi longtemps qu’il y en eut. Non, mon Ă©pouse, vous avez trop bon air, » dit le Roi, promenant son regard tout autour de la salle et souriant. Il se fit un silence de mort. C’est un calembour, » ajouta le Roi d’un ton de colĂšre ; et tout le monde se mit Ă  rire. Que le jury dĂ©libĂšre, » ajouta le Roi, pour Ă  peu prĂšs la vingtiĂšme fois ce jour-lĂ . Non, non, » dit la Reine, l’arrĂȘt d’abord, on dĂ©libĂ©rera aprĂšs. » Cela n’a pas de bon sens ! » dit tout haut Alice. Quelle idĂ©e de vouloir prononcer l’arrĂȘt d’abord ! » Taisez-vous, » dit la Reine, devenant pourpre de colĂšre. Je ne me tairai pas, » dit Alice. Qu’on lui coupe la tĂȘte ! » hurla la Reine de toutes ses forces. Personne ne bougea. On se moque bien de vous, » dit Alice elle avait alors atteint toute sa grandeur naturelle. Vous n’ĂȘtes qu’un paquet de cartes ! » LĂ -dessus tout le paquet sauta en l’air et retomba en tourbillonnant sur elle ; Alice poussa un petit cri, moitiĂ© de peur, moitiĂ© de colĂšre, et essaya de les repousser ; elle se trouva Ă©tendue sur le gazon, la tĂȘte sur les genoux de sa sƓur, qui Ă©cartait doucement de sa figure les feuilles mortes tombĂ©es en voltigeant du haut des arbres. RĂ©veillez-vous, chĂšre Alice ! » lui dit sa sƓur. Quel long somme vous venez de faire ! » Oh ! j’ai fait un si drĂŽle de rĂȘve, » dit Alice ; et elle raconta Ă  sa sƓur, autant qu’elle put s’en souvenir, toutes les Ă©tranges aventures que vous venez de lire ; et, quand elle eut fini son rĂ©cit, sa sƓur lui dit en l’embrassant Certes, c’est un bien drĂŽle de rĂȘve ; mais maintenant courez Ă  la maison prendre le thĂ© ; il se fait tard. » Alice se leva donc et s’éloigna en courant, pensant le long du chemin, et avec raison, quel rĂȘve merveilleux elle venait de faire. Mais sa sƓur demeura assise tranquillement, tout comme elle l’avait laissĂ©e, la tĂȘte appuyĂ©e sur la main, contemplant le coucher du soleil et pensant Ă  la petite Alice et Ă  ses merveilleuses aventures ; si bien qu’elle aussi se mit Ă  rĂȘver, en quelque sorte ; et voici son rĂȘve — D’abord elle rĂȘva de la petite Alice personnellement — les petites mains de l’enfant Ă©taient encore jointes sur ses genoux, et ses yeux vifs et brillants plongeaient leur regard dans les siens. Elle entendait jusqu’au son de sa voix ; elle voyait ce singulier petit mouvement de tĂȘte par lequel elle rejetait en arriĂšre les cheveux vagabonds qui sans cesse lui revenaient dans les yeux ; et, comme elle Ă©coutait ou paraissait Ă©couter, tout s’anima autour d’elle et se peupla des Ă©tranges crĂ©atures du rĂȘve de sa jeune sƓur. Les longues herbes bruissaient Ă  ses pieds sous les pas prĂ©cipitĂ©s du Lapin Blanc ; la Souris effrayĂ©e faisait clapoter l’eau en traversant la mare voisine ; elle entendait le bruit des tasses, tandis que le LiĂšvre et ses amis prenaient leur repas qui ne finissait jamais, et la voix perçante de la Reine envoyant Ă  la mort ses malheureux invitĂ©s. Une fois encore l’enfant-porc Ă©ternuait sur les genoux de la Duchesse, tandis que les assiettes et les plats se brisaient autour de lui ; une fois encore la voix criarde du Griffon, le grincement du crayon d’ardoise du LĂ©zard, et les cris Ă©touffĂ©s des cochons d’Inde mis dans le sac par ordre de la cour, remplissaient les airs, en se mĂȘlant aux sanglots que poussait au loin la malheureuse Fausse-Tortue. C’est ainsi qu’elle demeura assise, les yeux fermĂ©s, et se croyant presque dans le Pays des Merveilles, bien qu’elle sĂ»t qu’elle n’avait qu’à rouvrir les yeux pour que tout fĂ»t changĂ© en une triste rĂ©alitĂ© les herbes ne bruiraient plus alors que sous le souffle du vent, et l’eau de la mare ne murmurerait plus qu’au balancement des roseaux ; le bruit des tasses deviendrait le tintement des clochettes au cou des moutons, et elle reconnaĂźtrait les cris aigus de la Reine dans la voix perçante du petit berger ; l’éternuement du bĂ©bĂ©, le cri du Griffon et tous les autres bruits Ă©tranges ne seraient plus, elle le savait bien, que les clameurs confuses d’une cour de ferme, tandis que le beuglement des bestiaux dans le lointain remplacerait les lourds sanglots de la Fausse-Tortue. Enfin elle se reprĂ©senta cette mĂȘme petite sƓur, dans l’avenir, devenue elle aussi une grande personne ; elle se la reprĂ©senta conservant, jusque dans l’ñge mĂ»r, le cƓur simple et aimant de son enfance, et rĂ©unissant autour d’elle d’autres petits enfants dont elle ferait briller les yeux vifs et curieux au rĂ©cit de bien des aventures Ă©tranges, et peut-ĂȘtre mĂȘme en leur contant le songe du Pays des Merveilles du temps jadis elle la voyait partager leurs petits chagrins et trouver plaisir Ă  leurs innocentes joies, se rappelant sa propre enfance et les heureux jours d’étĂ©. FIN.

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Logiciens et psychanalystes pensent tous que l’organisation de notre monde » dĂ©pend du langage que nous parlons. Pourtant, lorsque les uns et les autres prennent des exemples de polysĂ©mie, en grammaire et en sĂ©mantique, ils ne s’y retrouvent plus. C’est que les logiciens s’intĂ©ressent aux dĂ©ductions, aux infĂ©rences si on change l’ordre de la grammaire, que deviennent nos perceptions ? Telle est l’épreuve Ă  laquelle se soumet et nous soumet Alice. Mais en logique le critĂšre des dĂ©ductions valides sert Ă  dĂ©terminer, in fine un rapport correct Ă  la rĂ©fĂ©rence car l’ordre naturel des langues, les grammaires et la philosophie sont souvent fautifs Ă  ce titre. Au contraire, en psychanalyse, on ne corrige pas la maniĂšre dont une langue ou un discours vise une rĂ©fĂ©rence ; on suspend avec mĂ©thode la considĂ©ration de la rĂ©fĂ©rence puisque le principe de rĂ©alitĂ© » est une modification interne du principe de plaisir. On ne veut pas corriger logiquement le rapport Ă  la rĂ©alitĂ©, on veut laisser se dĂ©ployer et se transformer la polyvocitĂ© des langages par lesquels se dĂ©ploient nos dĂ©sirs. C’est un travail interne aux illusions. D’oĂč, par exemple, l’expression freudienne de travail du rĂȘve » ou celle de Lacan grammaire des pulsions ».Du coup, lorsqu’un psychanalyste est attentif Ă  l’usage des exemples par un logicien, il se trouve transporté  au pays des merveilles, et l’inverse a lieu aussi. C’est Ă  ce dĂ©paysement que nous convie Ali Carroll disait d’Oxford ceci Ici, il n’arrive jamais rien. Jamais, il n’y eut un lieu pareil pour ne point faire se produire les choses. » OĂč se produisent donc les choses ? Allons au pays des merveilles, lĂ  oĂč le sommeil a son monde Ă  lui » et qui est parfois aussi vrai que l’autre [1] ». À prendre ce pays des merveilles au sĂ©rieux, nous saurons combien nous veillons dormant et nous dormons veillant [2] », combien nous savons en rĂȘve ce que nous ignorons en vĂ©ritĂ© » et comment l’émerveillement s’oppose point par point Ă  l’ennui FatiguĂ©e de ne rien Ă  faire » tired [
] of having nothing to do, Alice quitte sa sƓur pour le terrier du lapin car le livre sur lequel elle se penche et que lit sa sƓur ne comprend ni conversations, ni images. Le terrier lui offrira des conversations Ă  bĂątons rompus et des images oniriques surprenantes. L’émerveillement s’oppose, pourrait-on dire, Ă  l’ennui. Selon la vie ennuyeuse, tout est dit, tout se rĂ©pĂšte, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Dans l’émerveillement, on est sauvĂ© de cette morne incuriositĂ© », ou de ce dĂ©sespoir fiĂ©vreux par la soudaine dĂ©couverte d’autre chose d’un monde qui change et d’un moi capable de se transformer [3]. » 2Cela se cristallise dans la polysĂ©mie du mot wonder On dit tout aussi bien I wonder who’s at the door Je me demande qui est Ă  la porte il est question de beaucoup de portes et de clĂ©s dans l’ouvrage de Carroll ; I wonder at your behaviour votre comportement m’étonne tous les comportements auxquels Alice est exposĂ©e sont Ă©tranges ; a wonderful sky un ciel admirable, the seven wonders of the world les sept merveilles du monde [4] et bien sĂ»r Alice’s adventures in wonderland Les Aventures d’Alice au pays des merveilles. Le premier sens est rĂ©current Je me demande. » Alice ne cesse d’associer sa question Je me demande » Ă  l’étrangetĂ©, au caractĂšre bizarre de la soudaine nouveautĂ©, ou soudaine nouvelletĂ© the out of the way things. J’aborderai ce qu’on appelle l’ardeur juvĂ©nile », la fraĂźcheur juvĂ©nile » par ce biais le rapport radical Ă  la nouveautĂ© qui rompt non seulement avec l’ennui, mais aussi avec les corrĂ©lations coutumiĂšres, les habitudes. 3Du coup, c’est bien d’une attitude et non d’un Ăąge qu’il s’agit, une attitude de constante curiositĂ© et de constante transformation oĂč le langage lui-mĂȘme emprunte des chemins labyrinthiques et accompagne par un dĂ©sordre apparent du sens les aventures d’ sensoriel, Ă©gocentricitĂ© et attente perceptive l’estime des apparences4Dans le jugement de perception Ceci est chaud », on passe de l’état primitif du langage oĂč chaud » est un mot-objet Ă  valeur Ă©gocentrique, Ă  un jugement oĂč ce mot a perdu cette valeur En passant de “chaud’’ Ă  “ceci est chaud”, nous effectuons une analyse la qualitĂ© “chaud” est dĂ©lestĂ©e de son Ă©gocentricitĂ© et l’élĂ©ment Ă©gocentrique prĂ©cĂ©demment implicite est rendu explicite par les mots “ceci est”. Ainsi, dans un langage Ă©voluĂ©, des mots tels que “chaud”, “rouge”, “doux”, etc., ne sont pas Ă©gocentriques [5]. » C’est ce qui se passe d’ordinaire dans le langage, mais, dans le conte de Lewis Carroll, les mots gardent leur Ă©gocentricitĂ© Mange-moi », Ă©crit sur le pot de confiture, bois-moi » Ă©crit sur la bouteille. 5Avec le maintien de l’égocentricitĂ©, c’est-Ă -dire d’une rĂ©fĂ©rence directe Ă  un je-ici-maintenant », il y a le maintien de l’activitĂ© de dĂ©nomination, alors que celle-ci laisse en gĂ©nĂ©ral dans le langage coutumier place Ă  de la description on lit des ouvrages d’histoire et de gĂ©ographie et on apprend par description sans refaire le voyage de Magellan, par exemple au cap Horn, pour le nommer. On fait en somme confiance Ă  la description. L’expĂ©rience perceptive n’est pas rĂ©sorbĂ©e dans le langage et ne se rĂ©duit pas Ă  chaque fois au noyau sensoriel, ce qui est immĂ©diatement donnĂ© aux sens. 6L’expĂ©rience perceptive se traduit habituellement par une attente quand on voit un chat, on s’attend Ă  ce qu’il miaule, Ă  ce qu’il ait une dĂ©marche fĂ©line, mais il reste qu’il est logiquement possible que ces choses attendues phĂ©nomĂ©nologiquement n’aient pas lieu. Nous sommes alors dans le monde supposĂ© Ă©trange d’Alice, au pays des merveilles, oĂč les sensations ont lieu sans les expĂ©riences perceptives. Le chat de Chester apparaĂźt et disparaĂźt, et l’étrangetĂ© n’est pas rĂ©duite quand, satisfaisant Alice, il ne disparaĂźt pas aussi vite qu’il apparaĂźt, quand Alice ne voit de lui qu’un sourire elle savait ce qu’était un chat sans sourire, mais un sourire sans chat ? À l’apparition onirique ou hallucinatoire correspond le nouvel ordre des mots sourire sans chat en lieu et place de chat sans sourire. D’ailleurs, quand on pose une question et qu’on n’a pas la rĂ©ponse, peu importe l’ordre des mots, lit-on Ă  propos de la question d’Alice les chats mangent-ils les chauves souris ou les chauves-souris mangent-elles les chats ? 7 J’aimerais bien que vous cessiez d’apparaĂźtre et de disparaĂźtre si rapidement », dit Alice au chat de Chester ; trĂšs bien’’ dit le chat, et cette fois il s’évanouit lentement, en commençant par le bout de sa queue pour finir par le sourire qui demeura en suspens quelque temps aprĂšs tout le reste [6]. » Alice a donc des sensations sans expĂ©rience perceptive et l’épreuve qu’elle vit est celle de la dĂ©liaison permanente entre le noyau sensoriel et l’expĂ©rience perceptive, dĂ©liaison qui met Ă  mal l’infĂ©rence de l’un Ă  l’autre. 8Trois remarques Ă  ce sujet 91 En l’absence de cette Ă©preuve extrĂȘme, nous vivons, Ă  l’état de veille, une amplification de notre sensation par ce procĂ©dĂ© d’infĂ©rence que Bertrand Russell qualifiait de spontanĂ© », d’ animal », d’ instinctif », et qui nous rappelle l’enracinement organique de la croyance je vois quelque chose de lourd que j’ai Ă  porter et mon corps s’attend Ă  cela et agit en consĂ©quence. Mais Alice est en apesanteur puisqu’elle tombe dans le terrier sans se faire mal. Elle a perdu ce sens organique de la croyance. 102 GrĂące Ă  l’épreuve extrĂȘme d’Alice, nous comprenons que ce que le sens commun accepte de maniĂšre non critique comme une donnĂ©e de la perception est bien souvent infĂ©rĂ©, construit. Or, seuls nos sensations et nos souvenirs sont des donnĂ©es vĂ©ritables pour notre connaissance du monde extĂ©rieur. Nous devons exclure de notre liste de donnĂ©es, non seulement les choses que nous infĂ©rons de façon consciente, mais aussi tout ce qui est obtenu par infĂ©rence animale, comme la duretĂ© imaginĂ©e d’un objet vu mais non touchĂ© [7] », ou encore l’idĂ©e que c’est bien le mĂȘme chien dont il s’agit quand l’on l’entend seulement aboyer parce que momentanĂ©ment un arbuste le cache. 113 Le problĂšme du solipsisme se pose dans le cas d’Alice. Si, d’une part toutes les donnĂ©es sont privĂ©es et s’il n’y a pas d’argument, dĂ©montrable logiquement, qui me permette de passer d’une donnĂ©e Ă  une autre, alors il peut sembler que je sois obligĂ© de ne croire qu’en ma seule existence. Mais, en rĂ©alitĂ©, toute parole en mon nom suppose que je sache comment dĂ©limiter le moi par rapport Ă  ce qui n’est pas moi, ce qui donc suppose l’existence d’autre chose que moi Si les autres personnes et les choses n’existaient pas, le mot moi-mĂȘme’’ perdrait son sens, car c’est un mot qui dĂ©limite et exclut [8]. » Il n’est pas sĂ»r qu’Alice, devenue une perception, un tĂ©lescope, un serpent, puisse dire moi ». Le solipsisme reste et catĂ©gorisation12 Qui es-tu ? », demande la chenille Ă  Alice, en donnant un conseil de poids Ă  la petite fille Ne perdez jamais votre sang-froid » never lose your temper et keep your temper. Il arrive souvent qu’Alice soit contredite, or elle doit faire avec les contrariĂ©tĂ©s que cette nouvelle vie, oĂč toutes ses habitudes sont suspendues, lui impose. La question sur l’identitĂ© n’arrive qu’à la faveur d’un dĂ©placement Alice tombe dans le terrier du lapin et se trouve en apesanteur, perdant cette qualitĂ© premiĂšre qu’est la gravitĂ©, la petite fille devient elle-mĂȘme une perception, ou plutĂŽt tend Ă  ĂȘtre une perception parmi les perceptions. Dans une veine humienne, Lewis Carroll refuse le dĂ©doublement d’une perception et de son objet. En rĂ©alitĂ©, une perception considĂ©rĂ©e pour elle-mĂȘme est un objet Ă  part entiĂšre, et une perception considĂ©rĂ©e dans sa liaison avec d’autres perceptions est un acte de l’esprit. Il n’y a donc pas de dualitĂ©, mais un simple changement de point de vue. Ici, les perceptions ne sont pas reliĂ©es pour faire esprit, ce sont donc les choses elles-mĂȘmes. 13Le pigeon ne s’y trompe pas il ne pose pas la question Qui ĂȘtes-vous ? », mais Qu’ĂȘtes-vous ? [9] », laissant Alice avec l’énigme d’ĂȘtre en un sens un serpent parce qu’elle partage avec cet animal l’apparence extĂ©rieure le cou trĂšs long et la propriĂ©tĂ© de manger comme lui des Ɠufs. Se pose en filigrane dans cet exemple la remise en cause de la dĂ©finition de ce qu’est une espĂšce vivante jusqu’à Darwin, on mettait en avant les ressemblances et non la descendance ou la filiation. La parodie de cette dĂ©finition de l’espĂšce par la ressemblance, c’est que, sous un certain aspect, tout ressemble Ă  tout. 14Le changement de lieu est un prĂ©alable pour de nombreuses mĂ©tamorphoses Alice change de taille et ne peut plus expliquer ce qu’elle est, ni reconnaĂźtre des parties d’elle-mĂȘme comme Ă©tant d’elle-mĂȘme pieds, Ă©paules, etc. Les pieds devenus lointains sont comme des donnĂ©es Ă  part. Aristote avait explicitement posĂ© le problĂšme de l’unitĂ© substantielle de l’individu dans le traitĂ© des CatĂ©gories ma main a-t-elle une quelconque autonomie par rapport Ă  moi ? Il avait tranchĂ© en expliquant que telle main n’est pas telle main donnĂ©e de quelqu’un, mais la main de quelqu’un. Les parties du corps ne sont donc pas en relation avec nous, mais sont de nous. On ne peut se juger si on ne s’y connaĂźt pas en catĂ©gories [10] », notait Wittgenstein Ă  la fin des Remarques mĂȘlĂ©es. 15Cependant, pour Alice, de quoi pouvons-nous avoir l’air quand notre taille se rĂ©duit jusqu’à n’ĂȘtre plus que celle d’une flamme qui va s’éteindre ou quand le cou est si grand qu’il s’apparente plus Ă  une tige vĂ©gĂ©tale qu’à un cou humain ? Le Gulliver de Swift se rĂ©veille comme corps dont toutes les sensations sont discontinues les unes d’avec les autres et surtout hĂ©tĂ©rogĂšnes l’orteil, le bras, prennent leur autonomie face au reste du corps en raison de leur taille disproportionnĂ©e par rapport Ă  la cause de leur stimulation les attaques des lilliputiens. Comment peut-on garder une quelconque affinitĂ© avec nos pieds ou mĂȘme avec nos Ă©paules, quand notre cou entortillĂ© comme un serpent est devenu dĂ©mesurĂ©ment long ? 16VoilĂ  bien des images de rĂȘve ou des hallucinations auxquelles on aurait tort de prĂȘter moins d’attention que celle que l’on porte Ă  l’univers physique qui nous entoure et qui n’est qu’une vaste construction Les fantĂŽmes et les hallucinations pris en eux-mĂȘmes sont exactement sur le mĂȘme niveau que les donnĂ©es sensorielles ordinaires. Ils ne diffĂšrent des donnĂ©es sensorielles ordinaires que par le fait qu’ils n’ont pas avec les autres choses les corrĂ©lations habituelles. En eux-mĂȘmes ils ont la mĂȘme rĂ©alitĂ© que les donnĂ©es sensorielles ordinaires [11]. » Alice perd la continuitĂ©, et la corrĂ©lation, de ses impressions et nous fait entendre que cette continuitĂ© ainsi que cette corrĂ©lation sont une construction les corrĂ©lations coutumiĂšres sont comme mises en suspens par l’expĂ©rience onirique. À l’état brut ou donnĂ©, nos impressions sont bien discontinues, mais la discontinuitĂ© ne signifie pas irrĂ©alitĂ© aucune ne se dĂ©duit de la prĂ©cĂ©dente de maniĂšre logique et toutes ont une pleine rĂ©alitĂ©. La fable de la vie est de construire le lien d’habitude entre elles. 17C’est la grande dĂ©couverte de David Hume les donnĂ©es privĂ©es de nos sens sont toutes autonomes et pleinement rĂ©elles ; toute connexion entre elles est une construction. C’est pourquoi il faut prendre nos rĂȘves au sĂ©rieux, ils nous informent sur la nature de nos impressions, sans toutes les constructions mentales de la vie diurne. Les associations libres de Freud nous font entendre que nos perceptions, nos pensĂ©es supposent un lien. Mais ce lien est tout sauf logique, aucune dĂ©duction ne saurait l’imposer. Prenons-le pour fortuit pour comprendre combien les liens que nous pensons non fortuits sont d’abord des liens construits on Ă©vite de faire de ces liens des donnĂ©es et, consĂ©quemment, de les essentialiser ou, pire encore, d’en faire un destin nĂ©cessaire. Si ces liens font destin, c’est Ă  la faveur d’une pure contingence et Ă  la maniĂšre d’une fable, d’un conte. 18En rĂ©alitĂ©, peu de chose nous est donnĂ©. Nous commençons par les associer par la conjonction, avant de les rendre dĂ©pendantes l’une de l’autre par la prĂ©dication. Le et » prĂ©cĂšde et conditionne le est ». Mais nous ne nous rendons compte de la force de la conjonction que par le rĂȘve bien souvent je vois du caillou, je vois du bleu, ou bien je vois un corbeau et je vois du noir, c’est lĂ  des conjonctions. Puis je dis que le caillou est bleu » ou le corbeau est noir [12] » ce sont des prĂ©dications. Je commence Ă  associer librement avant d’identifier, avant de focaliser sur une rĂ©alitĂ©. Pour Ă©viter Ă  la fois l’apothĂ©ose de la copule est » dans le jugement prĂ©dicatif et l’absolutisation du verbe ĂȘtre », faisons justice Ă  la conjonction pour en finir, comme dirait Gilles Deleuze, avec le jugement. C’est pourquoi, en toute logique, nous pouvons ĂȘtre solipsistes le monde peut avoir commencĂ©, il y a cinq minutes, tant que je ne mobilise pas tous les postulats ou demandes rationnelles, comme, par exemple, la continuitĂ© spatio-temporelle, l’analogie ou les lignes causales [13] chacun de ces postulats affirme que quelque chose se produit souvent » et chacun justifie une attente rationnelle qui n’atteint pas la certitude [14] ». Ces postulats font passer nos prĂ©dications pour naturelles, alors qu’elles sont le produit de rĂ©ifications et de focalisations multiples Pour le trĂšs jeune enfant, qui n’est pas allĂ© au-delĂ  des Ă©noncĂ©s d’observation, la prĂ©sentation rĂ©pĂ©tĂ©e d’un corps ne diffĂšre pas beaucoup d’effets stimulatoires semblables qui de toute Ă©vidence n’entraĂźnent pas de rĂ©ification. La mise en prĂ©sence rĂ©pĂ©tĂ©e avec une balle ne diffĂšre pas au dĂ©but de la simple exposition rĂ©pĂ©tĂ©e Ă  la lumiĂšre du soleil ou Ă  l’air frais savoir s’il s’agit toujours de la mĂȘme balle n’a pas plus de sens que de savoir s’il s’agit du mĂȘme rayon de soleil ou de la mĂȘme brise. À ce stade, selon l’expression de Strawson, l’expĂ©rience est comme la mise en place du spectacle. L’individuation viendra plus tard [15]. » La vie est rĂ©alitĂ© construite. Tant de poĂ©sie dans le juvĂ©nile ! Le texte de Lewis Carroll est ponctuĂ© de poĂ©sies plus ou moins absurdes. 19Alice est juvĂ©nile. RĂ©duite Ă  son noyau sensoriel donnĂ©, sans expĂ©rience perceptive construite, elle nous indique cette place solipsiste oĂč le rĂȘve nous introduit et Ă  laquelle il est toujours bon de revenir pour mesurer le type de lien qui nous la fait oublier. Alice sait qu’elle n’est ni Marion, ni aucune de ses autres amies, mais, positivement, il est difficile de dire ce qu’elle est, ayant tant changĂ© que tout critĂšre d’identitĂ© se trouve lui-mĂȘme invalidĂ©. Elle est sans qualitĂ©s. Tout est emportĂ© dans ce branloire pĂ©renne » et le jugement et le jugĂ© [16] », et ce qu’elle dit d’elle-mĂȘme et elle-mĂȘme. Elle est donc bien perception parmi les perceptions. Il ne s’agit bien Ă©videmment pas d’un dĂ©doublement de personnalitĂ© la modification corporelle dit assez qu’Alice est plusieurs Alice, toutes distinctes les unes des autres comme nos donnĂ©es sensorielles, mais elles ne sont pas superposables simultanĂ©ment. Si Alice a du chagrin, il faut bien qu’elle soit noyĂ©e dans son chagrin elle aura ainsi la taille suffisamment petite pour nager dans la mare de larmes qu’elle a dĂ©versĂ©es quand elle fut plus grande. 20Parler d’identitĂ© comme d’une notion claire, stabilisĂ©e, peut-il faire encore sens ? La question de la chenille Qui es-tu ? » ne prend sens qu’à partir d’expĂ©riences de mĂ©tamorphoses, mĂȘme si la question revient aprĂšs un premier Ă©change verbal pour souligner que les interlocuteurs ont fait du sur place », indication d’un rĂ©el qui insiste parce qu’il n’est pas pris en compte. Que ce soient les mĂ©tamorphoses d’Alice ou les exploits de Don Quichotte, le sur place », la rĂ©alitĂ© Ă  laquelle on ne fait pas face, qu’on combat comme le fait Alice ou Don Quichotte par la colĂšre, par le fait de sortir de soi, est l’ombre portĂ©e de l’ un labyrinthe sĂ©mantique21C’est comme si, empruntant un labyrinthe, on se rend compte qu’on revient au mĂȘme endroit, qu’on est perdu comme la PhĂšdre de Racine Et PhĂšdre au labyrinthe avec vous descendue / se serait avec vous retrouvĂ©e ou perdue. » Le salut de PhĂšdre ne vient pas de la sortie du labyrinthe, mais d’ĂȘtre reconnue par Hippolyte. Dans le livre de Lewis Carroll, c’est sous forme d’un labyrinthe sĂ©mantique prĂ©sentĂ© cependant dans une correction syntaxique que l’attribution d’identitĂ© sera faite par la duchesse Ne t’imagine jamais ne pas ĂȘtre autrement que ce que qui pourrait sembler aux autres que ce que tu Ă©tais ou aurais pu ĂȘtre n’était pas autrement que ce que tu avais Ă©tĂ© leur aurait semblĂ© ĂȘtre autrement ». On est mis au dĂ©fi de suivre logiquement le sens de la phrase mĂȘme si, syntaxiquement, il n’y a rien Ă  redire [17]. La duchesse propose cette phrase comme un Ă©quivalent plus simple, pense-t-elle, de la phrase Soyez ce que vous voudriez sembler ĂȘtre. » On ne gagne pas nĂ©cessairement en signification par cette traduction en une phrase plus courte, car comment ĂȘtre ce que je veux sembler ĂȘtre si mon apparence doit encore convoquer ma volontĂ© pour coĂŻncider avec mon ĂȘtre ? 22Entre apparence, imagination, nĂ©gation et changement, l’identitĂ© devient un labyrinthe. Le trouble saisit Alice qui demande du papier et un crayon pour pouvoir parcourir Ă  nouveau la phrase. Elle ne la saisira pas plus, elle sera comme sous hypnose, continuant Ă  explorer ce monde Ă©trange dans lequel les choses bizarres the out of the way things deviennent au fur et Ă  mesure un peu moins surprenantes, non parce qu’elles sont devenues coutumiĂšres, mais parce qu’Alice a dĂ©veloppĂ© une accoutumance Ă  l’étrange. 23Quand Alice rĂ©pond Ă  la chenille qu’elle ne sait plus qui elle est, vu les nombreuses mĂ©tamorphoses qu’elle a connues depuis peu, les diffĂ©rents changements de taille, notamment, on voit bien qu’elle ne peut convaincre la chenille ne se mĂ©tamorphose-t-elle pas tout simplement en chrysalide, puis en papillon ? Il faut ou chercher ailleurs comment sortir du labyrinthe de l’identitĂ©, ou abandonner la question, en reconnaissant la continuitĂ© entre le monde animal et le monde humain condition pour se libĂ©rer non du sens mais de la recherche du finir avec le sens24Il y a loin du possible au croyable Il ne faut pas juger ce qui est possible et ce qui ne l’est pas selon ce qui est croyable et incroyable Ă  nos sens [18]. » Il y a la mesure de nos sens et celle de nos actions qui en dĂ©rivent aussi pensons-nous difficile de croire ce que nous ne savons pas faire Et est une grande faute en laquelle la plupart des hommes tombent ce que je ne dis pas pour Bodin de faire difficultĂ© de croire d’autrui ce qu’eux ne sauraient faire [19]. » L’expĂ©dient que les hommes trouvent pour limiter l’action de leurs semblables est de la dire impossible et incroyable. Le possible jugĂ© est niĂ©. 25– On ne peut pas croire des choses impossibles », dit Alice. 26– J’ose dire que vous ne vous y ĂȘtes pas beaucoup exercĂ©e », fit la Reine [20]. 27Pour libĂ©rer le possible du croyable, il importe de se libĂ©rer du sens. Pour en finir avec le sens comme d’autres, Deleuze en particulier, disaient en finir avec le jugement, il convient de faire le voyage dans les mots dont le rĂšgne est consacrĂ© par le monde onirique. 28La dĂ©composition du sens va au-delĂ  de sa dĂ©construction. Il ne s’agit pas de mettre en chantier, comme Jacques Derrida l’avait fait, les constructions du sens, mais de le dĂ©composer. Cela se fait de multiples façons. Toutes ces façons ont ceci de commun qu’elles agissent sur le contexte, sur les sonoritĂ©s, sur le comportement linguistique, sur les rites d’apprentissage scolaire, en laissant indemne le sens coutumier des mots. À aucun moment, le sens habituel des mots n’est remis en cause. Lewis Carroll agit sur la composition du sens non sur son acquisition. Quelques exemples 291 La rupture de construction du sens. Ce que l’on pourrait appeler l’anacoluthe du sens dans le chapitre sur la sĂ©ance de thĂ©. AprĂšs la dĂ©composition du temps successif il est toujours six heures, l’heure du thĂ© – le temps se venge car il est battu en musique –, on assiste Ă  la confrontation entre un sens prĂ©suppositionnel et un sens logique du mot plus ». Un peu plus de thĂ© », dit le liĂšvre de mars Ă  Alice. Comment puis-je en avoir plus, puisque je n’en ai pas encore eu ? » Le chapelier fou s’interpose Vous voulez dire comment avoir moins, car on a toujours plus que rien. » Le sens logico-mathĂ©matique de plus » est indĂ©niable, le sens prĂ©suppositionnel est indĂ©niable, et c’est la superposition des deux qui devient intenable. 302 L’apprentissage des rĂšgles de grammaire comprend une partie rituelle. Il suffit d’abstraire cet aspect rituel, de le considĂ©rer pour lui-mĂȘme, de l’isoler et de le cultiver pour faire apparaĂźtre sa part d’absurde une fois mis en contexte d’usage. Alice cherche Ă  parler Ă  la souris rencontrĂ©e au dĂ©but du conte au moment oĂč elle est noyĂ©e dans son chagrin, et qu’elle nage dans ses larmes. Comment s’adresser Ă  la souris ? Elle commence par dire Ô souris ! » C’est le vocatif. Elle se souvenait en effet avoir lu dans la grammaire latine de son frĂšre Une souris, d’une souris, Ă  une souris, par une souris, Ô souris [21] ! » Échec de communication l’apprentissage de la rĂšgle n’est pas apprentissage des contextes d’usage. Autre essai, en une autre langue, le français, car il se peut que ce soit une souris française venue avec Guillaume le ConquĂ©rant. Le deuxiĂšme essai fonctionne, mais produit un effet contraire la souris s’éloigne. Il vient aussi des leçons apprises. OĂč est ma chatte ? » c’était la premiĂšre phrase de son livre de français. La souris fait un bond hors de l’eau et frissonna d’épouvante [22]. » De nouveau, c’est la confrontation entre un exemple venu de l’apprentissage oĂč l’on apprend les rĂšgles pour elles-mĂȘmes en crĂ©ant une situation factice et un contexte d’usage, d’indexicalitĂ© oĂč la rĂ©fĂ©rence des mots est visĂ©e, qui produit une inquiĂ©tude quant au sens. C’est ce jeu entre les deux contextes qui prĂ©side Ă  l’ouverture de la piĂšce de théùtre de Ionesco La Cantatrice chauve. L’idĂ©e de M. Smith saluant Mme Smith, son Ă©pouse, et parvenant par l’échange verbal Ă  reconnaĂźtre qu’il s’agit de son Ă©pouse lui est venue par son dĂ©sir d’apprendre la langue anglaise par la mĂ©thode Assimil oĂč des phrases toutes faites de cet ordre Ă©taient proposĂ©es. Ionesco dĂ©crit qu’il n’a pas pu apprendre l’anglais, car il ne parvenait pas Ă  s’abstraire de l’indexicalitĂ© des mots en question. RĂ©sultat soit on apprend, sans faire jouer la rĂ©fĂ©rence, et c’est l’apprentissage qui tourne Ă  vide, soit on n’apprend pas, car en mobilisant la rĂ©fĂ©rence, on oublie la visĂ©e des exemples qui sont des exemples de laboratoire de langue et non des mots imprĂ©gnĂ©s de forme de vie. À chaque fois, on en finit avec le sens, restĂ© intact, indemne pourrait-on dire, immune mĂȘme. 313 L’homonymie se placer Ă  la surface des mots pour dĂ©velopper leur iconicitĂ© et leur fantaisie. Cette fois-ci, il s’agit d’en finir avec la synonymie. Prenez soin du sens, les sons prendront soin d’eux-mĂȘmes », dit la duchesse Ă  propos de la synonymie. Celle-ci est un grain de sable extra linguistique introduit dans la machine linguistique. Que serait en effet ce sens qui serait identique Ă  travers deux expressions diffĂ©rentes, et surtout oĂč siĂšgerait-il ? L’homonymie proposĂ©e n’est pas arbitraire, elle inaugure un sens nouveau. Sa place est reconnue, elle est Ă©talĂ©e devant nous dans la juxtaposition des homonymes. Tortoise/taught us, ou encore tale/tail, lesson/lessen. Il y a une matĂ©rialitĂ© et une spatialitĂ© de l’homonymie qui rĂ©siste Ă  toute dĂ©composition. En revanche, la synonymie suppose que nous puissions identifier un lieu idĂ©al oĂč elle tiendrait. Le problĂšme est que la synonymie suppose la postulation d’une thĂšse mĂ©taphysique forte il y aurait un ciel platonicien oĂč nous avons une identitĂ© du sens entre l’étoile du matin et l’étoile du soir, entre 2+2 et 3+1, etc. Une conception behavioriste et physicaliste oĂč la signification rĂ©sulte du comportement verbal de locuteurs en prĂ©sence de stimuli non verbaux selon les capteurs sensoriels est une objection forte contre la doctrine de la synonymie, car elle montre que le comportement n’est jamais une preuve univoque du sens [23] » et que deux individus diffĂ©rents ne sauraient ĂȘtre stimulĂ©s de la mĂȘme façon, mĂȘme s’il leur arrive d’acquiescer de mĂȘme façon. Mais l’identitĂ© d’assentiment n’est pas identitĂ© de signification. La premiĂšre sert des objectifs de communication, la seconde est en fait sans usage. Ajoutons que la recherche de la synonymie confine Ă  l’obsession de possession on dit que deux signes signifient la mĂȘme chose, comme on dirait de deux personnes qu’elles possĂšdent une mĂȘme maison, dit Wittgenstein [24], car on se met Ă  rechercher quelque chose que les deux signes signifient Moyennant quoi, on se met Ă  rechercher avec compulsion quelque chose qui tienne lieu de signification [25]. » Si c’est l’usage qui compte, et si nous utilisons une expression et non pas une autre, c’est que ce n’est pas la synonymie qui importe. 324 La remise en cause de la fonction phatique du langage, du dĂ©doublement du sens en propre et figurĂ©, des expressions idiomatiques je ne pense pas » au sens de je ne crois pas » – Alors taisez-vous » ; ou encore c’est changer souvent de taille qui me gĂȘne, vous savez » – Je ne sais pas. » On est dĂ©sorientĂ© sur la base d’une prĂ©servation du sens premier et mĂȘme prĂȘt Ă  perdre son sang froid, d’oĂč l’avis de la chenille never lose your temper. 335 L’inscrutabilitĂ© de la rĂ©fĂ©rence. Les indexicaux comme cela », les pronoms comme il », perdent leur fonction de focalisation sur telle ou telle rĂ©alitĂ©. Guillaume le ConquĂ©rant a envahi l’Angleterre avec l’aval des dignitaires anglais, que Guillaume le ConquĂ©rant ait envahi l’Angleterre, l’archevĂȘque trouva cela » raisonnable. Le problĂšme se pose À quoi renvoie cela » ? Si cela » a une fonction d’index d’une rĂ©alitĂ© parti- culiĂšre et concrĂšte, il ne peut renvoyer Ă  l’occupation de l’Angleterre qui ne fait pas partie de l’inventaire du monde, comme fait partie de cet inventaire une grenouille ou un ver pour un canard. On ne se sĂšche par le discours fonction symbolique que si l’on admet la perte progressive de l’égocentricitĂ© des mots et la possibilitĂ© de faire usage de la focalisation. Sinon, le discours reste un noyau sensoriel sans relĂšve linguistique, un rĂȘve humide en quelque sorte. 346 En finir avec le jugement aussi, et pas seulement avec le sens. La sanction d’abord, le jugement aprĂšs sentence first, verdict afterwards ». La reine a la possibilitĂ© d’aller dans les deux sens du temps du futur vers le passĂ© et du passĂ© vers le futur, elle peut donc parler de sanction avant de parler de jugement. Le temps lui obĂ©it en quelque sorte. Analytiquement, il s’agit en fait d’en finir avec le jugement, comme le dit Deleuze, car l’accusation, la dĂ©libĂ©ration, le verdict se confondent Ă  l’infini [26] ». Quatre auteurs emblĂ©matiques de cette confusion selon lui, mais on pourrait ajouter Lewis Carroll Artaud, Kafka, Nietzsche, Lawrence. Dans le livre de Lewis Carroll, c’est le jeu qui en finit avec le jugement moral la duchesse qui considĂšre que tout a une morale et qui est chassĂ©e par la Reine qui rappelle Ă  Alice l’importance du jeu Allons jouer. Le jeu d’un cĂŽtĂ© et le rĂȘve qui l’abrite de l’autre cĂŽtĂ© les deux constituent la distance qui permet de se guĂ©rir du jugement des autres, pour reprendre une expression d’Artaud utilisĂ©e dans sa correspondance avec Jacques RiviĂšre Ă  propos de la poĂ©sie, en 1923-1924. J’ai pour me guĂ©rir du jugement des autres, toute la distance qui me sĂ©pare de moi » Artaud Ă  Jacques RiviĂšre. La reine peut bien juger, et dire head off Ă  Alice, celle-ci, se rĂ©veillant petit Ă  petit, en retrouvant sa taille normale, c’est-Ă -dire en renouant avec la pesanteur, lui rĂ©torque Qui se soucie de vos ordres, vous n’ĂȘtes qu’un paquet de cartes. » Au sein mĂȘme du rĂȘve, les jugements de la Reine sont sans suite, car les mis Ă  mort partent avant, il arrive aussi Ă  la reine d’oublier, ou de donner le choix Ă  la duchesse par exemple, etc. À la place du jugement, il y a l’hypothĂšse et la considĂ©ration des faits et une partie de cartes qui ne finit jamais, soit parce qu’on se remet Ă  jouer, soit parce que le jeu terminĂ©, il n’y a ni consĂ©quence, ni importance. On suppose et on raconte, mais surtout on ne termine pas les histoires on ne saura jamais comment la pseudo-tortue est devenue fictive, elle qui fut bien rĂ©elle, on ne sait pas ce que la cuisiniĂšre cuisine dans sa marmite poivrĂ©e qui provoque tant d’éternuement. Tous les chemins mĂšnent bien quelque part pourvu qu’on les poursuive longtemps, dit le chat, et de mĂȘme pour les histoires. Le possible, l’hypothĂ©tique, Ă©chappent au jugement et Ă  la croyance qui ont tendance Ă  le convertir vite en impossible, et ce qui doit ĂȘtre les leçons, la morale, la grammaire laisse place Ă  ce qui pourrait ĂȘtre. Le lecteur reste avec son wondering, ses questions Ă©tranges, Ă  l’abri de la colĂšre. JuvĂ©nile donc mais jovial aussi. Notes [1] Lewis Carroll, Journal, 9 fĂ©vrier 1856. [2] Michel de Montaigne, Essais. [3] Michael Edwards, Shakespeare et la comĂ©die de l’émerveillement, Paris, DesclĂ©e de Brouwer, 2003, p. 17. [4] Ces exemples sont donnĂ©s par Michael Edwards, L’Émerveillement., p. 93. [5] George Allen & Unwin, An Inquiry into Meaning and Truth 1940, Londres, trad. franç. Signification et VĂ©ritĂ©, Paris, Flammarion, 1969, p. 143. [6] Alice au pays des merveilles, trad. franç d’AndrĂ© Bay, Belgique, BibliothĂšque Marabout, 1978, p. 82. [7] Georges Allen & Unwin, Human Knowledge, its Scope and Limits, Londres, 1948, 1976, p. 185. [8] Ibid., p. 191. [9] What are you » ? [10] Ludwig Wittgenstein, Remarques mĂȘlĂ©es, TER, trad. franç., 1984, p. 103. [11] Bertrand Russell, Philosophie de l’atomisme logique, trad. franç., in Écrits de logique philosophique, Paris, PUF, 1989, p. 434. [12] Voir William Van Orman Quine, La Poursuite de la vĂ©ritĂ©, trad. franç., 1993, p. 25 et p. 48. [13] Bertrand Russell, La Connaissance humaine, sa portĂ©e, ses limites 1948, trad. franç., Paris, Vrin, 2002, p. 523. [14] Ibid. [15] O. Quine, op. cit., p. 48-49. [16] Michel de Montaigne, Essais, Livre II, XII. [17] La phrase dans le texte originel Never imagine yourself not to be otherwise than what it might appear to others that you were or might have been was not otherwise than what you had been would have appeared to them to be otherwise », in Lewis Carroll, Alice’s Adventures in Wonderland, INC, New York, Dover Publications, 1993, p. 61. [18] Montaigne, Essais, Paris, PUF, p. 725. [19] Ibid., p. 723. [20] De l’autre cĂŽtĂ© du miroir, Marabout, trad. franç, p. 231. [21] Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, trad. franç. d’AndrĂ© Bay, BibliothĂšque Marabout, p. 33. [22] Ibid. [23] Jean Largeault, Quine, le continuisme et la fin de l’épistĂ©mologie nĂ©o-positiviste, in Revue philosophique, n° 3, 1994, p. 320. [24] Ludwig J. J. Wittgenstein, DictĂ©es Ă  Waissmann et pour Schlick, trad. franç., 1997, p. 81. [25] Ibid. Voir Quine Mon propos n’est pas de remettre en cause les dictionnaires, qu’ils soient ou non bilingues. Mais de souligner que leur utilitĂ© ne repose pas sur la synonymie, que ce soit en matiĂšre de traduction ou de paraphrase. Le propre d’un dictionnaire est d’aider les usagers d’une langue Ă  rĂ©aliser les diverses fins qu’ils se proposent fournir ou rassembler des informations, persuader, passer des accords, planifier, thĂ©oriser et se dĂ©lecter de sons, d’images et de fantaisies », in QuidditĂ©s, Paris, Seuil, 1992, p. 219. [26] Gilles Deleuze, Critique et Clinique, Paris, Minuit, 1993, p. 158.
Alicese dispute avec le tribunal, les appelant sur leurs absurditĂ©s. Les soldats de cartes se lĂšvent au-dessus d'Alice, la faisant se rĂ©veiller de son rĂȘve et trouvant des feuilles partout sur elle. Elle raconte son rĂȘve Ă  sa sƓur aĂźnĂ©e et tout ce qui s'est passĂ© au pays des merveilles. Version Ever After High [] Il n'y a pas de duchesse
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