[LâAuteur dĂ©sire exprimer ici sa reconnaissance envers le Traducteur de ce quâil a remplacĂ© par des parodies de sa composition quelques parodies de morceaux de poĂ©sie anglais, qui nâavaient de valeur que pour des enfants anglais ; et aussi, de ce quâil a su donner en jeux de mots français les Ă©quivalents des jeux de mots anglais, dont la traduction nâĂ©tait pas possible.] Notre barque glisse sur lâonde Que dorent de brĂ»lants rayons ; Sa marche lente et vagabonde TĂ©moigne que des bras mignons, Pleins dâardeur, mais encore novices, Tout fiers de ce nouveau travail, MĂšnent au grĂ© de leurs caprices Les rames et le gouvernail. Soudain trois cris se font entendre, Cris funestes Ă la langueur Dont je ne pouvais me dĂ©fendre Par ce temps chaud, qui rend rĂȘveur. Un conte ! Un conte ! » disent-elles Toutes dâune commune voix. Il fallait cĂ©der aux cruelles ; Que pouvais-je, hĂ©las ! contre trois La premiĂšre, dâun ton suprĂȘme, Donne lâordre de commencer. La seconde, la douceur mĂȘme, Se contente de demander Des choses Ă ne pas y croire. Nous ne fĂ»mes interrompus Par la troisiĂšme, câest notoire, Quâune fois par minute, au plus. Puis, muettes, prĂȘtant lâoreille Au conte de lâenfant rĂȘveur, Qui va de merveille en merveille Causant avec lâoiseau causeur ; Leur esprit suit la fantaisie. OĂč se laisse aller le conteur, Et la vĂ©ritĂ© tĂŽt oublie Pour se confier Ă lâerreur. Le conteur espoir chimĂ©rique ! Cherche, se sentant Ă©puisĂ©, Ă briser le pouvoir magique Du charme quâil a composĂ©, Et TantĂŽt » voudrait de ce rĂȘve Finir le rĂ©cit commencĂ© Non, non, câest tantĂŽt ! pas de trĂȘve ! » Est le jugement prononcĂ©. Ainsi du pays des merveilles Se racontĂšrent lentement Les aventures sans pareilles, Incident aprĂšs incident. Alors vers le prochain rivage OĂč nous devions tous dĂ©barquer Rama le joyeux Ă©quipage ; La nuit commençait Ă tomber. Douce Alice, acceptez lâoffrande De ces gais rĂ©cits enfantins, Et tressez-en une guirlande, Comme on voit faire aux pĂ©lerins De ces fleurs quâils ont recueillies, Et que plus tard, dans lâavenir, Bien quâelles soient, hĂ©las ! flĂ©tries, Ils chĂ©rissent en souvenir. CHAPITRE FOND DU TERRIER. Alice, assise auprĂšs de sa sĆur sur le gazon, commençait Ă sâennuyer de rester lĂ Ă ne rien faire ; une ou deux fois elle avait jetĂ© les yeux sur le livre que lisait sa sĆur ; mais quoi ! pas dâimages, pas de dialogues ! La belle avance, » pensait Alice, quâun livre sans images, sans causeries ! » Elle sâĂ©tait mise Ă rĂ©flĂ©chir, tant bien que mal, car la chaleur du jour lâendormait et la rendait lourde, se demandant si le plaisir de faire une couronne de marguerites valait bien la peine de se lever et de cueillir les fleurs, quand tout Ă coup un lapin blanc aux yeux roses passa prĂšs dâelle. Il nây avait rien lĂ de bien Ă©tonnant, et Alice ne trouva mĂȘme pas trĂšs-extraordinaire dâentendre parler le Lapin qui se disait Ah ! jâarriverai trop tard ! » En y songeant aprĂšs, il lui sembla bien quâelle aurait dĂ» sâen Ă©tonner, mais sur le moment cela lui avait paru tout naturel. Cependant, quand le Lapin vint Ă tirer une montre de son gousset, la regarda, puis se prit Ă courir de plus belle, Alice sauta sur ses pieds, frappĂ©e de cette idĂ©e que jamais elle nâavait vu de lapin avec un gousset et une montre. EntraĂźnĂ©e par la curiositĂ© elle sâĂ©lança sur ses traces Ă travers le champ, et arriva tout juste Ă temps pour le voir disparaĂźtre dans un large trou au pied dâune haie. Un instant aprĂšs, Alice Ă©tait Ă la poursuite du Lapin dans le terrier, sans songer comment elle en sortirait. Pendant un bout de chemin le trou allait tout droit comme un tunnel, puis tout Ă coup il plongeait perpendiculairement dâune façon si brusque quâAlice se sentit tomber comme dans un puits dâune grande profondeur, avant mĂȘme dâavoir pensĂ© Ă se retenir. De deux choses lâune, ou le puits Ă©tait vraiment bien profond, ou elle tombait bien doucement ; car elle eut tout le loisir, dans sa chute, de regarder autour dâelle et de se demander avec Ă©tonnement ce quâelle allait devenir. Dâabord elle regarda dans le fond du trou pour savoir oĂč elle allait ; mais il y faisait bien trop sombre pour y rien voir. Ensuite elle porta les yeux sur les parois du puits, et sâaperçut quâelles Ă©taient garnies dâarmoires et dâĂ©tagĂšres ; çà et lĂ , elle vit pendues Ă des clous des cartes gĂ©ographiques et des images. En passant elle prit sur un rayon un pot de confiture portant cette Ă©tiquette, MARMELADE DâORANGES. » Mais, Ă son grand regret, le pot Ă©tait vide elle nâosait le laisser tomber dans la crainte de tuer quelquâun ; aussi sâarrangea-t-elle de maniĂšre Ă le dĂ©poser en passant dans une des armoires. Certes, » dit Alice, aprĂšs une chute pareille je ne me moquerai pas mal de dĂ©gringoler lâescalier ! Comme ils vont me trouver brave chez nous ! Je tomberais du haut des toits que je ne ferais pas entendre une plainte. » Ce qui Ă©tait bien probable. Tombe, tombe, tombe ! Cette chute nâen finira donc pas ! Je suis curieuse de savoir combien de milles jâai dĂ©jĂ faits, » dit-elle tout haut. Je dois ĂȘtre bien prĂšs du centre de la terre. Voyons donc, cela serait Ă quatre mille milles de profondeur, il me semble. » Comme vous voyez, Alice avait appris pas mal de choses dans ses leçons ; et bien que ce ne fĂ»t pas lĂ une trĂšs-bonne occasion de faire parade de son savoir, vu quâil nây avait point dâauditeur, cependant câĂ©tait un bon exercice que de rĂ©pĂ©ter sa leçon. Oui, câest bien Ă peu prĂšs cela ; mais alors Ă quel degrĂ© de latitude ou de longitude est-ce que je me trouve ? » Alice nâavait pas la moindre idĂ©e de ce que voulait dire latitude ou longitude, mais ces grands mots lui paraissaient beaux et sonores. BientĂŽt elle reprit Si jâallais traverser complĂ©tement la terre ? Comme ça serait drĂŽle de se trouver au milieu de gens qui marchent la tĂȘte en bas. Aux Antipathies, je crois. » Elle nâĂ©tait pas fĂąchĂ©e cette fois quâil nây eĂ»t personne lĂ pour lâentendre, car ce mot ne lui faisait pas lâeffet dâĂȘtre bien juste. Eh mais, jâaurai Ă leur demander le nom du pays. â Pardon, Madame, est-ce ici la Nouvelle-Zemble ou lâAustralie ? » â En mĂȘme temps elle essaya de faire la rĂ©vĂ©rence. Quelle idĂ©e ! Faire la rĂ©vĂ©rence en lâair ! Dites-moi un peu, comment vous y prendriez-vous ? Quelle petite ignorante ! pensera la dame quand je lui ferai cette question. Non, il ne faut pas demander cela ; peut-ĂȘtre le verrai-je Ă©crit quelque part. » Tombe, tombe, tombe ! â Donc Alice, faute dâavoir rien de mieux Ă faire, se remit Ă se parler Dinah remarquera mon absence ce soir, bien sĂ»r. » Dinah câĂ©tait son chat. Pourvu quâon nâoublie pas de lui donner sa jatte de lait Ă lâheure du thĂ©. Dinah, ma minette, que nâes-tu ici avec moi ? Il nây a pas de souris dans les airs, jâen ai bien peur ; mais tu pourrais attraper une chauve-souris, et cela ressemble beaucoup Ă une souris, tu sais. Mais les chats mangent-ils les chauves-souris ? » Ici le sommeil commença Ă gagner Alice. Elle rĂ©pĂ©tait, Ă moitiĂ© endormie Les chats mangent-ils les chauves-souris ? Les chats mangent-ils les chauves-souris ? » Et quelquefois Les chauves-souris mangent-elles les chats ? » Car vous comprenez bien que, puisquâelle ne pouvait rĂ©pondre ni Ă lâune ni Ă lâautre de ces questions, peu importait la maniĂšre de les poser. Elle sâassoupissait et commençait Ă rĂȘver quâelle se promenait tenant Dinah par la main, lui disant trĂšs-sĂ©rieusement Voyons, Dinah, dis-moi la vĂ©ritĂ©, as-tu jamais mangĂ© des chauves-souris ? » Quand tout Ă coup, pouf ! la voilĂ Ă©tendue sur un tas de fagots et de feuilles sĂšches, â et elle a fini de tomber. Alice ne sâĂ©tait pas fait le moindre mal. Vite elle se remet sur ses pieds et regarde en lâair ; mais tout est noir lĂ -haut. Elle voit devant elle un long passage et le Lapin Blanc qui court Ă toutes jambes. Il nây a pas un instant Ă perdre ; Alice part comme le vent et arrive tout juste Ă temps pour entendre le Lapin dire, tandis quâil tourne le coin Par ma moustache et mes oreilles, comme il se fait tard ! » Elle nâen Ă©tait plus quâĂ deux pas mais le coin tournĂ©, le Lapin avait disparu. Elle se trouva alors dans une salle longue et basse, Ă©clairĂ©e par une rangĂ©e de lampes pendues au plafond. Il y avait des portes tout autour de la salle ces portes Ă©taient toutes fermĂ©es, et, aprĂšs avoir vainement tentĂ© dâouvrir celles du cĂŽtĂ© droit, puis celles du cĂŽtĂ© gauche, Alice se promena tristement au beau milieu de cette salle, se demandant comment elle en sortirait. Tout Ă coup elle rencontra sur son passage une petite table Ă trois pieds, en verre massif, et rien dessus quâune toute petite clef dâor. Alice pensa aussitĂŽt que ce pouvait ĂȘtre celle dâune des portes ; mais hĂ©las ! soit que les serrures fussent trop grandes, soit que la clef fĂ»t trop petite, elle ne put toujours en ouvrir aucune. Cependant, ayant fait un second tour, elle aperçut un rideau placĂ© trĂšs-bas et quâelle nâavait pas vu dâabord ; par derriĂšre se trouvait encore une petite porte Ă peu prĂšs quinze pouces de haut ; elle essaya la petite clef dâor Ă la serrure, et, Ă sa grande joie, il se trouva quâelle y allait Ă merveille. Alice ouvrit la porte, et vit quâelle conduisait dans un Ă©troit passage Ă peine plus large quâun trou Ă rat. Elle sâagenouilla, et, jetant les yeux le long du passage, dĂ©couvrit le plus ravissant jardin du monde. Oh ! Quâil lui tardait de sortir de cette salle tĂ©nĂ©breuse et dâerrer au milieu de ces carrĂ©s de fleurs brillantes, de ces fraĂźches fontaines ! Mais sa tĂȘte ne pouvait mĂȘme pas passer par la porte. Et quand mĂȘme ma tĂȘte y passerait, » pensait Alice, Ă quoi cela servirait-il sans mes Ă©paules ? Oh ! que je voudrais donc avoir la facultĂ© de me fermer comme un tĂ©lescope ! Ăa se pourrait peut-ĂȘtre, si je savais comment mây prendre. » Il lui Ă©tait dĂ©jĂ arrivĂ© tant de choses extraordinaires, quâAlice commençait Ă croire quâil nây en avait guĂšre dâimpossibles. Comme cela nâavançait Ă rien de passer son temps Ă attendre Ă la petite porte, elle retourna vers la table, espĂ©rant presque y trouver une autre clef, ou tout au moins quelque grimoire donnant les rĂšgles Ă suivre pour se fermer comme un tĂ©lescope. Cette fois elle trouva sur la table une petite bouteille qui certes nâĂ©tait pas lĂ tout Ă lâheure. Au cou de cette petite bouteille Ă©tait attachĂ©e une Ă©tiquette en papier, avec ces mots BUVEZ-MOI » admirablement imprimĂ©s en grosses lettres. Câest bien facile Ă dire Buvez-moi, » mais Alice Ă©tait trop fine pour obĂ©ir Ă lâaveuglette. Examinons dâabord, » dit-elle, et voyons sâil y a Ă©crit dessus Poison » ou non. » Car elle avait lu dans de jolis petits contes, que des enfants avaient Ă©tĂ© brĂ»lĂ©s, dĂ©vorĂ©s par des bĂȘtes fĂ©roces, et quâil leur Ă©tait arrivĂ© dâautres choses trĂšs-dĂ©sagrĂ©ables, tout cela pour ne sâĂȘtre pas souvenus des instructions bien simples que leur donnaient leurs parents par exemple, que le tisonnier chauffĂ© Ă blanc brĂ»le les mains qui le tiennent trop longtemps ; que si on se fait au doigt une coupure profonde, il saigne dâordinaire ; et elle nâavait point oubliĂ© que si lâon boit immodĂ©rĂ©ment dâune bouteille marquĂ©e Poison » cela ne manque pas de brouiller le cĆur tĂŽt ou tard. Cependant, comme cette bouteille nâĂ©tait pas marquĂ©e Poison, » Alice se hasarda Ă en goĂ»ter le contenu, et le trouvant fort bon, au fait câĂ©tait comme un mĂ©lange de tarte aux cerises, de crĂȘme, dâananas, de dinde truffĂ©e, de nougat, et de rĂŽties au beurre, elle eut bientĂŽt tout avalĂ©. Je me sens toute drĂŽle, » dit Alice, on dirait que je rentre en moi-mĂȘme et que je me ferme comme un tĂ©lescope. » Câest bien ce qui arrivait en effet. Elle nâavait plus que dix pouces de haut, et un Ă©clair de joie passa sur son visage Ă la pensĂ©e quâelle Ă©tait maintenant de la grandeur voulue pour pĂ©nĂ©trer par la petite porte dans ce beau jardin. Elle attendit pourtant quelques minutes, pour voir si elle allait rapetisser encore. Cela lui faisait bien un peu peur. Songez donc, » se disait Alice, je pourrais bien finir par mâĂ©teindre comme une chandelle. Que deviendrais-je alors ? » Et elle cherchait Ă sâimaginer lâair que pouvait avoir la flamme dâune chandelle Ă©teinte, car elle ne se rappelait pas avoir jamais rien vu de la sorte. Un moment aprĂšs, voyant quâil ne se passait plus rien, elle se dĂ©cida Ă aller de suite au jardin ; mais hĂ©las, pauvre Alice ! en arrivant Ă la porte, elle sâaperçut quâelle avait oubliĂ© la petite clef dâor. Elle revint sur ses pas pour la prendre sur la table. Bah ! impossible dâatteindre Ă la clef quâelle voyait bien clairement Ă travers le verre. Elle fit alors tout son possible pour grimper le long dâun des pieds de la table, mais il Ă©tait trop glissant ; et enfin, Ă©puisĂ©e de fatigue, la pauvre enfant sâassit et pleura. Allons, Ă quoi bon pleurer ainsi, » se dit Alice vivement. Je vous conseille, Mademoiselle, de cesser tout de suite ! » Elle avait pour habitude de se donner de trĂšs-bons conseils bien quâelle les suivĂźt rarement, et quelquefois elle se grondait si fort que les larmes lui en venaient aux yeux ; une fois mĂȘme elle sâĂ©tait donnĂ© des tapes pour avoir trichĂ© dans une partie de croquet quâelle jouait toute seule ; car cette Ă©trange enfant aimait beaucoup Ă faire deux personnages. Mais, » pensa la pauvre Alice, il nây a plus moyen de faire deux personnages, Ă prĂ©sent quâil me reste Ă peine de quoi en faire un. » Elle aperçut alors une petite boĂźte en verre qui Ă©tait sous la table, lâouvrit et y trouva un tout petit gĂąteau sur lequel les mots MANGEZ-MOI » Ă©taient admirablement tracĂ©s avec des raisins de Corinthe. Tiens, je vais le manger, » dit Alice si cela me fait grandir, je pourrai atteindre Ă la clef ; si cela me fait rapetisser, je pourrai ramper sous la porte ; dâune façon ou de lâautre, je pĂ©nĂ©trerai dans le jardin, et alors, arrive que pourra ! » Elle mangea donc un petit morceau du gĂąteau, et, portant sa main sur sa tĂȘte, elle se dit tout inquiĂšte Lequel est-ce ? Lequel est-ce ? » Elle voulait savoir si elle grandissait ou rapetissait, et fut tout Ă©tonnĂ©e de rester la mĂȘme ; franchement, câest ce qui arrive le plus souvent lorsquâon mange du gĂąteau ; mais Alice avait tellement pris lâhabitude de sâattendre Ă des choses extraordinaires, que cela lui paraissait ennuyeux et stupide de vivre comme tout le monde. Aussi elle se remit Ă lâĆuvre, et eut bien vite fait disparaĂźtre le gĂąteau. CHAPITRE MARE AUX LARMES. De plus trĂšs-curieux en plus trĂšs-curieux ! » sâĂ©cria Alice sa surprise Ă©tait si grande quâelle ne pouvait sâexprimer correctement VoilĂ que je mâallonge comme le plus grand tĂ©lescope qui fĂ»t jamais ! Adieu mes pieds ! » Elle venait de baisser les yeux, et ses pieds lui semblaient sâĂ©loigner Ă perte de vue. Oh ! mes pauvres petits pieds ! Qui vous mettra vos bas et vos souliers maintenant, mes mignons ? Quant Ă moi, je ne le pourrai certainement pas ! Je serai bien trop loin pour mâoccuper de vous arrangez-vous du mieux que vous pourrez. â Il faut cependant que je sois bonne pour eux, » pensa Alice, sans cela ils refuseront peut-ĂȘtre dâaller du cĂŽtĂ© que je voudrai. Ah ! je sais ce que je ferai je leur donnerai une belle paire de bottines Ă NoĂ«l. » Puis elle chercha dans son esprit comment elle sây prendrait. Il faudra les envoyer par le messager, » pensa-t-elle ; quelle Ă©trange chose dâenvoyer des prĂ©sents Ă ses pieds ! Et lâadresse donc ! Câest cela qui sera drĂŽle. Ă Monsieur LepiĂ©droit dâAlice, Tapis du foyer, PrĂšs le garde-feu. De la part de Mlle Alice. Oh ! que dâenfantillages je dis lĂ ! » Au mĂȘme instant, sa tĂȘte heurta contre le plafond de la salle câest quâelle avait alors un peu plus de neuf pieds de haut. Vite elle saisit la petite clef dâor et courut Ă la porte du jardin. Pauvre Alice ! Câest tout ce quâelle put faire, aprĂšs sâĂȘtre Ă©tendue de tout son long sur le cĂŽtĂ©, que de regarder du coin de lâĆil dans le jardin. Quant Ă traverser le passage, il nây fallait plus songer. Elle sâassit donc, et se remit Ă pleurer. Quelle honte ! » dit Alice. Une grande fille comme vous » grande » Ă©tait bien le mot pleurer de la sorte ! Allons, finissez, vous dis-je ! » Mais elle continua de pleurer, versant des torrents de larmes, si bien quâelle se vit Ă la fin entourĂ©e dâune grande mare, profonde dâenviron quatre pouces et sâĂ©tendant jusquâau milieu de la salle. Quelque temps aprĂšs, elle entendit un petit bruit de pas dans le lointain ; vite, elle sâessuya les yeux pour voir ce que câĂ©tait. CâĂ©tait le Lapin Blanc, en grande toilette, tenant dâune main une paire de gants paille, et de lâautre un large Ă©ventail. Il accourait tout affairĂ©, marmottant entre ses dents Oh ! la Duchesse, la Duchesse ! Elle sera dans une belle colĂšre si je lâai fait attendre ! » Alice se trouvait si malheureuse, quâelle Ă©tait disposĂ©e Ă demander secours au premier venu ; ainsi, quand le Lapin fut prĂšs dâelle, elle lui dit dâune voix humble et timide, Je vous en prie, Monsieur â » Le Lapin tressaillit dâĂ©pouvante, laissa tomber les gants et lâĂ©ventail, se mit Ă courir Ă toutes jambes et disparut dans les tĂ©nĂšbres. Alice ramassa les gants et lâĂ©ventail, et, comme il faisait trĂšs-chaud dans cette salle, elle sâĂ©venta tout en se faisant la conversation Que tout est Ă©trange, aujourdâhui ! Hier les choses se passaient comme Ă lâordinaire. Peut-ĂȘtre mâa-t-on changĂ©e cette nuit ! Voyons, Ă©tais-je la mĂȘme petite fille ce matin en me levant ? â Je crois bien me rappeler que je me suis trouvĂ©e un peu diffĂ©rente. â Mais si je ne suis pas la mĂȘme, qui suis-je donc, je vous prie ? VoilĂ lâembarras. » Elle se mit Ă passer en revue dans son esprit toutes les petites filles de son Ăąge quâelle connaissait, pour voir si elle avait Ă©tĂ© transformĂ©e en lâune dâelles. Bien sĂ»r, je ne suis pas Ada, » dit-elle. Elle a de longs cheveux bouclĂ©s et les miens ne frisent pas du tout. â AssurĂ©ment je ne suis pas Mabel, car je sais tout plein de choses et Mabel ne sait presque rien ; et puis, du reste, Mabel, câest Mabel ; Alice câest Alice ! â Oh ! mais quelle Ă©nigme que cela ! â Voyons si je me souviendrai de tout ce que je savais quatre fois cinq font douze, quatre fois six font treize, quatre fois sept font â je nâarriverai jamais Ă vingt de ce train-lĂ . Mais peu importe la table de multiplication. Essayons de la GĂ©ographie Londres est la capitale de Paris, Paris la capitale de Rome, et Rome la capitale de â Mais non, ce nâest pas cela, jâen suis bien sĂ»re ! Je dois ĂȘtre changĂ©e en Mabel ! â Je vais tĂącher de rĂ©citer MaĂźtre Corbeau. » Elle croisa les mains sur ses genoux comme quand elle disait ses leçons, et se mit Ă rĂ©pĂ©ter la fable, dâune voix rauque et Ă©trange, et les mots ne se prĂ©sentaient plus comme autrefois MaĂźtre Corbeau sur un arbre perchĂ©, Faisait son nid entre des branches ;Il avait relevĂ© ses manches,Car il Ă©tait Renard, par lĂ passant,Lui dit Descendez donc, compĂšre ;Venez embrasser votre frĂšre. »Le Corbeau, le reconnaissant,Lui rĂ©pondit en son ramage Fromage. » » Je suis bien sĂ»re que ce nâest pas ça du tout, » sâĂ©cria la pauvre Alice, et ses yeux se remplirent de larmes. Ah ! je le vois bien, je ne suis plus Alice, je suis Mabel, et il me faudra aller vivre dans cette vilaine petite maison, oĂč je nâaurai presque pas de jouets pour mâamuser. â Oh ! que de leçons on me fera apprendre ! â Oui, certes, jây suis bien rĂ©solue, si je suis Mabel je resterai ici. Ils auront beau passer la tĂȘte lĂ -haut et me crier, Reviens auprĂšs de nous, ma chĂ©rie ! » Je me contenterai de regarder en lâair et de dire, Dites-moi dâabord qui je suis, et, sâil me plaĂźt dâĂȘtre cette personne-lĂ , jâirai vous trouver ; sinon, je resterai ici jusquâĂ ce que je devienne une autre petite fille. » â Et pourtant, » dit Alice en fondant en larmes, je donnerais tout au monde pour les voir montrer la tĂȘte lĂ -haut ! Je mâennuie tant dâĂȘtre ici toute seule. » Comme elle disait ces mots, elle fut bien surprise de voir que tout en parlant elle avait mis un des petits gants du Lapin. Comment ai-je pu mettre ce gant ? » pensa-t-elle. Je rapetisse donc de nouveau ? » Elle se leva, alla prĂšs de la table pour se mesurer, et jugea, autant quâelle pouvait sâen rendre compte, quâelle avait environ deux pieds de haut, et continuait de raccourcir rapidement. BientĂŽt elle sâaperçut que lâĂ©ventail quâelle avait Ă la main en Ă©tait la cause ; vite elle le lĂącha, tout juste Ă temps pour sâempĂȘcher de disparaĂźtre tout Ă fait. Je viens de lâĂ©chapper belle, » dit Alice, tout Ă©mue de ce brusque changement, mais bien aise de voir quâelle existait encore. Maintenant, vite au jardin ! » â Elle se hĂąta de courir vers la petite porte ; mais hĂ©las ! elle sâĂ©tait refermĂ©e et la petite clef dâor se trouvait sur la table de verre, comme tout Ă lâheure. Les choses vont de mal en pis, » pensa la pauvre enfant. Jamais je ne me suis vue si petite, jamais ! Et câest vraiment par trop fort ! » Ă ces mots son pied glissa, et flac ! La voilĂ dans lâeau salĂ©e jusquâau menton. Elle se crut dâabord tombĂ©e dans la mer. Dans ce cas je retournerai chez nous en chemin de fer, » se dit-elle. Alice avait Ă©tĂ© au bord de la mer une fois en sa vie, et se figurait que sur nâimporte quel point des cĂŽtes se trouvent un grand nombre de cabines pour les baigneurs, des enfants qui font des trous dans le sable avec des pelles en bois, une longue ligne de maisons garnies, et derriĂšre ces maisons une gare de chemin de fer. Mais elle comprit bientĂŽt quâelle Ă©tait dans une mare formĂ©e des larmes quâelle avait pleurĂ©es, quand elle avait neuf pieds de haut. Je voudrais bien nâavoir pas tant pleurĂ©, » dit Alice tout en nageant de cĂŽtĂ© et dâautre pour tĂącher de sortir de lĂ . Je vais en ĂȘtre punie sans doute, en me noyant dans mes propres larmes. Câest cela qui sera drĂŽle ! Du reste, tout est drĂŽle aujourdâhui. » Au mĂȘme instant elle entendit patauger dans la mare Ă quelques pas de lĂ , et elle nagea de ce cĂŽtĂ© pour voir ce que câĂ©tait. Elle pensa dâabord que ce devait ĂȘtre un cheval marin ou hippopotame ; puis elle se rappela combien elle Ă©tait petite maintenant, et dĂ©couvrit bientĂŽt que câĂ©tait tout simplement une souris qui, comme elle, avait glissĂ© dans la mare. Si jâadressais la parole Ă cette souris ? Tout est si extraordinaire ici quâil se pourrait bien quâelle sĂ»t parler dans tous les cas, il nây a pas de mal Ă essayer. » Elle commença donc Ă Souris, savez-vous comment on pourrait sortir de cette mare ? Je suis bien fatiguĂ©e de nager, Ă Souris ! » Alice pensait que câĂ©tait lĂ la bonne maniĂšre dâinterpeller une souris. Pareille chose ne lui Ă©tait jamais arrivĂ©e, mais elle se souvenait dâavoir vu dans la grammaire latine de son frĂšre â La souris, de la souris, Ă la souris, ĂŽ souris. » La Souris la regarda dâun air inquisiteur ; Alice crut mĂȘme la voir cligner un de ses petits yeux, mais elle ne dit mot. Peut-ĂȘtre ne comprend-elle pas cette langue, » dit Alice ; câest sans doute une souris Ă©trangĂšre nouvellement dĂ©barquĂ©e. Je vais essayer de lui parler italien Dove Ăš il mio gatto ? » » CâĂ©taient lĂ les premiers mots de son livre de dialogues. La Souris fit un bond hors de lâeau, et parut trembler de tous ses membres. Oh ! mille pardons ! » sâĂ©cria vivement Alice, qui craignait dâavoir fait de la peine au pauvre animal. Jâoubliais que vous nâaimez pas les chats. » Aimer les chats ! » cria la Souris dâune voix perçante et colĂšre. Et vous, les aimeriez-vous si vous Ă©tiez Ă ma place ? » Non, sans doute, » dit Alice dâune voix caressante, pour lâapaiser. Ne vous fĂąchez pas. Pourtant je voudrais bien vous montrer Dinah, notre chatte. Oh ! si vous la voyiez, je suis sĂ»re que vous prendriez de lâaffection pour les chats. Dinah est si douce et si gentille. » Tout en nageant nonchalamment dans la mare et parlant moitiĂ© Ă part soi, moitiĂ© Ă la Souris, Alice continua Elle se tient si gentiment auprĂšs du feu Ă faire son rouet, Ă se lĂ©cher les pattes, et Ă se dĂ©barbouiller ; son poil est si doux Ă caresser ; et comme elle attrape bien les souris ! â Oh ! pardon ! » dit encore Alice, car cette fois le poil de la Souris sâĂ©tait tout hĂ©rissĂ©, et on voyait bien quâelle Ă©tait fĂąchĂ©e tout de bon. Nous nâen parlerons plus si cela vous fait de la peine. » Nous ! dites-vous, » sâĂ©cria la Souris, en tremblant de la tĂȘte Ă la queue. Comme si moi je parlais jamais de pareilles choses ! Dans notre famille on a toujours dĂ©testĂ© les chats, viles crĂ©atures sans foi ni loi. Que je ne vous en entende plus parler ! » Eh bien non, » dit Alice, qui avait hĂąte de changer la conversation. Est-ce que â est-ce que vous aimez les chiens ? » La Souris ne rĂ©pondit pas, et Alice dit vivement Il y a tout prĂšs de chez nous un petit chien bien mignon que je voudrais vous montrer ! Câest un petit terrier aux yeux vifs, avec de longs poils bruns frisĂ©s ! Il rapporte trĂšs-bien ; il se tient sur ses deux pattes de derriĂšre, et fait le beau pour avoir Ă manger. Enfin il fait tant de tours que jâen oublie plus de la moitiĂ© ! Il appartient Ă un fermier qui ne le donnerait pas pour mille francs, tant il lui est utile ; il tue tous les rats et aussi â Oh ! » reprit Alice dâun ton chagrin, voilĂ que je vous ai encore offensĂ©e ! » En effet, la Souris sâĂ©loignait en nageant de toutes ses forces, si bien que lâeau de la mare en Ă©tait tout agitĂ©e. Alice la rappela doucement Ma petite Souris ! Revenez, je vous en prie, nous ne parlerons plus ni de chien ni de chat, puisque vous ne les aimez pas ! » Ă ces mots la Souris fit volte-face, et se rapprocha tout doucement ; elle Ă©tait toute pĂąle de colĂšre, pensait Alice. La Souris dit dâune voix basse et tremblante Gagnons la rive, je vous conterai mon histoire, et vous verrez pourquoi je hais les chats et les chiens. » Il Ă©tait grand temps de sâen aller, car la mare se couvrait dâoiseaux et de toutes sortes dâanimaux qui y Ă©taient tombĂ©s. Il y avait un canard, un dodo, un lory, un aiglon, et dâautres bĂȘtes extraordinaires. Alice prit les devants, et toute la troupe nagea vers la rive. CHAPITRE COURSE COCASSE. Ils formaient une assemblĂ©e bien grotesque ces ĂȘtres singuliers rĂ©unis sur le bord de la mare ; les uns avaient leurs plumes tout en dĂ©sordre, les autres le poil plaquĂ© contre le corps. Tous Ă©taient trempĂ©s, de mauvaise humeur, et fort mal Ă lâaise. Comment faire pour nous sĂ©cher ? » ce fut la premiĂšre question, cela va sans dire. Au bout de quelques instants, il sembla tout naturel Ă Alice de causer familiĂšrement avec ces animaux, comme si elle les connaissait depuis son berceau. Elle eut mĂȘme une longue discussion avec le Lory, qui, Ă la fin, lui fit la mine et lui dit dâun air boudeur Je suis plus ĂągĂ© que vous, et je dois par consĂ©quent en savoir plus long. » Alice ne voulut pas accepter cette conclusion avant de savoir lâĂąge du Lory, et comme celui-ci refusa tout net de le lui dire, cela mit un terme au dĂ©bat. Enfin la Souris, qui paraissait avoir un certain ascendant sur les autres, leur cria Asseyez-vous tous, et Ă©coutez-moi ! Je vais bientĂŽt vous faire sĂ©cher, je vous en rĂ©ponds ! » Vite, tout le monde sâassit en rond autour de la Souris, sur qui Alice tenait les yeux fixĂ©s avec inquiĂ©tude, car elle se disait Je vais attraper un vilain rhume si je ne sĂšche pas bientĂŽt. » Hum ! » fit la Souris dâun air dâimportance ; ĂȘtes-vous prĂȘts ? Je ne sais rien de plus sec que ceci. Silence dans le cercle, je vous prie. Guillaume le ConquĂ©rant, dont le pape avait embrassĂ© le parti, soumit bientĂŽt les Anglais, qui manquaient de chefs, et commençaient Ă sâaccoutumer aux usurpations et aux conquĂȘtes des Ă©trangers. Edwin et Morcar, comtes de Mercie et de Northumbrie â » » Brrr, » fit le Lory, qui grelottait. Pardon, » demanda la Souris en fronçant le sourcil, mais fort poliment, quâavez-vous dit ? » Moi ! rien, » rĂ©pliqua vivement le Lory. Ah ! je croyais, » dit la Souris. Je continue. Edwin et Morcar, comtes de Mercie et de Northumbrie, se dĂ©clarĂšrent en sa faveur, et Stigand, lâarchevĂȘque patriote de Cantorbery, trouva cela â » » Trouva quoi ? » dit le Canard. Il trouva cela, » rĂ©pondit la Souris avec impatience. AssurĂ©ment vous savez ce que cela » veut dire. » Je sais parfaitement ce que cela » veut dire ; par exemple quand moi jâai trouvĂ© cela bon ; cela » veut dire un ver ou une grenouille, » ajouta le Canard. Mais il sâagit de savoir ce que lâarchevĂȘque trouva. » La Souris, sans prendre garde Ă cette question, se hĂąta de continuer. LâarchevĂȘque trouva cela de bonne politique dâaller avec Edgar Atheling Ă la rencontre de Guillaume, pour lui offrir la couronne. Guillaume, dâabord, fut bon prince ; mais lâinsolence des vassaux normands â » Eh bien, comment cela va-t-il, mon enfant ? » ajouta-t-elle en se tournant vers Alice. Toujours aussi mouillĂ©e, » dit Alice tristement. Je ne sĂšche que dâennui. » Dans ce cas, » dit le Dodo avec emphase, se dressant sur ses pattes, je propose lâajournement, et lâadoption immĂ©diate de mesures Ă©nergiques. » Parlez français, » dit lâAiglon ; je ne comprends pas la moitiĂ© de ces grands mots, et, qui plus est, je ne crois pas que vous les compreniez vous-mĂȘme. » LâAiglon baissa la tĂȘte pour cacher un sourire, et quelques-uns des autres oiseaux ricanĂšrent tout haut. Jâallais proposer, » dit le Dodo dâun ton vexĂ©, une course cocasse ; câest ce que nous pouvons faire de mieux pour nous sĂ©cher. » Quâest-ce quâune course cocasse ? » demanda Alice ; non quâelle tĂźnt beaucoup Ă le savoir, mais le Dodo avait fait une pause comme sâil sâattendait Ă ĂȘtre questionnĂ© par quelquâun, et personne ne semblait disposĂ© Ă prendre la parole. La meilleure maniĂšre de lâexpliquer, » dit le Dodo, câest de le faire. » Et comme vous pourriez bien, un de ces jours dâhiver, avoir envie de lâessayer, je vais vous dire comment le Dodo sây prit. Dâabord il traça un terrain de course, une espĂšce de cercle Du reste, » disait-il, la forme nây fait rien » , et les coureurs furent placĂ©s indiffĂ©remment çà et lĂ sur le terrain. Personne ne cria, Un, deux, trois, en avant ! » mais chacun partit et sâarrĂȘta quand il voulut, de sorte quâil nâĂ©tait pas aisĂ© de savoir quand la course finirait. Cependant, au bout dâune demi-heure, tout le monde Ă©tant sec, le Dodo cria tout Ă coup La course est finie ! » et les voilĂ tous haletants qui entourent le Dodo et lui demandent Qui a gagnĂ© ? » Cette question donna bien Ă rĂ©flĂ©chir au Dodo ; il resta longtemps assis, un doigt appuyĂ© sur le front pose ordinaire de Shakespeare dans ses portraits ; tandis que les autres attendaient en silence. Enfin le Dodo dit Tout le monde a gagnĂ©, et tout le monde aura un prix. » Mais qui donnera les prix ? » demandĂšrent-ils tous Ă la fois. Elle, cela va sans dire, » rĂ©pondit le Dodo, en montrant Alice du doigt, et toute la troupe lâentoura aussitĂŽt en criant confusĂ©ment Les prix ! Les prix ! » Alice ne savait que faire ; pour sortir dâembarras elle mit la main dans sa poche et en tira une boĂźte de dragĂ©es heureusement lâeau salĂ©e nây avait pas pĂ©nĂ©trĂ© ; puis en donna une en prix Ă chacun ; il y en eut juste assez pour faire le tour. Mais il faut aussi quâelle ait un prix, elle, » dit la Souris. Comme de raison, » reprit le Dodo gravement. Avez-vous encore quelque chose dans votre poche ? » continua-t-il en se tournant vers Alice. Un dĂ© ; pas autre chose, » dit Alice dâun ton chagrin. Faites passer, » dit le Dodo. Tous se groupĂšrent de nouveau autour dâAlice, tandis que le Dodo lui prĂ©sentait solennellement le dĂ© en disant Nous vous prions dâaccepter ce superbe dĂ©. » Lorsquâil eut fini ce petit discours, tout le monde cria Hourra ! » Alice trouvait tout cela bien ridicule, mais les autres avaient lâair si grave, quâelle nâosait pas rire ; aucune rĂ©ponse ne lui venant Ă lâesprit, elle se contenta de faire la rĂ©vĂ©rence, et prit le dĂ© de son air le plus sĂ©rieux. Il nây avait plus maintenant quâĂ manger les dragĂ©es ; ce qui ne se fit pas sans un peu de bruit et de dĂ©sordre, car les gros oiseaux se plaignirent de nây trouver aucun goĂ»t, et il fallut taper dans le dos des petits qui Ă©tranglaient. Enfin tout rentra dans le calme. On sâassit en rond autour de la Souris, et on la pria de raconter encore quelque chose. Vous mâavez promis de me raconter votre histoire, » dit Alice, et de mâexpliquer pourquoi vous dĂ©testez â les chats et les chiens, » ajouta-t-elle tout bas, craignant encore de dĂ©plaire. La Souris, se tournant vers Alice, soupira et lui dit Mon histoire sera longue et traĂźnante. » Tiens ! tout comme votre queue, » dit Alice, frappĂ©e de la ressemblance, et regardant avec Ă©tonnement la queue de la Souris tandis que celle-ci parlait. Les idĂ©es dâhistoire et de queue longue et traĂźnante se brouillaient dans lâesprit dâAlice Ă peu prĂšs de cette façon â Canichon dit Ă ï»żla Souris, Quâil ï»żrencontraï»żdans leï»żlogis ï»ż Je crois ï»żle moment ï»żfort propiceï»żDe te faireï»żaller en justice.ï»żJe ne ï»żdoute pas ï»żdu succĂšsï»żQue doit ï»żavoir ï»żnotre procĂšs.ï»żVite, allons, ï»żcommençons ï»żlâaffaire.ï»żCe matin ï»żje nâai rien ï»żĂ faire. Â»ï»żLa Souris ï»żdit Ă ï»żCanichon ï»ż Sans juge ï»żet sans ï»żjurĂ©s, ï»żmon bon ! Â»ï»żMais ï»żCanichon ï»żplein de ï»żmaliceï»żDit ï»ż Câest moi ï»żqui suis ï»żla justice,ï»żEt, que ï»żtu aies ï»żraison ï»żou tort, ï»żJe vais te ï»żcondamner ï»żĂ mort. » Vous ne mâĂ©coutez pas, » dit la Souris Ă Alice dâun air sĂ©vĂšre. Ă quoi pensez-vous donc ? » Pardon, » dit Alice humblement. Vous en Ă©tiez au cinquiĂšme dĂ©tour. » DĂ©tour ! » dit la Souris dâun ton sec. Croyez-vous donc que je manque de vĂ©racitĂ© ? » Des vers Ă citer ? oh ! je puis vous en fournir quelques-uns ! » dit Alice, toujours prĂȘte Ă rendre service. On nâa pas besoin de vous, » dit la Souris. Câest mâinsulter que de dire de pareilles sottises. » Puis elle se leva pour sâen aller. Je nâavais pas lâintention de vous offenser, » dit Alice dâune voix conciliante. Mais franchement vous ĂȘtes bien susceptible. » La Souris grommela quelque chose entre ses dents et sâĂ©loigna. Revenez, je vous en prie, finissez votre histoire, » lui cria Alice ; et tous les autres dirent en chĆur Oui, nous vous en supplions. » Mais la Souris secouant la tĂȘte ne sâen alla que plus vite. Quel dommage quâelle ne soit pas restĂ©e ! » dit en soupirant le Lory, sitĂŽt que la Souris eut disparu. Un vieux crabe, profitant de lâoccasion, dit Ă son fils Mon enfant, que cela vous serve de leçon, et vous apprenne Ă ne vous emporter jamais ! » Taisez-vous donc, papa, » dit le jeune crabe dâun ton aigre. Vous feriez perdre patience Ă une huĂźtre. » Ah ! si Dinah Ă©tait ici, » dit Alice tout haut sans sâadresser Ă personne. Câest elle qui lâaurait bientĂŽt ramenĂ©e. » Et qui est Dinah, sâil nây a pas dâindiscrĂ©tion Ă le demander ? » dit le Lory. Alice rĂ©pondit avec empressement, car elle Ă©tait toujours prĂȘte Ă parler de sa favorite Dinah, câest notre chatte. Si vous saviez comme elle attrape bien les souris ! Et si vous la voyiez courir aprĂšs les oiseaux ; aussitĂŽt vus, aussitĂŽt croquĂ©s. » Ces paroles produisirent un effet singulier sur lâassemblĂ©e. Quelques oiseaux sâenfuirent aussitĂŽt ; une vieille pie sâenveloppant avec soin murmura Il faut vraiment que je rentre chez moi, lâair du soir ne vaut rien pour ma gorge ! » Et un canari cria Ă ses petits dâune voix tremblante Venez, mes enfants ; il est grand temps que vous vous mettiez au lit ! » Enfin, sous un prĂ©texte ou sous un autre, chacun sâesquiva, et Alice se trouva bientĂŽt seule. Je voudrais bien nâavoir pas parlĂ© de Dinah, » se dit-elle tristement. Personne ne lâaime ici, et pourtant câest la meilleure chatte du monde ! Oh ! chĂšre Dinah, te reverrai-je jamais ? » Ici la pauvre Alice se reprit Ă pleurer ; elle se sentait seule, triste, et abattue. Au bout de quelque temps elle entendit au loin un petit bruit de pas ; elle sâempressa de regarder, espĂ©rant que la Souris avait changĂ© dâidĂ©e et revenait finir son histoire. CHAPITRE DU LAPIN BLANC. CâĂ©tait le Lapin Blanc qui revenait en trottinant, et qui cherchait de tous cĂŽtĂ©s, dâun air inquiet, comme sâil avait perdu quelque chose ; Alice lâentendit qui marmottait La Duchesse ! La Duchesse ! Oh ! mes pauvres pattes ; oh ! ma robe et mes moustaches ! Elle me fera guillotiner aussi vrai que des furets sont des furets ! OĂč pourrais-je bien les avoir perdus ? » Alice devina tout de suite quâil cherchait lâĂ©ventail et la paire de gants paille, et, comme elle avait bon cĆur, elle se mit Ă les chercher aussi ; mais pas moyen de les trouver. Du reste, depuis son bain dans la mare aux larmes, tout Ă©tait changĂ© la salle, la table de verre, et la petite porte avaient complĂ©tement disparu. BientĂŽt le Lapin aperçut Alice qui furetait ; il lui cria dâun ton dâimpatience Eh bien ! Marianne, que faites-vous ici ? Courez vite Ă la maison me chercher une paire de gants et un Ă©ventail ! Allons, dĂ©pĂȘchons-nous. » Alice eut si grandâ peur quâelle se mit aussitĂŽt Ă courir dans la direction quâil indiquait, sans chercher Ă lui expliquer quâil se trompait. Il mâa pris pour sa bonne, » se disait-elle en courant. Comme il sera Ă©tonnĂ© quand il saura qui je suis ! Mais je ferai bien de lui porter ses gants et son Ă©ventail ; câest-Ă -dire, si je les trouve. » Ce disant, elle arriva en face dâune petite maison, et vit sur la porte une plaque en cuivre avec ces mots, JEAN LAPIN. » Elle monta lâescalier, entra sans frapper, tout en tremblant de rencontrer la vraie Marianne, et dâĂȘtre mise Ă la porte avant dâavoir trouvĂ© les gants et lâĂ©ventail. Que câest drĂŽle, » se dit Alice, de faire des commissions pour un lapin ! BientĂŽt ce sera Dinah qui mâenverra en commission. » Elle se prit alors Ă imaginer comment les choses se passeraient. â Mademoiselle Alice, venez ici tout de suite vous apprĂȘter pour la promenade. » Dans lâinstant, ma bonne ! Il faut dâabord que je veille sur ce trou jusquâĂ ce que Dinah revienne, pour empĂȘcher que la souris ne sorte. » Mais je ne pense pas, » continua Alice, quâon garderait Dinah Ă la maison si elle se mettait dans la tĂȘte de commander comme cela aux gens. » Tout en causant ainsi, Alice Ă©tait entrĂ©e dans une petite chambre bien rangĂ©e, et, comme elle sây attendait, sur une petite table dans lâembrasure de la fenĂȘtre, elle vit un Ă©ventail et deux ou trois paires de gants de chevreau tout petits. Elle en prit une paire, ainsi que lâĂ©ventail, et allait quitter la chambre lorsquâelle aperçut, prĂšs du miroir, une petite bouteille. Cette fois il nây avait pas lâinscription BUVEZ-MOI â ce qui nâempĂȘcha pas Alice de la dĂ©boucher et de la porter Ă ses lĂšvres. Il mâarrive toujours quelque chose dâintĂ©ressant, » se dit-elle, lorsque je mange ou que je bois. Je vais voir un peu lâeffet de cette bouteille. JâespĂšre bien quâelle me fera regrandir, car je suis vraiment fatiguĂ©e de nâĂȘtre quâune petite nabote ! » Câest ce qui arriva en effet, et bien plus tĂŽt quâelle ne sây attendait. Elle nâavait pas bu la moitiĂ© de la bouteille, que sa tĂȘte touchait au plafond et quâelle fut forcĂ©e de se baisser pour ne pas se casser le cou. Elle remit bien vite la bouteille sur la table en se disant En voilĂ assez ; jâespĂšre ne pas grandir davantage. Je ne puis dĂ©jĂ plus passer par la porte. Oh ! je voudrais bien nâavoir pas tant bu ! » HĂ©las ! il Ă©tait trop tard ; elle grandissait, grandissait, et eut bientĂŽt Ă se mettre Ă genoux sur le plancher. Mais un instant aprĂšs, il nây avait mĂȘme plus assez de place pour rester dans cette position, et elle essaya de se tenir Ă©tendue par terre, un coude contre la porte et lâautre bras passĂ© autour de sa tĂȘte. Cependant, comme elle grandissait toujours, elle fut obligĂ©e, comme derniĂšre ressource, de laisser pendre un de ses bras par la fenĂȘtre et dâenfoncer un pied dans la cheminĂ©e en disant Ă prĂ©sent câest tout ce que je peux faire, quoi quâil arrive. Que vais-je devenir ? » Heureusement pour Alice, la petite bouteille magique avait alors produit tout son effet, et elle cessa de grandir. Cependant sa position Ă©tait bien gĂȘnante, et comme il ne semblait pas y avoir la moindre chance quâelle pĂ»t jamais sortir de cette chambre, il nây a pas Ă sâĂ©tonner quâelle se trouvĂąt bien malheureuse. CâĂ©tait bien plus agrĂ©able chez nous, » pensa la pauvre enfant. LĂ du moins je ne passais pas mon temps Ă grandir et Ă rapetisser, et je nâĂ©tais pas la domestique des lapins et des souris. Je voudrais bien nâĂȘtre jamais descendue dans ce terrier ; et pourtant câest assez drĂŽle cette maniĂšre de vivre ! Je suis curieuse de savoir ce que câest qui mâest arrivĂ©. Autrefois, quand je lisais des contes de fĂ©es, je mâimaginais que rien de tout cela ne pouvait ĂȘtre, et maintenant me voilĂ en pleine fĂ©erie. On devrait faire un livre sur mes aventures ; il y aurait de quoi ! Quand je serai grande jâen ferai un, moi. â Mais je suis dĂ©jĂ bien grande ! » dit-elle tristement. Dans tous les cas, il nây a plus de place ici pour grandir davantage. » Mais alors, » pensa Alice, ne serai-je donc jamais plus vieille que je ne le suis maintenant ? Dâun cĂŽtĂ© cela aura ses avantages, ne jamais ĂȘtre une vieille femme. Mais alors avoir toujours des leçons Ă apprendre ! Oh, je nâaimerais pas cela du tout. » Oh ! Alice, petite folle, » se rĂ©pondit-elle. Comment pourriez-vous apprendre des leçons ici ? Il y a Ă peine de la place pour vous, et il nây en a pas du tout pour vos livres de leçons. » Et elle continua ainsi, faisant tantĂŽt les demandes et tantĂŽt les rĂ©ponses, et Ă©tablissant sur ce sujet toute une conversation ; mais au bout de quelques instants elle entendit une voix au dehors, et sâarrĂȘta pour Ă©couter. Marianne ! Marianne ! » criait la voix ; allez chercher mes gants bien vite ! » Puis Alice entendit des piĂ©tinements dans lâescalier. Elle savait que câĂ©tait le Lapin qui la cherchait ; elle trembla si fort quâelle en Ă©branla la maison, oubliant que maintenant elle Ă©tait mille fois plus grande que le Lapin, et nâavait rien Ă craindre de lui. Le Lapin, arrivĂ© Ă la porte, essaya de lâouvrir ; mais, comme elle sâouvrait en dedans et que le coude dâAlice Ă©tait fortement appuyĂ© contre la porte, la tentative fut vaine. Alice entendit le Lapin qui murmurait Câest bon, je vais faire le tour et jâentrerai par la fenĂȘtre. » Je tâen dĂ©fie ! » pensa Alice. Elle attendit un peu ; puis, quand elle crut que le Lapin Ă©tait sous la fenĂȘtre, elle Ă©tendit le bras tout Ă coup pour le saisir ; elle ne prit que du vent. Mais elle entendit un petit cri, puis le bruit dâune chute et de vitres cassĂ©es ce qui lui fit penser que le Lapin Ă©tait tombĂ© sur les chĂąssis de quelque serre Ă concombre, puis une voix colĂšre, celle du Lapin Patrice ! Patrice ! oĂč es-tu ? » Une voix quâelle ne connaissait pas rĂ©pondit Me vâlĂ , notâ maĂźtre ! JâbĂȘchons la terre pour trouver des pommes ! » Pour trouver des pommes ! » dit le Lapin furieux. Viens mâaider Ă me tirer dâici. » Nouveau bruit de vitres cassĂ©es. Dis-moi un peu, Patrice, quâest-ce quâil y a lĂ Ă la fenĂȘtre ? » Ăa, notâ maĂźtre, câest un bras. » Un bras, imbĂ©cile ! Qui a jamais vu un bras de cette dimension ? Ăa bouche toute la fenĂȘtre. » Bien sĂ»r, notâ maĂźtre, mais câest un bras tout de mĂȘme. » Dans tous les cas il nâa rien Ă faire ici. EnlĂšve-moi ça bien vite. » Il se fit un long silence, et Alice nâentendait plus que des chuchotements de temps Ă autre, comme MaĂźtre, jâosons point. » â Fais ce que je te dis, capon ! » Alice Ă©tendit le bras de nouveau comme pour agripper quelque chose ; cette fois il y eut deux petits cris et encore un bruit de vitres cassĂ©es. Que de chĂąssis il doit y avoir lĂ ! » pensa Alice. Je me demande ce quâils vont faire Ă prĂ©sent. Quant Ă me retirer par la fenĂȘtre, je le souhaite de tout mon cĆur, car je nâai pas la moindre envie de rester ici plus longtemps ! » Il se fit quelques instants de silence. Ă la fin, Alice entendit un bruit de petites roues, puis le son dâun grand nombre de voix ; elle distingua ces mots OĂč est lâautre Ă©chelle ? â Je nâavais point quâĂ en apporter une ; câest Jacques qui a lâautre. â Allons, Jacques, apporte ici, mon garçon ! â Dressez-les lĂ au coin. â Non, attachez-les dâabord lâune au bout de lâautre. â Elles ne vont pas encore moitiĂ© assez haut. â Ăa fera lâaffaire ; ne soyez pas si difficile. â Tiens, Jacques, attrape ce bout de corde. â Le toit portera-t-il bien ? â Attention Ă cette tuile qui ne tient pas. â Bon ! la voilĂ qui dĂ©gringole. Gare les tĂȘtes ! » Il se fit un grand fracas. Qui a fait cela ? â Je crois bien que câest Jacques. â Qui est-ce qui va descendre par la cheminĂ©e ? â Pas moi, bien sĂ»r ! Allez-y, vous. â Non pas, vraiment. â Câest Ă vous, Jacques, Ă descendre. â HohĂ©, Jacques, notâ maĂźtre dit quâil faut que tu descendes par la cheminĂ©e ! » Ah ! » se dit Alice, câest donc Jacques qui va descendre. Il paraĂźt quâon met tout sur le dos de Jacques. Je ne voudrais pas pour beaucoup ĂȘtre Jacques. Ce foyer est Ă©troit certainement, mais je crois bien que je pourrai tout de mĂȘme lui lancer un coup de pied. » Elle retira son pied aussi bas que possible, et ne bougea plus jusquâĂ ce quâelle entendĂźt le bruit dâun petit animal elle ne pouvait deviner de quelle espĂšce qui grattait et cherchait Ă descendre dans la cheminĂ©e, juste au-dessus dâelle ; alors se disant VoilĂ Jacques sans doute, » elle lança un bon coup de pied, et attendit pour voir ce qui allait arriver. La premiĂšre chose quâelle entendit fut un cri gĂ©nĂ©ral de Tiens, voilĂ Jacques en lâair ! » Puis la voix du Lapin, qui criait Attrapez-le, vous lĂ -bas, prĂšs de la haie ! » Puis un long silence ; ensuite un mĂ©lange confus de voix Soutenez-lui la tĂȘte. â De lâeau-de-vie maintenant. â Ne le faites pas engouer. â Quâest-ce donc, vieux camarade ? â Que tâest-il arrivĂ© ? Raconte-nous ça ! » Enfin une petite voix faible et flĂ»tĂ©e se fit entendre. Câest la voix de Jacques, » pensa Alice. Je nâen sais vraiment rien. Merci, câest assez ; je me sens mieux maintenant ; mais je suis encore trop bouleversĂ© pour vous conter la chose. Tout ce que je sais, câest que jâai Ă©tĂ© poussĂ© comme par un ressort, et que je suis parti en lâair comme une fusĂ©e. » Ăa, câest vrai, vieux camarade, » disaient les autres. Il faut mettre le feu Ă la maison, » dit le Lapin. Alors Alice cria de toutes ses forces Si vous osez faire cela, jâenvoie Dinah Ă votre poursuite. » Il se fit tout Ă coup un silence de mort. Que vont-ils faire Ă prĂ©sent ? » pensa Alice. Sâils avaient un peu dâesprit, ils enlĂšveraient le toit. » Quelques minutes aprĂšs, les allĂ©es et venues recommencĂšrent, et Alice entendit le Lapin, qui disait Une brouettĂ©e dâabord, ça suffira. » Une brouettĂ©e de quoi ? » pensa Alice. Il ne lui resta bientĂŽt plus de doute, car, un instant aprĂšs, une grĂȘle de petits cailloux vint battre contre la fenĂȘtre, et quelques-uns mĂȘme lâatteignirent au visage. Je vais bientĂŽt mettre fin Ă cela, » se dit-elle ; puis elle cria Vous ferez bien de ne pas recommencer. » Ce qui produisit encore un profond silence. Alice remarqua, avec quelque surprise, quâen tombant sur le plancher les cailloux se changeaient en petits gĂąteaux, et une brillante idĂ©e lui traversa lâesprit. Si je mange un de ces gĂąteaux, » pensa-t-elle, cela ne manquera pas de me faire ou grandir ou rapetisser ; or, je ne puis plus grandir, câest impossible, donc je rapetisserai ! » Elle avala un des gĂąteaux, et sâaperçut avec joie quâelle diminuait rapidement. AussitĂŽt quâelle fut assez petite pour passer par la porte, elle sâĂ©chappa de la maison, et trouva toute une foule dâoiseaux et dâautres petits animaux qui attendaient dehors. Le pauvre petit lĂ©zard, Jacques, Ă©tait au milieu dâeux, soutenu par des cochons dâInde, qui le faisaient boire Ă une bouteille. Tous se prĂ©cipitĂšrent sur Alice aussitĂŽt quâelle parut ; mais elle se mit Ă courir de toutes ses forces, et se trouva bientĂŽt en sĂ»retĂ© dans un bois touffu. La premiĂšre chose que jâaie Ă faire, » dit Alice en errant çà et lĂ dans les bois, câest de revenir Ă ma premiĂšre grandeur ; la seconde, de chercher un chemin qui me conduise dans ce ravissant jardin. Câest lĂ , je crois, ce que jâai de mieux Ă faire ! » En effet câĂ©tait un plan de campagne excellent, trĂšs-simple et trĂšs-habilement combinĂ©. Toute la difficultĂ© Ă©tait de savoir comment sây prendre pour lâexĂ©cuter. Tandis quâelle regardait en tapinois et avec prĂ©caution Ă travers les arbres, un petit aboiement sec, juste au-dessus de sa tĂȘte, lui fit tout Ă coup lever les yeux. Un jeune chien qui lui parut Ă©norme la regardait avec de grands yeux ronds, et Ă©tendait lĂ©gĂšrement la patte pour tĂącher de la toucher. Pauvre petit ! » dit Alice dâune voix caressante et essayant de siffler. Elle avait une peur terrible cependant, car elle pensait quâil pouvait bien avoir faim, et que dans ce cas il Ă©tait probable quâil la mangerait, en dĂ©pit de toutes ses cĂąlineries. Sans trop savoir ce quâelle faisait, elle ramassa une petite baguette et la prĂ©senta au petit chien qui bondit des quatre pattes Ă la fois, aboyant de joie, et se jeta sur le bĂąton comme pour jouer avec. Alice passa de lâautre cĂŽtĂ© dâun gros chardon pour nâĂȘtre pas foulĂ©e aux pieds. SitĂŽt quâelle reparut, le petit chien se prĂ©cipita de nouveau sur le bĂąton, et, dans son empressement de le saisir, butta et fit une cabriole. Mais Alice, trouvant que cela ressemblait beaucoup Ă une partie quâelle ferait avec un cheval de charrette, et craignant Ă chaque instant dâĂȘtre Ă©crasĂ©e par le chien, se remit Ă tourner autour du chardon. Alors le petit chien fit une sĂ©rie de charges contre le bĂąton. Il avançait un peu chaque fois, puis reculait bien loin en faisant des aboiements rauques ; puis enfin il se coucha Ă une grande distance de lĂ , tout haletant, la langue pendante, et ses grands yeux Ă moitiĂ© fermĂ©s. Alice jugea que le moment Ă©tait venu de sâĂ©chapper. Elle prit sa course aussitĂŽt, et ne sâarrĂȘta que lorsquâelle se sentit fatiguĂ©e et hors dâhaleine, et quâelle nâentendit plus que faiblement dans le lointain les aboiements du petit chien. CâĂ©tait pourtant un bien joli petit chien, » dit Alice, en sâappuyant sur un bouton dâor pour se reposer, et en sâĂ©ventant avec une des feuilles de la plante. Je lui aurais volontiers enseignĂ© tout plein de jolis tours si â si jâavais Ă©tĂ© assez grande pour cela ! Oh ! mais jâoubliais que jâavais encore Ă grandir ! Voyons. Comment faire ? Je devrais sans doute boire ou manger quelque chose ; mais quoi ? VoilĂ la grande question. » En effet, la grande question Ă©tait bien de savoir quoi ? Alice regarda tout autour dâelle les fleurs et les brins dâherbes ; mais elle ne vit rien qui lui parĂ»t bon Ă boire ou Ă manger dans les circonstances prĂ©sentes. PrĂšs dâelle poussait un large champignon, Ă peu prĂšs haut comme elle. Lorsquâelle lâeut examinĂ© par-dessous, dâun cĂŽtĂ© et de lâautre, par-devant et par-derriĂšre, lâidĂ©e lui vint quâelle ferait bien de regarder ce quâil y avait dessus. Elle se dressa sur la pointe des pieds, et, glissant les yeux par-dessus le bord du champignon, ses regards rencontrĂšrent ceux dâune grosse chenille bleue assise au sommet, les bras croisĂ©s, fumant tranquillement une longue pipe turque sans faire la moindre attention Ă elle ni Ă quoi que ce fĂ»t. CHAPITRE DâUNE CHENILLE. La Chenille et Alice se considĂ©rĂšrent un instant en silence. Enfin la Chenille sortit le houka de sa bouche, et lui adressa la parole dâune voix endormie et traĂźnante. Qui ĂȘtes-vous ? » dit la Chenille. Ce nâĂ©tait pas lĂ une maniĂšre encourageante dâentamer la conversation. Alice rĂ©pondit, un peu confuse Je â je le sais Ă peine moi-mĂȘme quant Ă prĂ©sent. Je sais bien ce que jâĂ©tais en me levant ce matin, mais je crois avoir changĂ© plusieurs fois depuis. » Quâentendez-vous par lĂ ? » dit la Chenille dâun ton sĂ©vĂšre. Expliquez-vous. » Je crains bien de ne pouvoir pas mâexpliquer, » dit Alice, car, voyez-vous, je ne suis plus moi-mĂȘme. » Je ne vois pas du tout, » rĂ©pondit la Chenille. Jâai bien peur de ne pouvoir pas dire les choses plus clairement, » rĂ©pliqua Alice fort poliment ; car dâabord je nây comprends rien moi-mĂȘme. Grandir et rapetisser si souvent en un seul jour, cela embrouille un peu les idĂ©es. » Pas du tout, » dit la Chenille. Peut-ĂȘtre ne vous en ĂȘtes-vous pas encore aperçue, » dit Alice. Mais quand vous deviendrez chrysalide, car câest ce qui vous arrivera, sachez-le bien, et ensuite papillon, je crois bien que vous vous sentirez un peu drĂŽle, quâen dites-vous ? » Pas du tout, » dit la Chenille. Vos sensations sont peut-ĂȘtre diffĂ©rentes des miennes, » dit Alice. Tout ce que je sais, câest que cela me semblerait bien drĂŽle Ă moi. » Ă vous ! » dit la Chenille dâun ton de mĂ©pris. Qui ĂȘtes-vous ? » Cette question les ramena au commencement de la conversation. Alice, un peu irritĂ©e du parler bref de la Chenille, se redressa de toute sa hauteur et rĂ©pondit bien gravement Il me semble que vous devriez dâabord me dire qui vous ĂȘtes vous-mĂȘme. » Pourquoi ? » dit la Chenille. CâĂ©tait encore lĂ une question bien embarrassante ; et comme Alice ne trouvait pas de bonne raison Ă donner, et que la Chenille avait lâair de trĂšs-mauvaise humeur, Alice lui tourna le dos et sâĂ©loigna. Revenez, » lui cria la Chenille. Jâai quelque chose dâimportant Ă vous dire ! » Lâinvitation Ă©tait engageante assurĂ©ment ; Alice revint sur ses pas. Ne vous emportez pas, » dit la Chenille. Est-ce tout ? » dit Alice, cherchant Ă retenir sa colĂšre. Non, » rĂ©pondit la Chenille. Alice pensa quâelle ferait tout aussi bien dâattendre, et quâaprĂšs tout la Chenille lui dirait peut-ĂȘtre quelque chose de bon Ă savoir. La Chenille continua de fumer pendant quelques minutes sans rien dire. Puis, retirant enfin la pipe de sa bouche, elle se croisa les bras et dit Ainsi vous vous figurez que vous ĂȘtes changĂ©e, hein ? » Je le crains bien, » dit Alice. Je ne peux plus me souvenir des choses comme autrefois, et je ne reste pas dix minutes de suite de la mĂȘme grandeur ! » De quoi est-ce que vous ne pouvez pas vous souvenir ? » dit la Chenille. Jâai essayĂ© de rĂ©citer la fable de MaĂźtre Corbeau, mais ce nâĂ©tait plus la mĂȘme chose, » rĂ©pondit Alice dâun ton chagrin. RĂ©citez Vous ĂȘtes vieux, PĂšre Guillaume, » » dit la Chenille. Alice croisa les mains et commença Vous ĂȘtes vieux, PĂšre avez des cheveux tout grisâŠLa tĂȘte en bas ! PĂšre Guillaume ;Ă votre Ăąge, câest peu permis !â Ătant jeune, pour ma cervelleJe craignais fort, mon cher enfant ;Je nâen ai plus une parcelle,Jâen suis bien certain maintenant. â Vous ĂȘtes vieux, je vous lâai dit,Mais comment donc par cette porte,Vous, dont la taille est comme un muid !Cabriolez-vous de la sorte ?â Ătant jeune, mon cher enfant,Jâavais chaque jointure bonne ;Je me frottais de cet onguent ;Si vous payez je vous en donne. â Vous ĂȘtes vieux, et vous mangezLes os comme de la bouillie ;Et jamais rien ne me faites-vous, je vous prie ?â Ătant jeune, je disputaisTous les jours avec votre mĂšre ;Câest ainsi que je me suis faitUn si puissant os maxillaire. â Vous ĂȘtes vieux, par quelle adresseTenez-vous debout sur le nezUne anguille qui se redresseDroit comme un I quand vous sifflez ?â Cette question est trop sotte !Cessez de babiller ainsi,Ou je vais, du bout de ma botte,Vous envoyer bien loin dâici. » Ce nâest pas cela, » dit la Chenille. Pas tout Ă fait, je le crains bien, » dit Alice timidement. Tous les mots ne sont pas les mĂȘmes. » Câest tout de travers dâun bout Ă lâautre, » dit la Chenille dâun ton dĂ©cidĂ© ; et il se fit un silence de quelques minutes. La Chenille fut la premiĂšre Ă reprendre la parole. De quelle grandeur voulez-vous ĂȘtre ? » demanda-t-elle. Oh ! je ne suis pas difficile, quant Ă la taille, » reprit vivement Alice. Mais vous comprenez bien quâon nâaime pas Ă en changer si souvent. » Je ne comprends pas du tout, » dit la Chenille. Alice se tut ; elle nâavait jamais de sa vie Ă©tĂ© si souvent contredite, et elle sentait quâelle allait perdre patience. Ătes-vous satisfaite maintenant ? » dit la Chenille. Jâaimerais bien Ă ĂȘtre un petit peu plus grande, si cela vous Ă©tait Ă©gal, » dit Alice. Trois pouces de haut, câest si peu ! » Câest une trĂšs-belle taille, » dit la Chenille en colĂšre, se dressant de toute sa hauteur. Elle avait tout juste trois pouces de haut. Mais je nây suis pas habituĂ©e, » rĂ©pliqua Alice dâun ton piteux, et elle fit cette rĂ©flexion Je voudrais bien que ces gens-lĂ ne fussent pas si susceptibles. » Vous finirez par vous y habituer, » dit la Chenille. Elle remit la pipe Ă sa bouche, et fuma de plus belle. Cette fois Alice attendit patiemment quâelle se dĂ©cidĂąt Ă parler. Au bout de deux ou trois minutes la Chenille sortit le houka de sa bouche, bĂąilla une ou deux fois et se secoua ; puis elle descendit de dessus le champignon, glissa dans le gazon, et dit tout simplement en sâen allant Un cĂŽtĂ© vous fera grandir, et lâautre vous fera rapetisser. » Un cĂŽtĂ© de quoi, lâautre cĂŽtĂ© de quoi ? » pensa Alice. Du champignon, » dit la Chenille, comme si Alice avait parlĂ© tout haut ; et un moment aprĂšs la Chenille avait disparu. Alice contempla le champignon dâun air pensif pendant un instant, essayant de deviner quels en Ă©taient les cĂŽtĂ©s ; et comme le champignon Ă©tait tout rond, elle trouva la question fort embarrassante. Enfin elle Ă©tendit ses bras tout autour, en les allongeant autant que possible, et, de chaque main, enleva une petite partie du bord du champignon. Maintenant, lequel des deux ? » se dit-elle, et elle grignota un peu du morceau de la main droite pour voir quel effet il produirait. Presque aussitĂŽt elle reçut un coup violent sous le menton ; il venait de frapper contre son pied. Ce brusque changement lui fit grandâ peur, mais elle comprit quâil nây avait pas de temps Ă perdre, car elle diminuait rapidement. Elle se mit donc bien vite Ă manger un peu de lâautre morceau. Son menton Ă©tait si rapprochĂ© de son pied quâil y avait Ă peine assez de place pour quâelle pĂ»t ouvrir la bouche. Elle y rĂ©ussit enfin, et parvint Ă avaler une partie du morceau de la main gauche. VoilĂ enfin ma tĂȘte libre, » dit Alice dâun ton joyeux qui se changea bientĂŽt en cris dâĂ©pouvante, quand elle sâaperçut de lâabsence de ses Ă©paules. Tout ce quâelle pouvait voir en regardant en bas, câĂ©tait un cou long Ă nâen plus finir qui semblait se dresser comme une tige, du milieu dâun ocĂ©an de verdure sâĂ©tendant bien loin au-dessous dâelle, Quâest-ce que câest que toute cette verdure ? » dit Alice. Et oĂč donc sont mes Ă©paules ? Oh ! mes pauvres mains ! Comment se fait-il que je ne puis vous voir ? » Tout en parlant elle agitait les mains, mais il nâen rĂ©sulta quâun petit mouvement au loin parmi les feuilles vertes. Comme elle ne trouvait pas le moyen de porter ses mains Ă sa tĂȘte, elle tĂącha de porter sa tĂȘte Ă ses mains, et sâaperçut avec joie que son cou se repliait avec aisance de tous cĂŽtĂ©s comme un serpent. Elle venait de rĂ©ussir Ă le plier en un gracieux zigzag, et allait plonger parmi les feuilles, qui Ă©taient tout simplement le haut des arbres sous lesquels elle avait errĂ©, quand un sifflement aigu la força de reculer promptement ; un gros pigeon venait de lui voler Ă la figure, et lui donnait de grands coups dâailes. Serpent ! » criait le Pigeon. Je ne suis pas un serpent, » dit Alice, avec indignation. Laissez-moi tranquille. » Serpent ! Je le rĂ©pĂšte, » dit le Pigeon, mais dâun ton plus doux ; puis il continua avec une espĂšce de sanglot Jâai essayĂ© de toutes les façons, rien ne semble les satisfaire. » Je nâai pas la moindre idĂ©e de ce que vous voulez dire, » rĂ©pondit Alice. Jâai essayĂ© des racines dâarbres ; jâai essayĂ© des talus ; jâai essayĂ© des haies, » continua le Pigeon sans faire attention Ă elle. Mais ces serpents ! il nây a pas moyen de les satisfaire. » Alice Ă©tait de plus en plus intriguĂ©e, mais elle pensa que ce nâĂ©tait pas la peine de rien dire avant que le Pigeon eĂ»t fini de parler. Je nâai donc pas assez de mal Ă couver mes Ćufs, » dit le Pigeon. Il faut encore que je guette les serpents nuit et jour. Je nâai pas fermĂ© lâĆil depuis trois semaines ! » Je suis fĂąchĂ©e que vous ayez Ă©tĂ© tourmentĂ©, » dit Alice, qui commençait Ă comprendre. Au moment oĂč je venais de choisir lâarbre le plus haut de la forĂȘt, » continua le Pigeon en Ă©levant la voix jusquâĂ crier, â au moment oĂč je me figurais que jâallais en ĂȘtre enfin dĂ©barrassĂ©, les voilĂ qui tombent du ciel en replis tortueux. » Oh ! le vilain serpent ! » Mais je ne suis pas un serpent, » dit Alice. Je suis une â Je suis â » Eh bien ! quâĂȘtes-vous ! » dit le Pigeon Je vois que vous cherchez Ă inventer quelque chose. » Je â je suis une petite fille, » rĂ©pondit Alice avec quelque hĂ©sitation, car elle se rappelait combien de changements elle avait Ă©prouvĂ©s ce jour-lĂ . VoilĂ une histoire bien vraisemblable ! » dit le Pigeon dâun air de profond mĂ©pris. Jâai vu bien des petites filles dans mon temps, mais je nâen ai jamais vu avec un cou comme cela. Non, non ; vous ĂȘtes un serpent ; il est inutile de le nier. Vous allez sans doute me dire que vous nâavez jamais mangĂ© dâĆufs. » Si fait, jâai mangĂ© des Ćufs, » dit Alice, qui ne savait pas mentir ; mais vous savez que les petites filles mangent des Ćufs aussi bien que les serpents. » Je nâen crois rien, » dit le Pigeon, mais sâil en est ainsi, elles sont une espĂšce de serpent ; câest tout ce que jâai Ă vous dire. » Cette idĂ©e Ă©tait si nouvelle pour Alice quâelle resta muette pendant une ou deux minutes, ce qui donna au Pigeon le temps dâajouter Vous cherchez des Ćufs, ça jâen suis bien sĂ»r, et alors que mâimporte que vous soyez une petite fille ou un serpent ? » Cela mâimporte beaucoup Ă moi, » dit Alice vivement ; mais je ne cherche pas dâĆufs justement, et quand mĂȘme jâen chercherais je ne voudrais pas des vĂŽtres ; je ne les aime pas crus. » Eh bien ! allez-vous-en alors, » dit le Pigeon dâun ton boudeur en se remettant dans son nid. Alice se glissa parmi les arbres du mieux quâelle put en se baissant, car son cou sâentortillait dans les branches, et Ă chaque instant il lui fallait sâarrĂȘter et le dĂ©sentortiller. Au bout de quelque temps, elle se rappela quâelle tenait encore dans ses mains les morceaux de champignon, et elle se mit Ă lâĆuvre avec grand soin, grignotant tantĂŽt lâun, tantĂŽt lâautre, et tantĂŽt grandissant, tantĂŽt rapetissant, jusquâĂ ce quâenfin elle parvint Ă se ramener Ă sa grandeur naturelle. Il y avait si longtemps quâelle nâavait Ă©tĂ© dâune taille raisonnable que cela lui parut dâabord tout drĂŽle, mais elle finit par sây accoutumer, et commença Ă se parler Ă elle-mĂȘme, comme dâhabitude. Allons, voilĂ maintenant la moitiĂ© de mon projet exĂ©cutĂ©. Comme tous ces changements sont embarrassants ! Je ne suis jamais sĂ»re de ce que je vais devenir dâune minute Ă lâautre. Toutefois, je suis redevenue de la bonne grandeur ; il me reste maintenant Ă pĂ©nĂ©trer dans ce magnifique jardin. Comment faire ? » En disant ces mots elle arriva tout Ă coup Ă une clairiĂšre, oĂč se trouvait une maison dâenviron quatre pieds de haut. Quels que soient les gens qui demeurent lĂ , » pensa Alice, il ne serait pas raisonnable de se prĂ©senter Ă eux grande comme je suis. Ils deviendraient fous de frayeur. » Elle se mit de nouveau Ă grignoter le morceau quâelle tenait dans sa main droite, et ne sâaventura pas prĂšs de la maison avant dâavoir rĂ©duit sa taille Ă neuf pouces. CHAPITRE ET POIVRE. Alice resta une ou deux minutes Ă regarder Ă la porte ; elle se demandait ce quâil fallait faire, quand tout Ă coup un laquais en livrĂ©e sortit du bois en courant. Elle le prit pour un laquais Ă cause de sa livrĂ©e ; sans cela, Ă nâen juger que par la figure, elle lâaurait pris pour un poisson. Il frappa fortement avec son doigt Ă la porte. Elle fut ouverte par un autre laquais en livrĂ©e qui avait la face toute ronde et de gros yeux comme une grenouille. Alice remarqua que les deux laquais avaient les cheveux poudrĂ©s et tout frisĂ©s. Elle se sentit piquĂ©e de curiositĂ©, et, voulant savoir ce que tout cela signifiait, elle se glissa un peu en dehors du bois afin dâĂ©couter. Le Laquais-Poisson prit de dessous son bras une lettre Ă©norme, presque aussi grande que lui, et la prĂ©senta au Laquais-Grenouille en disant dâun ton solennel Pour Madame la Duchesse, une invitation de la Reine Ă une partie de croquet. » Le Laquais-Grenouille rĂ©pĂ©ta sur le mĂȘme ton solennel, en changeant un peu lâordre des mots De la part de la Reine une invitation pour Madame la Duchesse Ă une partie de croquet ; » puis tous deux se firent un profond salut et les boucles de leurs chevelures sâentremĂȘlĂšrent. Cela fit tellement rire Alice quâelle eut Ă rentrer bien vite dans le bois de peur dâĂȘtre entendue ; et quand elle avança la tĂȘte pour regarder de nouveau, le Laquais-Poisson Ă©tait parti, et lâautre Ă©tait assis par terre prĂšs de la route, regardant niaisement en lâair. Alice sâapprocha timidement de la porte et frappa. Cela ne sert Ă rien du tout de frapper, » dit le Laquais, et cela pour deux raisons premiĂšrement, parce que je suis du mĂȘme cĂŽtĂ© de la porte que vous ; deuxiĂšmement, parce quâon fait lĂ -dedans un tel bruit que personne ne peut vous entendre. » En effet, il se faisait dans lâintĂ©rieur un bruit extraordinaire, des hurlements et des Ă©ternuements continuels, et de temps Ă autre un grand fracas comme si on brisait de la vaisselle. Eh bien ! comment puis-je entrer, sâil vous plaĂźt ? » demanda Alice. Il y aurait quelque bon sens Ă frapper Ă cette porte, » continua le Laquais sans lâĂ©couter, si nous avions la porte entre nous deux. Par exemple, si vous Ă©tiez Ă lâintĂ©rieur vous pourriez frapper et je pourrais vous laisser sortir. » Il regardait en lâair tout le temps quâil parlait, et Alice trouvait cela trĂšs-impoli. Mais peut-ĂȘtre ne peut-il pas sâen empĂȘcher, » dit-elle ; il a les yeux presque sur le sommet de la tĂȘte. Dans tous les cas il pourrait bien rĂ©pondre Ă mes questions. â Comment faire pour entrer ? » rĂ©pĂ©ta-t-elle tout haut. Je vais rester assis ici, » dit le Laquais, jusquâĂ demain â » Au mĂȘme instant la porte de la maison sâouvrit, et une grande assiette vola tout droit dans la direction de la tĂȘte du Laquais ; elle lui effleura le nez, et alla se briser contre un arbre derriĂšre lui. â ou le jour suivant peut-ĂȘtre, » continua le Laquais sur le mĂȘme ton, tout comme si rien nâĂ©tait arrivĂ©. Comment faire pour entrer ? » redemanda Alice en Ă©levant la voix. Mais devriez-vous entrer ? » dit le Laquais. Câest ce quâil faut se demander, nâest-ce pas ? » Bien certainement, mais Alice trouva mauvais quâon le lui dĂźt. Câest vraiment terrible, » murmura-t-elle, de voir la maniĂšre dont ces gens-lĂ discutent, il y a de quoi rendre fou. » Le Laquais trouva lâoccasion bonne pour rĂ©pĂ©ter son observation avec des variantes. Je resterai assis ici, » dit-il, lâun dans lâautre, pendant des jours et des jours ! » Mais que faut-il que je fasse ? » dit Alice. Tout ce que vous voudrez, » dit le Laquais ; et il se mit Ă siffler. Oh ! ce nâest pas la peine de lui parler, » dit Alice, dĂ©sespĂ©rĂ©e ; câest un parfait idiot. » Puis elle ouvrit la porte et entra. La porte donnait sur une grande cuisine qui Ă©tait pleine de fumĂ©e dâun bout Ă lâautre. La Duchesse Ă©tait assise sur un tabouret Ă trois pieds, au milieu de la cuisine, et dorlotait un bĂ©bĂ© ; la cuisiniĂšre, penchĂ©e sur le feu, brassait quelque chose dans un grand chaudron qui paraissait rempli de soupe. Bien sĂ»r, il y a trop de poivre dans la soupe, » se dit Alice, tout empĂȘchĂ©e par les Ă©ternuements. Il y en avait certainement trop dans lâair. La Duchesse elle-mĂȘme Ă©ternuait de temps en temps, et quant au bĂ©bĂ© il Ă©ternuait et hurlait alternativement sans aucune interruption. Les deux seules crĂ©atures qui nâĂ©ternuassent pas, Ă©taient la cuisiniĂšre et un gros chat assis sur lâĂątre et dont la bouche grimaçante Ă©tait fendue dâune oreille Ă lâautre. Pourriez-vous mâapprendre, » dit Alice un peu timidement, car elle ne savait pas sâil Ă©tait bien convenable quâelle parlĂąt la premiĂšre, pourquoi votre chat grimace ainsi ? » Câest un Grimaçon, » dit la Duchesse ; voilĂ pourquoi. â Porc ! » Elle prononça ce dernier mot si fort et si subitement quâAlice en frĂ©mit. Mais elle comprit bientĂŽt que cela sâadressait au bĂ©bĂ© et non pas Ă elle ; elle reprit donc courage et continua Jâignorais quâil y eĂ»t des chats de cette espĂšce. Au fait jâignorais quâun chat pĂ»t grimacer. » Ils le peuvent tous, » dit la Duchesse ; et la plupart le font. » Je nâen connais pas un qui grimace, » dit Alice poliment, bien contente dâĂȘtre entrĂ©e en conversation. Le fait est que vous ne savez pas grandâchose, » dit la Duchesse. Le ton sur lequel fut faite cette observation ne plut pas du tout Ă Alice, et elle pensa quâil serait bon de changer la conversation. Tandis quâelle cherchait un autre sujet, la cuisiniĂšre retira de dessus le feu le chaudron plein de soupe, et se mit aussitĂŽt Ă jeter tout ce qui lui tomba sous la main Ă la Duchesse et au bĂ©bĂ© â la pelle et les pincettes dâabord, Ă leur suite vint une pluie de casseroles, dâassiettes et de plats. La Duchesse nây faisait pas la moindre attention, mĂȘme quand elle en Ă©tait atteinte, et lâenfant hurlait dĂ©jĂ si fort auparavant quâil Ă©tait impossible de savoir si les coups lui faisaient mal ou non. Oh ! je vous en prie, prenez garde Ă ce que vous faites, » criait Alice, sautant çà et lĂ et en proie Ă la terreur. Oh ! son cher petit nez ! » Une casserole dâune grandeur peu ordinaire venait de voler tout prĂšs du bĂ©bĂ©, et avait failli lui emporter le nez. Si chacun sâoccupait de ses affaires, » dit la Duchesse avec un grognement rauque, le monde nâen irait que mieux. » Ce qui ne serait guĂšre avantageux, » dit Alice, enchantĂ©e quâil se prĂ©sentĂąt une occasion de montrer un peu de son savoir. Songez Ă ce que deviendraient le jour et la nuit ; vous voyez bien, la terre met vingt-quatre heures Ă faire sa rĂ©volution. » Ah ! vous parlez de faire des rĂ©volutions ! » dit la Duchesse. Quâon lui coupe la tĂȘte ! » Alice jeta un regard inquiet sur la cuisiniĂšre pour voir si elle allait obĂ©ir ; mais la cuisiniĂšre Ă©tait tout occupĂ©e Ă brasser la soupe et paraissait ne pas Ă©couter. Alice continua donc Vingt-quatre heures, je crois, ou bien douze ? Je pense â » Oh ! laissez-moi la paix, » dit la Duchesse, je nâai jamais pu souffrir les chiffres. » Et lĂ -dessus elle recommença Ă dorloter son enfant, lui chantant une espĂšce de chanson pour lâendormir et lui donnant une forte secousse au bout de chaque vers. Grondez-moi ce vilain garçon ! Battez-le quand il Ă©ternue ; Ă vous taquiner, sans façon Le mĂ©chant enfant sâĂ©vertue. » Refrain que reprirent en chĆur la cuisiniĂšre et le bĂ©bĂ©. Brou, Brou, Brou ! » bis. En chantant le second couplet de la chanson la Duchesse faisait sauter le bĂ©bĂ© et le secouait violemment, si bien que le pauvre petit ĂȘtre hurlait au point quâAlice put Ă peine entendre ces mots Oui, oui, je mâen vais le gronder, Et le battre, sâil Ă©ternue ; Car bientĂŽt Ă savoir poivrer, Je veux que lâenfant sâhabitue. » Refrain. Brou, Brou, Brou ! » bis. Tenez, vous pouvez le dorloter si vous voulez ! » dit la Duchesse Ă Alice et Ă ces mots elle lui jeta le bĂ©bĂ©. Il faut que jâaille mâapprĂȘter pour aller jouer au croquet avec la Reine. » Et elle se prĂ©cipita hors de la chambre. La cuisiniĂšre lui lança une poĂȘle comme elle sâen allait, mais elle la manqua tout juste. Alice eut de la peine Ă attraper le bĂ©bĂ©. CâĂ©tait un petit ĂȘtre dâune forme Ă©trange qui tenait ses bras et ses jambes Ă©tendus dans toutes les directions ; Tout comme une Ă©toile de mer, » pensait Alice. La pauvre petite crĂ©ature ronflait comme une machine Ă vapeur lorsquâelle lâattrapa, et ne cessait de se plier en deux, puis de sâĂ©tendre tout droit, de sorte quâavec tout cela, pendant les premiers instants, câest tout ce quâelle pouvait faire que de le tenir. SitĂŽt quâelle eut trouvĂ© le bon moyen de le bercer, qui Ă©tait dâen faire une espĂšce de nĆud, et puis de le tenir fermement par lâoreille droite et le pied gauche afin de lâempĂȘcher de se dĂ©nouer, elle le porta dehors en plein air. Si je nâemporte pas cet enfant avec moi, » pensa Alice, ils le tueront bien sĂ»r un de ces jours. Ne serait-ce pas un meurtre de lâabandonner ? » Elle dit ces derniers mots Ă haute voix, et la petite crĂ©ature rĂ©pondit en grognant elle avait cessĂ© dâĂ©ternuer alors. Ne grogne pas ainsi, » dit Alice ; ce nâest pas lĂ du tout une bonne maniĂšre de sâexprimer. » Le bĂ©bĂ© grogna de nouveau. Alice le regarda au visage avec inquiĂ©tude pour voir ce quâil avait. Sans contredit son nez Ă©tait trĂšs-retroussĂ©, et ressemblait bien plutĂŽt Ă un groin quâĂ un vrai nez. Ses yeux aussi devenaient trĂšs-petits pour un bĂ©bĂ©. Enfin Alice ne trouva pas du tout de son goĂ»t lâaspect de ce petit ĂȘtre. Mais peut-ĂȘtre sanglotait-il tout simplement, » pensa-t-elle, et elle regarda de nouveau les yeux du bĂ©bĂ© pour voir sâil nây avait pas de larmes. Si tu vas te changer en porc, » dit Alice trĂšs-sĂ©rieusement, je ne veux plus rien avoir Ă faire avec toi. Fais-y bien attention ! » La pauvre petite crĂ©ature sanglota de nouveau, ou grogna il Ă©tait impossible de savoir lequel des deux, et ils continuĂšrent leur chemin un instant en silence. Alice commençait Ă dire en elle-mĂȘme, Mais, que faire de cette crĂ©ature quand je lâaurai portĂ©e Ă la maison ? » lorsquâil grogna de nouveau si fort quâelle regarda sa figure avec quelque inquiĂ©tude. Cette fois il nây avait pas Ă sây tromper, câĂ©tait un porc, ni plus ni moins, et elle comprit quâil serait ridicule de le porter plus loin. Elle dĂ©posa donc par terre le petit animal, et se sentit toute soulagĂ©e de le voir trotter tranquillement vers le bois. Sâil avait grandi, » se dit-elle, il serait devenu un bien vilain enfant ; tandis quâil fait un assez joli petit porc, il me semble. » Alors elle se mit Ă penser Ă dâautres enfants quâelle connaissait et qui feraient dâassez jolis porcs, si seulement on savait la maniĂšre de sây prendre pour les mĂ©tamorphoser. Elle Ă©tait en train de faire ces rĂ©flexions, lorsquâelle tressaillit en voyant tout Ă coup le Chat assis Ă quelques pas de lĂ sur la branche dâun arbre. Le Chat grimaça en apercevant Alice. Elle trouva quâil avait lâair bon enfant, et cependant il avait de trĂšs-longues griffes et une grande rangĂ©e de dents ; aussi comprit-elle quâil fallait le traiter avec respect. Grimaçon ! » commença-t-elle un peu timidement, ne sachant pas du tout si cette familiaritĂ© lui serait agrĂ©able ; toutefois il ne fit quâallonger sa grimace. Allons, il est content jusquâĂ prĂ©sent, » pensa Alice, et elle continua Dites-moi, je vous prie, de quel cĂŽtĂ© faut-il me diriger ? » Cela dĂ©pend beaucoup de lâendroit oĂč vous voulez aller, » dit le Chat. Cela mâest assez indiffĂ©rent, » dit Alice. Alors peu importe de quel cĂŽtĂ© vous irez, » dit le Chat. Pourvu que jâarrive quelque part, » ajouta Alice en explication. Cela ne peut manquer, pourvu que vous marchiez assez longtemps. » Alice comprit que cela Ă©tait incontestable ; elle essaya donc dâune autre question Quels sont les gens qui demeurent par ici ? » De ce cĂŽtĂ©-ci, » dit le Chat, dĂ©crivant un cercle avec sa patte droite, demeure un chapelier ; de ce cĂŽtĂ©-lĂ , » faisant de mĂȘme avec sa patte gauche, demeure un liĂšvre. Allez voir celui que vous voudrez, tous deux sont fous. » Mais je ne veux pas frĂ©quenter des fous, » fit observer Alice. Vous ne pouvez pas vous en dĂ©fendre, tout le monde est fou ici. Je suis fou, vous ĂȘtes folle. » Comment savez-vous que je suis folle ? » dit Alice. Vous devez lâĂȘtre, » dit le Chat, sans cela ne seriez pas venue ici. » Alice pensa que cela ne prouvait rien. Toutefois elle continua Et comment savez-vous que vous ĂȘtes fou ? » Dâabord, » dit le Chat, un chien nâest pas fou ; vous convenez de cela. » Je le suppose, » dit Alice. Eh bien ! » continua le Chat, un chien grogne quand il se fĂąche, et remue la queue lorsquâil est content. Or, moi, je grogne quand je suis content, et je remue la queue quand je me fĂąche. Donc je suis fou. » Jâappelle cela faire le rouet, et non pas grogner, » dit Alice. Appelez cela comme vous voudrez, » dit le Chat. Jouez-vous au croquet avec la Reine aujourdâhui ? » Cela me ferait grand plaisir, » dit Alice, mais je nâai pas Ă©tĂ© invitĂ©e. » Vous mây verrez, » dit le Chat ; et il disparut. Alice ne fut pas trĂšs-Ă©tonnĂ©e, tant elle commençait Ă sâhabituer aux Ă©vĂ©nements extraordinaires. Tandis quâelle regardait encore lâendroit que le Chat venait de quitter, il reparut tout Ă coup. Ă propos, quâest devenu le bĂ©bĂ© ? Jâallais oublier de le demander. » Il a Ă©tĂ© changĂ© en porc, » dit tranquillement Alice, comme si le Chat Ă©tait revenu dâune maniĂšre naturelle. Je mâen doutais, » dit le Chat ; et il disparut de nouveau. Alice attendit quelques instants, espĂ©rant presque le revoir, mais il ne reparut pas ; et une ou deux minutes aprĂšs, elle continua son chemin dans la direction oĂč on lui avait dit que demeurait le LiĂšvre. Jâai dĂ©jĂ vu des chapeliers, » se dit-elle ; le LiĂšvre sera de beaucoup le plus intĂ©ressant. » Ă ces mots elle leva les yeux, et voilĂ que le Chat Ă©tait encore lĂ assis sur une branche dâarbre. Mâavez-vous dit porc, ou porte ? » demanda le Chat. Jâai dit porc, » rĂ©pĂ©ta Alice. Ne vous amusez donc pas Ă paraĂźtre et Ă disparaĂźtre si subitement, vous faites tourner la tĂȘte aux gens. » Câest bon, » dit le Chat, et cette fois il sâĂ©vanouit tout doucement Ă commencer par le bout de la queue, et finissant par sa grimace qui demeura quelque temps aprĂšs que le reste fut disparu. Certes, » pensa Alice, jâai souvent vu un chat sans grimace, mais une grimace sans chat, je nâai jamais de ma vie rien vu de si drĂŽle. » Elle ne fit pas beaucoup de chemin avant dâarriver devant la maison du LiĂšvre. Elle pensa que ce devait bien ĂȘtre lĂ la maison, car les cheminĂ©es Ă©taient en forme dâoreilles et le toit Ă©tait couvert de fourrure. La maison Ă©tait si grande quâelle nâosa sâapprocher avant dâavoir grignotĂ© encore un peu du morceau de champignon quâelle avait dans la main gauche, et dâavoir atteint la taille de deux pieds environ ; et mĂȘme alors elle avança timidement en se disant Si aprĂšs tout il Ă©tait fou furieux ! Je voudrais presque avoir Ă©tĂ© faire visite au Chapelier plutĂŽt que dâĂȘtre venue ici. » CHAPITRE THĂ DE FOUS. Il y avait une table servie sous un arbre devant la maison, et le LiĂšvre y prenait le thĂ© avec le Chapelier. Un Loir profondĂ©ment endormi Ă©tait assis entre les deux autres qui sâen servaient comme dâun coussin, le coude appuyĂ© sur lui et causant par-dessus sa tĂȘte. Bien gĂȘnant pour le Loir, » pensa Alice. Mais comme il est endormi je suppose que cela lui est Ă©gal. » Bien que la table fĂ»t trĂšs-grande, ils Ă©taient tous trois serrĂ©s lâun contre lâautre Ă un des coins. Il nây a pas de place ! Il nây a pas de place ! » criĂšrent-ils en voyant Alice. Il y a abondance de place, » dit Alice indignĂ©e, et elle sâassit dans un large fauteuil Ă lâun des bouts de la table. Prenez donc du vin, » dit le LiĂšvre dâun ton engageant. Alice regarda tout autour de la table, mais il nây avait que du thĂ©. Je ne vois pas de vin, » fit-elle observer. Il nây en a pas, » dit le LiĂšvre. En ce cas il nâĂ©tait pas trĂšs-poli de votre part de mâen offrir, » dit Alice dâun ton fĂąchĂ©. Il nâĂ©tait pas non plus trĂšs-poli de votre part de vous mettre Ă table avant dây ĂȘtre invitĂ©e, » dit le LiĂšvre. Jâignorais que ce fĂ»t votre table, » dit Alice. Il y a des couverts pour bien plus de trois convives. » Vos cheveux ont besoin dâĂȘtre coupĂ©s, » dit le Chapelier. Il avait considĂ©rĂ© Alice pendant quelque temps avec beaucoup de curiositĂ©, et ce fut la premiĂšre parole quâil lui adressa. Vous devriez apprendre Ă ne pas faire de remarques sur les gens ; câest trĂšs-grossier, » dit Alice dâun ton sĂ©vĂšre. Ă ces mots le Chapelier ouvrit de grands yeux ; mais il se contenta de dire Pourquoi une pie ressemble-t-elle Ă un pupitre ? » Bon ! nous allons nous amuser, » pensa Alice. Je suis bien aise quâils se mettent Ă demander des Ă©nigmes. Je crois pouvoir deviner cela, » ajouta-t-elle tout haut. Voulez-vous dire que vous croyez pouvoir trouver la rĂ©ponse ? » dit le LiĂšvre. PrĂ©cisĂ©ment, » rĂ©pondit Alice. Alors vous devriez dire ce que vous voulez dire, » continua le LiĂšvre. Câest ce que je fais, » rĂ©pliqua vivement Alice. Du moins â je veux dire ce que je dis ; câest la mĂȘme chose, nâest-ce pas ? » Ce nâest pas du tout la mĂȘme chose, » dit le Chapelier. Vous pourriez alors dire tout aussi bien que Je vois ce que je mange, » est la mĂȘme chose que Je mange ce que je vois. » » Vous pourriez alors dire tout aussi bien, » ajouta le LiĂšvre, que Jâaime ce quâon me donne, » est la mĂȘme chose que On me donne ce que jâaime. » » Vous pourriez dire tout aussi bien, » ajouta le Loir, qui paraissait parler tout endormi, que Je respire quand je dors, » est la mĂȘme chose que Je dors quand je respire. » » Câest en effet tout un pour vous, » dit le Chapelier. Sur ce, la conversation tomba et il se fit un silence de quelques minutes. Pendant ce temps, Alice repassa dans son esprit tout ce quâelle savait au sujet des pies et des pupitres ; ce qui nâĂ©tait pas grandâchose. Le Chapelier rompit le silence le premier. Quel quantiĂšme du mois sommes-nous ? » dit-il en se tournant vers Alice. Il avait tirĂ© sa montre de sa poche et la regardait dâun air inquiet, la secouant de temps Ă autre et lâapprochant de son oreille. Alice rĂ©flĂ©chit un instant et rĂ©pondit Le quatre. » Elle est de deux jours en retard, » dit le Chapelier avec un soupir. Je vous disais bien que le beurre ne vaudrait rien au mouvement ! » ajouta-t-il en regardant le LiĂšvre avec colĂšre. CâĂ©tait tout ce quâil y avait de plus fin en beurre, » dit le LiĂšvre humblement. Oui, mais il faut quâil y soit entrĂ© des miettes de pain, » grommela le Chapelier. Vous nâauriez pas dĂ» vous servir du couteau au pain pour mettre le beurre. » Le LiĂšvre prit la montre, et la contempla tristement, puis la trempa dans sa tasse, la contempla de nouveau, et pourtant ne trouva rien de mieux Ă faire que de rĂ©pĂ©ter sa premiĂšre observation CâĂ©tait tout ce quâil y avait de plus fin en beurre. » Alice avait regardĂ© par-dessus son Ă©paule avec curiositĂ© Quelle singuliĂšre montre ! » dit-elle. Elle marque le quantiĂšme du mois, et ne marque pas lâheure quâil est ! » Et pourquoi marquerait-elle lâheure ? » murmura le Chapelier. Votre montre marque-t-elle dans quelle annĂ©e vous ĂȘtes ? » Non, assurĂ©ment ! » rĂ©pliqua Alice sans hĂ©siter. Mais câest parce quâelle reste Ă la mĂȘme annĂ©e pendant si longtemps. » Tout comme la mienne, » dit le Chapelier. Alice se trouva fort embarrassĂ©e. Lâobservation du Chapelier lui paraissait nâavoir aucun sens ; et cependant la phrase Ă©tait parfaitement correcte. Je ne vous comprends pas bien, » dit-elle, aussi poliment que possible. Le Loir est rendormi, » dit le Chapelier ; et il lui versa un peu de thĂ© chaud sur le nez. Le Loir secoua la tĂȘte avec impatience, et dit, sans ouvrir les yeux Sans doute, sans doute, câest justement ce que jâallais dire. » Avez-vous devinĂ© lâĂ©nigme ? » dit le Chapelier, se tournant de nouveau vers Alice. Non, jây renonce, » rĂ©pondit Alice ; quelle est la rĂ©ponse ? » Je nâen ai pas la moindre idĂ©e, » dit le Chapelier. Ni moi non plus, » dit le LiĂšvre. Alice soupira dâennui. Il me semble que vous pourriez mieux employer le temps, » dit-elle, et ne pas le gaspiller Ă proposer des Ă©nigmes qui nâont point de rĂ©ponses. » Si vous connaissiez le Temps aussi bien que moi, » dit le Chapelier, vous ne parleriez pas de le gaspiller. On ne gaspille pas quelquâun. » Je ne vous comprends pas, » dit Alice. Je le crois bien, » rĂ©pondit le Chapelier, en secouant la tĂȘte avec mĂ©pris ; je parie que vous nâavez jamais parlĂ© au Temps. » Cela se peut bien, » rĂ©pliqua prudemment Alice, mais je lâai souvent mal employĂ©. » Ah ! voilĂ donc pourquoi ! Il nâaime pas cela, » dit le Chapelier. Mais si seulement vous saviez le mĂ©nager, il ferait de la pendule tout ce que vous voudriez. Par exemple, supposons quâil soit neuf heures du matin, lâheure de vos leçons, vous nâauriez quâĂ dire tout bas un petit mot au Temps, et lâaiguille partirait en un clin dâĆil pour marquer une heure et demie, lâheure du dĂźner. » Je le voudrais bien, » dit tout bas le LiĂšvre. Cela serait trĂšs-agrĂ©able, certainement, » dit Alice dâun air pensif ; mais alors â je nâaurais pas encore faim, comprenez donc. » Peut-ĂȘtre pas dâabord, » dit le Chapelier ; mais vous pourriez retenir lâaiguille Ă une heure et demie aussi longtemps que vous voudriez. » Est-ce comme cela que vous faites, vous ? » demanda Alice. Le Chapelier secoua tristement la tĂȘte. HĂ©las ! non, » rĂ©pondit-il, nous nous sommes querellĂ©s au mois de mars dernier, un peu avant quâil devĂźnt fou. » Il montrait le LiĂšvre du bout de sa cuiller. CâĂ©tait Ă un grand concert donnĂ© par la Reine de CĆur, et jâeus Ă chanter Ah ! vous dirai-je, ma sĆur, Ce qui calme ma douleur ! » Vous connaissez peut-ĂȘtre cette chanson ? » Jâai entendu chanter quelque chose comme ça, » dit Alice. Vous savez la suite, » dit le Chapelier ; et il continua Câest que jâavais des dragĂ©es,Et que je les ai mangĂ©es. » Ici le Loir se secoua et se mit Ă chanter, tout en dormant Et que je les ai mangĂ©es, mangĂ©es, mangĂ©es, mangĂ©es, mangĂ©es, » si longtemps, quâil fallĂ»t le pincer pour le faire taire. Eh bien, jâavais Ă peine fini le premier couplet, » dit le Chapelier, que la Reine hurla Ah ! câest comme ça que vous tuez le temps ! Quâon lui coupe la tĂȘte ! » » Quelle cruautĂ© ! » sâĂ©cria Alice. Et, depuis lors, » continua le Chapelier avec tristesse, le Temps ne veut rien faire de ce que je lui demande. Il est toujours six heures maintenant. » Une brillante idĂ©e traversa lâesprit dâAlice. Est-ce pour cela quâil y a tant de tasses Ă thĂ© ici ? » demanda-t-elle. Oui, câest cela, » dit le Chapelier avec un soupir ; il est toujours lâheure du thĂ©, et nous nâavons pas le temps de laver la vaisselle dans lâintervalle. » Alors vous faites tout le tour de la table, je suppose ? » dit Alice. Justement, » dit le Chapelier, Ă mesure que les tasses ont servi. » Mais, quâarrive-t-il lorsque vous vous retrouvez au commencement ? » se hasarda de dire Alice. Si nous changions de conversation, » interrompit le LiĂšvre en bĂąillant ; celle-ci commence Ă me fatiguer. Je propose que la petite demoiselle nous conte une histoire. » Jâai bien peur de nâen pas savoir, » dit Alice, que cette proposition alarmait un peu. Eh bien, le Loir va nous en dire une, » criĂšrent-ils tous deux. Allons, Loir, rĂ©veillez-vous ! » et ils le pincĂšrent des deux cĂŽtĂ©s Ă la fois. Le Loir ouvrit lentement les yeux. Je ne dormais pas, » dit-il dâune voix faible et enrouĂ©e. Je nâai pas perdu un mot de ce que vous avez dit, vous autres. » Racontez-nous une histoire, » dit le LiĂšvre. Ah ! Oui, je vous en prie, » dit Alice dâun ton suppliant. Et faites vite, » ajouta le Chapelier, sans cela vous allez vous rendormir avant de vous mettre en train. » Il y avait une fois trois petites sĆurs, » commença bien vite le Loir, qui sâappelaient Elsie, Lacie, et Tillie, et elles vivaient au fond dâun puits. » De quoi vivaient-elles ? » dit Alice, qui sâintĂ©ressait toujours aux questions de boire ou de manger. Elles vivaient de mĂ©lasse, » dit le Loir, aprĂšs avoir rĂ©flĂ©chi un instant. Ce nâest pas possible, comprenez donc, » fit doucement observer Alice ; cela les aurait rendues malades. » Et en effet, » dit le Loir, elles Ă©taient trĂšs-malades. » Alice chercha Ă se figurer un peu lâeffet que produirait sur elle une maniĂšre de vivre si extraordinaire, mais cela lui parut trop embarrassant, et elle continua Mais pourquoi vivaient-elles au fond dâun puits ? » Prenez un peu plus de thĂ©, » dit le LiĂšvre Ă Alice avec empressement. Je nâen ai pas pris du tout, » rĂ©pondit Alice dâun air offensĂ©. Je ne peux donc pas en prendre un peu plus. » Vous voulez dire que vous ne pouvez pas en prendre moins, » dit le Chapelier. Il est trĂšs-aisĂ© de prendre un peu plus que pas du tout. » On ne vous a pas demandĂ© votre avis, Ă vous, » dit Alice. Ah ! qui est-ce qui se permet de faire des observations ? » demanda le Chapelier dâun air triomphant. Alice ne savait pas trop que rĂ©pondre Ă cela. Aussi se servit-elle un peu de thĂ© et une tartine de pain et de beurre ; puis elle se tourna du cĂŽtĂ© du Loir, et rĂ©pĂ©ta sa question. Pourquoi vivaient-elles au fond dâun puits ? » Le Loir rĂ©flĂ©chit de nouveau pendant quelques instants et dit CâĂ©tait un puits de mĂ©lasse. » Il nâen existe pas ! » se mit Ă dire Alice dâun ton courroucĂ©. Mais le Chapelier et le LiĂšvre firent Chut ! Chut ! » et le Loir fit observer dâun ton bourru TĂąchez dâĂȘtre polie, ou finissez lâhistoire vous-mĂȘme. » Non, continuez, je vous prie, » dit Alice trĂšs-humblement. Je ne vous interromprai plus ; peut-ĂȘtre en existe-t-il un. » Un, vraiment ! » dit le Loir avec indignation ; toutefois il voulut bien continuer. Donc, ces trois petites sĆurs, vous saurez quâelles faisaient tout ce quâelles pouvaient pour sâen tirer. » Comment auraient-elles pu sâen tirer ? » dit Alice, oubliant tout Ă fait sa promesse. Câest tout simple â » Il me faut une tasse propre, » interrompit le Chapelier. Avançons tous dâune place. » Il avançait tout en parlant, et le Loir le suivit ; le LiĂšvre prit la place du Loir, et Alice prit, dâassez mauvaise grĂące, celle du LiĂšvre. Le Chapelier fut le seul qui gagnĂąt au change ; Alice se trouva bien plus mal partagĂ©e quâauparavant, car le LiĂšvre venait de renverser le lait dans son assiette. Alice, craignant dâoffenser le Loir, reprit avec circonspection Mais je ne comprends pas ; comment auraient-elles pu sâen tirer ? » Câest tout simple, » dit le Chapelier. Quand il y a de lâeau dans un puits, vous savez bien comment on en tire, nâest-ce pas ? Eh bien ! dâun puits de mĂ©lasse on tire de la mĂ©lasse, et quand il y a des petites filles dans la mĂ©lasse on les tire en mĂȘme temps ; comprenez-vous, petite sotte ? » Pas tout Ă fait, » dit Alice, encore plus embarrassĂ©e par cette rĂ©ponse. Alors vous feriez bien de vous taire, » dit le Chapelier. Alice trouva cette grossiĂšretĂ© un peu trop forte ; elle se leva indignĂ©e et sâen alla. Le Loir sâendormit Ă lâinstant mĂȘme, et les deux autres ne prirent pas garde Ă son dĂ©part, bien quâelle regardĂąt en arriĂšre deux ou trois fois, espĂ©rant presque quâils la rappelleraient. La derniĂšre fois quâelle les vit, ils cherchaient Ă mettre le Loir dans la thĂ©iĂšre. Ă aucun prix je ne voudrais retourner auprĂšs de ces gens-lĂ , » dit Alice, en cherchant son chemin Ă travers le bois. Câest le thĂ© le plus ridicule auquel jâaie assistĂ© de ma vie ! » Comme elle disait cela, elle sâaperçut quâun des arbres avait une porte par laquelle on pouvait pĂ©nĂ©trer Ă lâintĂ©rieur. VoilĂ qui est curieux, » pensa-t-elle. Mais tout est curieux aujourdâhui. Je crois que je ferai bien dâentrer tout de suite. » Elle entra. Elle se retrouva encore dans la longue salle tout prĂšs de la petite table de verre. Cette fois je mây prendrai mieux, » se dit-elle, et elle commença par saisir la petite clef dâor et par ouvrir la porte qui menait au jardin, et puis elle se mit Ă grignoter le morceau de champignon quâelle avait mis dans sa poche, jusquâĂ ce quâelle fĂ»t rĂ©duite Ă environ deux pieds de haut ; elle prit alors le petit passage ; et enfin â elle se trouva dans le superbe jardin au milieu des brillants parterres et des fraĂźches fontaines. CHAPITRE CROQUET DE LA REINE. Un grand rosier se trouvait Ă lâentrĂ©e du jardin ; les roses quâil portait Ă©taient blanches, mais trois jardiniers Ă©taient en train de les peindre en rouge. Alice sâavança pour les regarder, et, au moment oĂč elle approchait, elle en entendit un qui disait Fais donc attention, Cinq, et ne mâĂ©clabousse pas ainsi avec ta peinture. » Ce nâest pas de ma faute, » dit Cinq dâun ton bourru, câest Sept qui mâa poussĂ© le coude. » LĂ -dessus Sept leva les yeux et dit Câest cela, Cinq ! Jetez toujours le blĂąme sur les autres ! » Vous feriez bien de vous taire, vous, » dit Cinq. Jâai entendu la Reine dire pas plus tard que hier que vous mĂ©ritiez dâĂȘtre dĂ©capitĂ© ! » Pourquoi donc cela ? » dit celui qui avait parlĂ© le premier. Cela ne vous regarde pas, Deux, » dit Sept. Si fait, cela le regarde, » dit Cinq ; et je vais le lui dire. Câest pour avoir apportĂ© Ă la cuisiniĂšre des oignons de tulipe au lieu dâoignons Ă manger. » Sept jeta lĂ son pinceau et sâĂ©criait De toutes les injustices â » lorsque ses regards tombĂšrent par hasard sur Alice, qui restait lĂ Ă les regarder, et il se retint tout Ă coup. Les autres se retournĂšrent aussi, et tous firent un profond salut. Voudriez-vous avoir la bontĂ© de me dire pourquoi vous peignez ces roses ? » demanda Alice un peu timidement. Cinq et Sept ne dirent rien, mais regardĂšrent Deux. Deux commença Ă voix basse Le fait est, voyez-vous, mademoiselle, quâil devrait y avoir ici un rosier Ă fleurs rouges, et nous en avons mis un Ă fleurs blanches, par erreur. Si la Reine sâen apercevait nous aurions tous la tĂȘte tranchĂ©e, vous comprenez. Aussi, mademoiselle, vous voyez que nous faisons de notre mieux avant quâelle vienne pour â » Ă ce moment Cinq, qui avait regardĂ© tout le temps avec inquiĂ©tude de lâautre cĂŽtĂ© du jardin, sâĂ©cria La Reine ! La Reine ! » et les trois ouvriers se prĂ©cipitĂšrent aussitĂŽt la face contre terre. Il se faisait un grand bruit de pas, et Alice se retourna, dĂ©sireuse de voir la Reine. Dâabord venaient des soldats portant des piques ; ils Ă©taient tous faits comme les jardiniers, longs et plats, les mains et les pieds aux coins ; ensuite venaient les dix courtisans. Ceux-ci Ă©taient tous parĂ©s de carreaux de diamant et marchaient deux Ă deux comme les soldats. DerriĂšre eux venaient les enfants de la Reine ; il y en avait dix, et les petits chĂ©rubins gambadaient joyeusement, se tenant par la main deux Ă deux ; ils Ă©taient tous ornĂ©s de cĆurs. AprĂšs eux venaient les invitĂ©s, des rois et des reines pour la plupart. Dans le nombre, Alice reconnut le Lapin Blanc. Il avait lâair Ă©mu et agitĂ© en parlant, souriait Ă tout ce quâon disait, et passa sans faire attention Ă elle. Suivait le Valet de CĆur, portant la couronne sur un coussin de velours ; et, fermant cette longue procession, LE ROI ET LA REINE DE CĆUR. Alice ne savait pas au juste si elle devait se prosterner comme les trois jardiniers ; mais elle ne se rappelait pas avoir jamais entendu parler dâune pareille formalitĂ©. Et dâailleurs Ă quoi serviraient les processions, » pensa-t-elle, si les gens avaient Ă se mettre la face contre terre de façon Ă ne pas les voir ? » Elle resta donc debout Ă sa place et attendit. Quand la procession fut arrivĂ©e en face dâAlice, tout le monde sâarrĂȘta pour la regarder, et la Reine dit sĂ©vĂšrement Qui est-ce ? » Elle sâadressait au Valet de CĆur, qui se contenta de saluer et de sourire pour toute rĂ©ponse. Idiot ! » dit la Reine en rejetant la tĂȘte en arriĂšre avec impatience ; et, se tournant vers Alice, elle continua Votre nom, petite ? » Je me nomme Alice, sâil plaĂźt Ă Votre MajestĂ©, » dit Alice fort poliment. Mais elle ajouta en elle-mĂȘme Ces gens-lĂ ne sont, aprĂšs tout, quâun paquet de cartes. Pourquoi en aurais-je peur ? » Et qui sont ceux-ci ? » dit la Reine, montrant du doigt les trois jardiniers Ă©tendus autour du rosier. Car vous comprenez que, comme ils avaient la face contre terre et que le dessin quâils avaient sur le dos Ă©tait le mĂȘme que celui des autres cartes du paquet, elle ne pouvait savoir sâils Ă©taient des jardiniers, des soldats, des courtisans, ou bien trois de ses propres enfants. Comment voulez-vous que je le sache ? » dit Alice avec un courage qui la surprit elle-mĂȘme. Cela nâest pas mon affaire Ă moi. » La Reine devint pourpre de colĂšre ; et aprĂšs lâavoir considĂ©rĂ©e un moment avec des yeux flamboyants comme ceux dâune bĂȘte fauve, elle se mit Ă crier Quâon lui coupe la tĂȘte ! » Quelle idĂ©e ! » dit Alice trĂšs-haut et dâun ton dĂ©cidĂ©. La Reine se tut. Le Roi lui posa la main sur le bras, et lui dit timidement ConsidĂ©rez donc, ma chĂšre amie, que ce nâest quâune enfant. » La Reine lui tourna le dos avec colĂšre, et dit au Valet Retournez-les ! » Ce que fit le Valet trĂšs-soigneusement du bout du pied. Debout ! » dit la Reine dâune voix forte et stridente. Les trois jardiniers se relevĂšrent Ă lâinstant et se mirent Ă saluer le Roi, la Reine, les jeunes princes, et tout le monde. Finissez ! » cria la Reine. Vous mâĂ©tourdissez. » Alors, se tournant vers le rosier, elle continua Quâest-ce que vous faites donc lĂ ? » Avec le bon plaisir de Votre MajestĂ©, » dit Deux dâun ton trĂšs-humble, mettant un genou en terre, nous tĂąchions â » Je le vois bien ! » dit la Reine, qui avait pendant ce temps examinĂ© les roses. Quâon leur coupe la tĂȘte ! » Et la procession continua sa route, trois des soldats restant en arriĂšre pour exĂ©cuter les malheureux jardiniers, qui coururent se mettre sous la protection dâAlice. Vous ne serez pas dĂ©capitĂ©s, » dit Alice ; et elle les mit dans un grand pot Ă fleurs qui se trouvait prĂšs de lĂ . Les trois soldats errĂšrent de cĂŽtĂ© et dâautre, pendant une ou deux minutes, pour les chercher, puis sâen allĂšrent tranquillement rejoindre les autres. Leur a-t-on coupĂ© la tĂȘte ? » cria la Reine. Leurs tĂȘtes nây sont plus, sâil plaĂźt Ă Votre MajestĂ© ! » lui criĂšrent les soldats. Câest bien ! » cria la Reine. Savez-vous jouer au croquet ? » Les soldats ne soufflĂšrent mot, et regardĂšrent Alice, car, Ă©videmment, câĂ©tait Ă elle que sâadressait la question. Oui, » cria Alice. Eh bien, venez ! » hurla la Reine ; et Alice se joignit Ă la procession, fort curieuse de savoir ce qui allait arriver. Il fait un bien beau temps aujourdâhui, » dit une voix timide Ă cĂŽtĂ© dâelle. Elle marchait auprĂšs du Lapin Blanc, qui la regardait dâun Ćil inquiet. Bien beau, » dit Alice. OĂč est la Duchesse ? » Chut ! Chut ! » dit vivement le Lapin Ă voix basse et en regardant avec inquiĂ©tude par-dessus son Ă©paule. Puis il se leva sur la pointe des pieds, colla sa bouche Ă lâoreille dâAlice et lui souffla Elle est condamnĂ©e Ă mort » Pour quelle raison ? » dit Alice. Avez-vous dit quel dommage ? » » demanda le Lapin. Non, » dit Alice. Je ne pense pas du tout que ce soit dommage. Jâai dit pour quelle raison ? » » Elle a donnĂ© des soufflets Ă la Reine, » commença le Lapin. Alice fit entendre un petit Ă©clat de rire. Oh, chut ! » dit tout bas le Lapin dâun ton effrayĂ©. La Reine va nous entendre ! Elle est arrivĂ©e un peu tard, voyez-vous, et la Reine a dit â » Ă vos places ! » cria la Reine dâune voix de tonnerre, et les gens se mirent Ă courir dans toutes les directions, trĂ©buchant les uns contre les autres ; toutefois, au bout de quelques instants chacun fut Ă sa place et la partie commença. Alice nâavait de sa vie vu de jeu de croquet aussi curieux que celui-lĂ . Le terrain nâĂ©tait que billons et sillons ; des hĂ©rissons vivants servaient de boules, et des flamants de maillets. Les soldats, courbĂ©s en deux, avaient Ă se tenir la tĂȘte et les pieds sur le sol pour former des arches. Ce qui embarrassa le plus Alice au commencement du jeu, ce fut de manier le flamant ; elle parvenait bien Ă fourrer son corps assez commodĂ©ment sous son bras, en laissant pendre les pieds ; mais, le plus souvent, Ă peine lui avait-elle allongĂ© le cou bien comme il faut, et allait-elle frapper le hĂ©risson avec la tĂȘte, que le flamant se relevait en se tordant, et la regardait dâun air si Ă©bahi quâelle ne pouvait sâempĂȘcher dâĂ©clater de rire ; et puis, quand elle lui avait fait baisser la tĂȘte et allait recommencer, il Ă©tait bien impatientant de voir que le hĂ©risson sâĂ©tait dĂ©roulĂ© et sâen allait. En outre, il se trouvait ordinairement un billon ou un sillon dans son chemin partout oĂč elle voulait envoyer le hĂ©risson, et comme les soldats courbĂ©s en deux se relevaient sans cesse pour sâen aller dâun autre cĂŽtĂ© du terrain, Alice en vint bientĂŽt Ă cette conclusion que câĂ©tait lĂ un jeu fort difficile, en vĂ©ritĂ©. Les joueurs jouaient tous Ă la fois, sans attendre leur tour, se querellant tout le temps et se battant Ă qui aurait les hĂ©rissons. La Reine entra bientĂŽt dans une colĂšre furieuse et se mit Ă trĂ©pigner en criant Quâon coupe la tĂȘte Ă celui-ci ! » ou bien Quâon coupe la tĂȘte Ă celle-lĂ ! » une fois environ par minute. Alice commença Ă se sentir trĂšs-mal Ă lâaise ; il est vrai quâelle ne sâĂ©tait pas disputĂ©e avec la Reine ; mais elle savait que cela pouvait lui arriver Ă tout moment. Et alors, » pensait-elle, que deviendrai-je ? Ils aiment terriblement Ă couper la tĂȘte aux gens ici. Ce qui mâĂ©tonne, câest quâil en reste encore de vivants. » Elle cherchait autour dâelle quelque moyen de sâĂ©chapper, et se demandait si elle pourrait se retirer sans ĂȘtre vue ; lorsquâelle aperçut en lâair quelque chose dâĂ©trange ; cette apparition lâintrigua beaucoup dâabord, mais, aprĂšs lâavoir considĂ©rĂ©e quelques instants, elle dĂ©couvrit que câĂ©tait une grimace, et se dit en elle-mĂȘme, Câest le Grimaçon ; maintenant jâaurai Ă qui parler. » Comment cela va-t-il ? » dit le Chat, quand il y eut assez de sa bouche pour quâil pĂ»t parler. Alice attendit que les yeux parussent, et lui fit alors un signe de tĂȘte amical. Il est inutile de lui parler, » pensait-elle, avant que ses oreilles soient venues, lâune dâelle tout au moins. » Une minute aprĂšs, la tĂȘte se montra tout entiĂšre, et alors Alice posa Ă terre son flamant et se mit Ă raconter sa partie de croquet, enchantĂ©e dâavoir quelquâun qui lâĂ©coutĂąt. Le Chat trouva apparemment quâil sâĂ©tait assez mis en vue ; car sa tĂȘte fut tout ce quâon en aperçut. Ils ne jouent pas du tout franc jeu, » commença Alice dâun ton de mĂ©contentement, et ils se querellent tous si fort, quâon ne peut pas sâentendre parler ; et puis on dirait quâils nâont aucune rĂšgle prĂ©cise ; du moins, sâil y a des rĂšgles, personne ne les suit. Ensuite vous nâavez pas idĂ©e comme cela embrouille que tous les instruments du jeu soient vivants ; par exemple, voilĂ lâarche par laquelle jâai Ă passer qui se promĂšne lĂ -bas Ă lâautre bout du jeu, et jâaurais fait croquet sur le hĂ©risson de la Reine tout Ă lâheure, sâil ne sâĂ©tait pas sauvĂ© en voyant venir le mien ! » Est-ce que vous aimez la Reine ? » dit le Chat Ă voix basse. Pas du tout, » dit Alice. Elle est si â » Au mĂȘme instant elle aperçut la Reine tout prĂšs derriĂšre elle, qui Ă©coutait ; alors elle continua si sĂ»re de gagner, que ce nâest guĂšre la peine de finir la partie. » La Reine sourit et passa. Avec qui causez-vous donc lĂ , » dit le Roi, sâapprochant dâAlice et regardant avec une extrĂȘme curiositĂ© la tĂȘte du Chat. Câest un de mes amis, un Grimaçon, » dit Alice permettez-moi de vous le prĂ©senter. » Sa mine ne me plaĂźt pas du tout, » dit le Roi. Pourtant il peut me baiser la main, si cela lui fait plaisir. » Non, grand merci, » dit le Chat. Ne faites pas lâimpertinent, » dit le Roi, et ne me regardez pas ainsi ! » Il sâĂ©tait mis derriĂšre Alice en disant ces mots. Un chat peut bien regarder un roi, » dit Alice. Jâai lu quelque chose comme cela dans un livre, mais je ne me rappelle pas oĂč. » Eh bien, il faut le faire enlever, » dit le Roi dâun ton trĂšs-dĂ©cidĂ© ; et il cria Ă la Reine, qui passait en ce moment Mon amie, je dĂ©sirerais que vous fissiez enlever ce chat ! » La Reine nâavait quâune seule maniĂšre de trancher les difficultĂ©s, petites ou grandes. Quâon lui coupe la tĂȘte ! » dit-elle sans mĂȘme se retourner. Je vais moi-mĂȘme chercher le bourreau, » dit le Roi avec empressement ; et il sâen alla prĂ©cipitamment. Alice pensa quâelle ferait bien de retourner voir oĂč en Ă©tait la partie, car elle entendait au loin la voix de la Reine qui criait de colĂšre. Elle lâavait dĂ©jĂ entendue condamner trois des joueurs Ă avoir la tĂȘte coupĂ©e, parce quâils avaient laissĂ© passer leur tour, et elle nâaimait pas du tout la tournure que prenaient les choses ; car le jeu Ă©tait si embrouillĂ© quâelle ne savait jamais quand venait son tour. Elle alla Ă la recherche de son hĂ©risson. Il Ă©tait en train de se battre avec un autre hĂ©risson ; ce qui parut Ă Alice une excellente occasion de faire croquet de lâun sur lâautre. Il nây avait Ă cela quâune difficultĂ©, et câĂ©tait que son flamant avait passĂ© de lâautre cĂŽtĂ© du jardin, oĂč Alice le voyait qui faisait de vains efforts pour sâenlever et se percher sur un arbre. Quand elle eut rattrapĂ© et ramenĂ© le flamant, la bataille Ă©tait terminĂ©e, et les deux hĂ©rissons avaient disparu. Mais cela ne fait pas grandâchose, » pensa Alice, puisque toutes les arches ont quittĂ© ce cĂŽtĂ© de la pelouse. » Elle remit donc le flamant sous son bras pour quâil ne lui Ă©chappĂąt plus, et retourna causer un peu avec son ami. Quand elle revint auprĂšs du Chat, elle fut surprise de trouver une grande foule rassemblĂ©e autour de lui. Une discussion avait lieu entre le bourreau, le Roi, et la Reine, qui parlaient tous Ă la fois, tandis que les autres ne soufflaient mot et semblaient trĂšs-mal Ă lâaise. DĂšs que parut Alice, ils en appelĂšrent Ă elle tous les trois pour quâelle dĂ©cidĂąt la question, et lui rĂ©pĂ©tĂšrent leurs raisonnements. Comme ils parlaient tous Ă la fois, elle eut beaucoup de peine Ă comprendre ce quâils disaient. Le raisonnement du bourreau Ă©tait quâon ne pouvait pas trancher une tĂȘte, Ă moins quâil nây eĂ»t un corps dâoĂč lâon pĂ»t la couper ; que jamais il nâavait eu pareille chose Ă faire, et que ce nâĂ©tait pas Ă son Ăąge quâil allait commencer. Le raisonnement du Roi Ă©tait que tout ce qui avait une tĂȘte pouvait ĂȘtre dĂ©capitĂ©, et quâil ne fallait pas dire des choses qui nâavaient pas de bon sens. Le raisonnement de la Reine Ă©tait que si la question ne se dĂ©cidait pas en moins de rien, elle ferait trancher la tĂȘte Ă tout le monde Ă la ronde. CâĂ©tait cette derniĂšre observation qui avait donnĂ© Ă toute la compagnie lâair si grave et si inquiet. Alice ne trouva rien de mieux Ă dire que Il appartient Ă la Duchesse ; câest elle que vous feriez bien de consulter Ă ce sujet. » Elle est en prison, » dit la Reine au bourreau. Quâon lâamĂšne ici. » Et le bourreau partit comme un trait. La tĂȘte du Chat commença Ă sâĂ©vanouir aussitĂŽt que le bourreau fut parti, et elle avait complĂ©tement disparu quand il revint accompagnĂ© de la Duchesse ; de sorte que le Roi et le bourreau se mirent Ă courir de cĂŽtĂ© et dâautre comme des fous pour trouver cette tĂȘte, tandis que le reste de la compagnie retournait au jeu. CHAPITRE DE LA FAUSSE-TORTUE. Vous ne sauriez croire combien je suis heureuse de vous voir, ma bonne vieille fille ! » dit la Duchesse, passant amicalement son bras sous celui dâAlice, et elles sâĂ©loignĂšrent ensemble. Alice Ă©tait bien contente de la trouver de si bonne humeur, et pensait en elle-mĂȘme que câĂ©tait peut-ĂȘtre le poivre qui lâavait rendue si mĂ©chante, lorsquâelles se rencontrĂšrent dans la cuisine. Quand je serai Duchesse, moi, » se dit-elle dâun ton qui exprimait peu dâespĂ©rance cependant, je nâaurai pas de poivre dans ma cuisine, pas le moindre grain. La soupe peut trĂšs-bien sâen passer. Ăa pourrait bien ĂȘtre le poivre qui Ă©chauffe la bile des gens, » continua-t-elle, enchantĂ©e dâavoir fait cette dĂ©couverte ; ça pourrait bien ĂȘtre le vinaigre qui les aigrit ; la camomille qui les rend amĂšres ; et le sucre dâorge et dâautres choses du mĂȘme genre qui adoucissent le caractĂšre des enfants. Je voudrais bien que tout le monde sĂ»t cela ; on ne serait pas si chiche de sucreries, voyez-vous. » Elle avait alors complĂštement oubliĂ© la Duchesse, et tressaillit en entendant sa voix tout prĂšs de son oreille. Vous pensez Ă quelque chose, ma chĂšre petite, et cela vous fait oublier de causer. Je ne puis pas vous dire en ce moment quelle est la morale de ce fait, mais je mâen souviendrai tout Ă lâheure. » Peut-ĂȘtre nây en a-t-il pas, » se hasarda de dire Alice. Bah, bah, mon enfant ! » dit la Duchesse. Il y a une morale Ă tout, si seulement on pouvait la trouver. » Et elle se serra plus prĂšs dâAlice en parlant. Alice nâaimait pas trop quâelle se tĂźnt si prĂšs dâelle ; dâabord parce que la Duchesse Ă©tait trĂšs-laide, et ensuite parce quâelle Ă©tait juste assez grande pour appuyer son menton sur lâĂ©paule dâAlice, et câĂ©tait un menton trĂšs-dĂ©sagrĂ©ablement pointu. Pourtant elle ne voulait pas ĂȘtre impolie, et elle supporta cela de son mieux. La partie va un peu mieux maintenant, » dit-elle, afin de soutenir la conversation. Câest vrai, » dit la Duchesse ; et la morale en est Oh ! câest lâamour, lâamour qui fait aller le monde Ă la ronde ! » » Quelquâun a dit, » murmura Alice, que câest quand chacun sâoccupe de ses affaires que le monde nâen va que mieux. » Eh bien ! Cela signifie presque la mĂȘme chose, » dit la Duchesse, qui enfonça son petit menton pointu dans lâĂ©paule dâAlice, en ajoutant Et la morale en est Un chien vaut mieux que deux gros rats. » » Comme elle aime Ă trouver des morales partout ! » pensa Alice. Je parie que vous vous demandez pourquoi je ne passe pas mon bras autour de votre taille, » dit la Duchesse aprĂšs une pause La raison en est que je ne me fie pas trop Ă votre flamant. Voulez-vous que jâessaie ? » Il pourrait mordre, » rĂ©pondit Alice, qui ne se sentait pas la moindre envie de faire lâessai proposĂ©. Câest bien vrai, » dit la Duchesse ; les flamants et la moutarde mordent tous les deux, et la morale en est Qui se ressemble, sâassemble. » » Seulement la moutarde nâest pas un oiseau, » rĂ©pondit Alice. Vous avez raison, comme toujours, » dit la Duchesse ; avec quelle clartĂ©, vous prĂ©sentez les choses ! » Câest un minĂ©ral, je crois, » dit Alice. AssurĂ©ment, » dit la Duchesse, qui semblait prĂȘte Ă approuver tout ce que disait Alice ; il y a une bonne mine de moutarde prĂšs dâici ; la morale en est quâil faut faire bonne mine Ă tout le monde ! » Oh ! je sais, » sâĂ©cria Alice, qui nâavait pas fait attention Ă cette derniĂšre observation, câest un vĂ©gĂ©tal ; ça nâen a pas lâair, mais câen est un. » Je suis tout Ă fait de votre avis, » dit la Duchesse, et la morale en est Soyez ce que vous voulez paraĂźtre ; » ou, si vous voulez que je le dise plus simplement Ne vous imaginez jamais de ne pas ĂȘtre autrement que ce quâil pourrait sembler aux autres que ce que vous Ă©tiez ou auriez pu ĂȘtre nâĂ©tait pas autrement que ce que vous aviez Ă©tĂ© leur aurait paru ĂȘtre autrement. » » Il me semble que je comprendrais mieux cela, » dit Alice fort poliment, si je lâavais par Ă©crit mais je ne peux pas trĂšs-bien le suivre comme vous le dites. » Cela nâest rien auprĂšs de ce que je pourrais dire si je voulais, » rĂ©pondit la Duchesse dâun ton satisfait. Je vous en prie, ne vous donnez pas la peine dâallonger davantage votre explication, » dit Alice. Oh ! ne parlez pas de ma peine, » dit la Duchesse ; je vous fais cadeau de tout ce que jâai dit jusquâĂ prĂ©sent. » VoilĂ un cadeau qui nâest pas cher ! » pensa Alice. Je suis bien contente quâon ne fasse pas de cadeau dâanniversaire comme cela ! » Mais elle ne se hasarda pas Ă le dire tout haut. Encore Ă rĂ©flĂ©chir ? » demanda la Duchesse, avec un nouveau coup de son petit menton pointu. Jâai bien le droit de rĂ©flĂ©chir, » dit Alice sĂšchement, car elle commençait Ă se sentir un peu ennuyĂ©e. Ă peu prĂšs le mĂȘme droit, » dit la Duchesse, que les cochons de voler, et la moâ » Mais ici, au grand Ă©tonnement dâAlice, la voix de la Duchesse sâĂ©teignit au milieu de son mot favori, morale, et le bras qui Ă©tait passĂ© sous le sien commença de trembler. Alice leva les yeux et vit la Reine en face dâelle, les bras croisĂ©s, sombre et terrible comme un orage. VoilĂ un bien beau temps, Votre MajestĂ© ! » fit la Duchesse, dâune voix basse et tremblante. Je vous en prĂ©viens ! » cria la Reine, trĂ©pignant tout le temps. Hors dâici, ou Ă bas la tĂȘte ! et cela en moins de rien ! Choisissez. » La Duchesse eut bientĂŽt fait son choix elle disparut en un clin dâĆil. Continuons notre partie, » dit la Reine Ă Alice ; et Alice, trop effrayĂ©e pour souffler mot, la suivit lentement vers la pelouse. Les autres invitĂ©s, profitant de lâabsence de la Reine, se reposaient Ă lâombre, mais sitĂŽt quâils la virent ils se hĂątĂšrent de retourner au jeu, la Reine leur faisant simplement observer quâun instant de retard leur coĂ»terait la vie. Tant que dura la partie, la Reine ne cessa de se quereller avec les autres joueurs et de crier Quâon coupe la tĂȘte Ă celui-ci ! Quâon coupe la tĂȘte Ă celle-lĂ ! » Ceux quâelle condamnait Ă©taient arrĂȘtĂ©s par les soldats qui, bien entendu, avaient Ă cesser de servir dâarches, de sorte quâau bout dâune demi-heure environ, il ne restait plus dâarches, et tous les joueurs, Ă lâexception du Roi, de la Reine, et dâAlice, Ă©taient arrĂȘtĂ©s et condamnĂ©s Ă avoir la tĂȘte tranchĂ©e. Alors la Reine cessa le jeu toute hors dâhaleine, et dit Ă Alice Avez-vous vu la Fausse-Tortue ? » Non, » dit Alice ; je ne sais mĂȘme pas ce que câest quâune Fausse-Tortue. » Câest ce dont on fait la soupe Ă la Fausse-Tortue, » dit la Reine. Je nâen ai jamais vu, et câest la premiĂšre fois que jâen entends parler, » dit Alice. Eh bien ! venez, » dit la Reine, et elle vous contera son histoire. » Comme elles sâen allaient ensemble, Alice entendit le Roi dire Ă voix basse Ă toute la compagnie Vous ĂȘtes tous graciĂ©s. » Allons, voilĂ qui est heureux ! » se dit-elle en elle-mĂȘme, car elle Ă©tait toute chagrine du grand nombre dâexĂ©cutions que la Reine avait ordonnĂ©es. Elles rencontrĂšrent bientĂŽt un Griffon, Ă©tendu au soleil et dormant profondĂ©ment. Si vous ne savez pas ce que câest quâun Griffon, regardez lâimage. Debout ! paresseux, » dit la Reine, et menez cette petite demoiselle voir la Fausse-Tortue, et lâentendre raconter son histoire. Il faut que je mâen retourne pour veiller Ă quelques exĂ©cutions que jâai ordonnĂ©es ; » et elle partit laissant Alice seule avec le Griffon. La mine de cet animal ne plaisait pas trop Ă Alice, mais, tout bien considĂ©rĂ©, elle pensa quâelle ne courait pas plus de risques en restant auprĂšs de lui, quâen suivant cette Reine farouche. Le Griffon se leva et se frotta les yeux, puis il guetta la Reine jusquâĂ ce quâelle fĂ»t disparue ; et il se mit Ă ricaner. Quelle farce ! » dit le Griffon, moitiĂ© Ă part soi, moitiĂ© Ă Alice. Quelle est la farce ? » demanda Alice. Elle ! » dit le Griffon. Câest une idĂ©e quâelle se fait ; jamais on nâexĂ©cute personne, vous comprenez. Venez donc ! » Tout le monde ici dit Venez donc ! » » pensa Alice, en suivant lentement le Griffon. Jamais de ma vie on ne mâa fait aller comme cela ; non, jamais ! » Ils ne firent pas beaucoup de chemin avant dâapercevoir dans lâĂ©loignement la Fausse-Tortue assise, triste et solitaire, sur un petit rĂ©cif, et, Ă mesure quâils approchaient, Alice pouvait lâentendre qui soupirait comme si son cĆur allait se briser ; elle la plaignait sincĂšrement. Quel est donc son chagrin ? » demanda-t-elle au Griffon ; et le Griffon rĂ©pondit, presque dans les mĂȘmes termes quâauparavant Câest une idĂ©e quâelle se fait ; elle nâa point de chagrin, vous comprenez. Venez donc ! » Ainsi ils sâapprochĂšrent de la Fausse-Tortue, qui les regarda avec de grands yeux pleins de larmes, mais ne dit rien. Cette petite demoiselle, » dit le Griffon, veut savoir votre histoire. » Je vais la lui raconter, » dit la Fausse-Tortue, dâun ton grave et sourd Asseyez-vous tous deux, et ne dites pas un mot avant que jâaie fini. » Ils sâassirent donc, et pendant quelques minutes, personne ne dit mot. Alice pensait Je ne vois pas comment elle pourra jamais finir si elle ne commence pas. » Mais elle attendit patiemment. Autrefois, » dit enfin la Fausse-Tortue, jâĂ©tais une vraie Tortue. » Ces paroles furent suivies dâun long silence interrompu seulement de temps Ă autre par cette exclamation du Griffon Hjckrrh ! » et les soupirs continuels de la Fausse-Tortue. Alice Ă©tait sur le point de se lever et de dire Merci de votre histoire intĂ©ressante, » mais elle ne pouvait sâempĂȘcher de penser quâil devait sĂ»rement y en avoir encore Ă venir. Elle resta donc tranquille sans rien dire. Quand nous Ă©tions petits, » continua la Fausse Tortue dâun ton plus calme, quoiquâelle laissĂąt encore de temps Ă autre Ă©chapper un sanglot, nous allions Ă lâĂ©cole au fond de la mer. La maĂźtresse Ă©tait une vieille tortue ; nous lâappelions ChĂ©lonĂ©e. » Et pourquoi lâappeliez-vous ChĂ©lonĂ©e, si ce nâĂ©tait pas son nom ? » Parce quâon ne pouvait sâempĂȘcher de sâĂ©crier en la voyant Quel long nez ! » » dit la Fausse-Tortue dâun ton fĂąchĂ© ; vous ĂȘtes vraiment bien bornĂ©e ! » Vous devriez avoir honte de faire une question si simple ! » ajouta le Griffon ; et puis tous deux gardĂšrent le silence, les yeux fixĂ©s sur la pauvre Alice, qui se sentait prĂȘte Ă rentrer sous terre. Enfin le Griffon dit Ă la Fausse-Tortue, En avant, camarade ! TĂąchez dâen finir aujourdâhui ! » et elle continua en ces termes Oui, nous allions Ă lâĂ©cole dans la mer, bien que cela vous Ă©tonne. » Je nâai pas dit cela, » interrompit Alice. Vous lâavez dit, » rĂ©pondit la Fausse-Tortue. Taisez-vous donc, » ajouta le Griffon, avant quâAlice pĂ»t reprendre la parole. La Fausse-Tortue continua Nous recevions la meilleure Ă©ducation possible ; au fait, nous allions tous les jours Ă lâĂ©cole. » Moi aussi, jây ai Ă©tĂ© tous les jours, » dit Alice ; il nây a pas de quoi ĂȘtre si fiĂšre. » Avec des en sus, » » dit la Fausse-Tortue avec quelque inquiĂ©tude. Oui, » dit Alice, nous apprenions lâitalien et la musique en sus. » Et le blanchissage ? » dit la Fausse-Tortue. Non, certainement ! » dit Alice indignĂ©e. Ah ! Alors votre pension nâĂ©tait pas vraiment des bonnes, » dit la Fausse-Tortue comme soulagĂ©e dâun grand poids. Eh bien, Ă notre pension il y avait au bas du prospectus lâitalien, la musique, et le blanchissage en sus. » » Vous ne deviez pas en avoir grand besoin, puisque vous viviez au fond de la mer, » dit Alice. Je nâavais pas les moyens de lâapprendre, » dit en soupirant la Fausse-Tortue ; je ne suivais que les cours ordinaires. » Quâest-ce que câĂ©tait ? » demanda Alice. Ă Luire et Ă MĂ©dire, cela va sans dire, » rĂ©pondit la Fausse-Tortue ; et puis les diffĂ©rentes branches de lâArithmĂ©tique lâAmbition, la Distraction, lâEnjolification, et la DĂ©rision. » Je nâai jamais entendu parler dâenjolification, » se hasarda de dire Alice. Quâest-ce que câest ? » Le Griffon leva les deux pattes en lâair en signe dâĂ©tonnement. Vous nâavez jamais entendu parler dâenjolir ! » sâĂ©cria-t-il. Vous savez ce que câest que embellir, » je suppose ? » Oui, » dit Alice, en hĂ©sitant cela veut dire â rendre â une chose â plus belle. » Eh bien ! » continua le Griffon, si vous ne savez pas ce que câest que enjolir » vous ĂȘtes vraiment niaise. » Alice ne se sentit pas encouragĂ©e Ă faire de nouvelles questions lĂ -dessus, elle se tourna donc vers la Fausse-Tortue, et lui dit, Quâappreniez-vous encore ? » Eh bien, il y avait le Grimoire, » rĂ©pondit la Fausse-Tortue en comptant sur ses battoirs ; le Grimoire ancien et moderne, avec la MĂ©rographie, et puis le DĂ©dain ; le maĂźtre de DĂ©dain Ă©tait un vieux congre qui venait une fois par semaine ; il nous enseignait Ă DĂ©daigner, Ă Esquiver et Ă Feindre Ă lâhuĂźtre. » Quâest-ce que cela ? » dit Alice. Ah ! je ne peux pas vous le montrer, moi, » dit la Fausse-Tortue, je suis trop gĂȘnĂ©e, et le Griffon ne lâa jamais appris. » Je nâen avais pas le temps, » dit le Griffon, mais jâai suivi les cours du professeur de langues mortes ; câĂ©tait un vieux crabe, celui-lĂ . » Je nâai jamais suivi ses cours, » dit la Fausse-Tortue avec un soupir ; il enseignait le Larcin et la GrĂšve. » Câest ça, câest ça, » dit le Griffon, en soupirant Ă son tour ; et ces deux crĂ©atures se cachĂšrent la figure dans leurs pattes. Combien dâheures de leçons aviez-vous par jour ? » dit Alice vivement, pour changer la conversation. Dix heures, le premier jour, » dit la Fausse-Tortue ; neuf heures, le second, et ainsi de suite. » Quelle singuliĂšre mĂ©thode ! » sâĂ©cria Alice. Câest pour cela quâon les appelle leçons, » dit le Griffon, parce que nous les laissons lĂ peu Ă peu. » CâĂ©tait lĂ pour Alice une idĂ©e toute nouvelle ; elle y rĂ©flĂ©chit un peu avant de faire une autre observation. Alors le onziĂšme jour devait ĂȘtre un jour de congĂ© ? » AssurĂ©ment, » rĂ©pondit la Fausse-Tortue. Et comment vous arrangiez-vous le douziĂšme jour ? » sâempressa de demander Alice. En voilĂ assez sur les leçons, » dit le Griffon intervenant dâun ton trĂšs-dĂ©cidĂ© ; parlez-lui des jeux maintenant. » CHAPITRE QUADRILLE DE HOMARDS. La Fausse-Tortue soupira profondĂ©ment et passa le dos dâune de ses nageoires sur ses yeux. Elle regarda Alice et sâefforça de parler, mais les sanglots Ă©touffĂšrent sa voix pendant une ou deux minutes. On dirait quâelle a un os dans le gosier, » dit le Griffon, et il se mit Ă la secouer et Ă lui taper dans le dos. Enfin la Fausse-Tortue retrouva la voix, et, tandis que de grosses larmes coulaient le long de ses joues, elle continua Peut-ĂȘtre nâavez-vous pas beaucoup vĂ©cu au fond de la mer ? » â Non, » dit Alice â et peut-ĂȘtre ne vous a-t-on jamais prĂ©sentĂ©e Ă un homard ? » Alice allait dire Jâen ai goĂ»tĂ© une fois â » mais elle se reprit vivement, et dit Non, jamais. » De sorte que vous ne pouvez pas du tout vous figurer quelle chose dĂ©licieuse câest quâun quadrille de homards. » Non, vraiment, » dit Alice. Quâest-ce que câest que cette danse-lĂ ? » Dâabord, » dit le Griffon, on se met en rang le long des bords de la mer â » On forme deux rangs, » cria la Fausse-Tortue des phoques, des tortues et des saumons, et ainsi de suite. Puis lorsquâon a dĂ©barrassĂ© la cĂŽte des gelĂ©es de mer â » Cela prend ordinairement longtemps, » dit le Griffon. â on avance deux fois â » Chacun ayant un homard pour danseur, » cria le Griffon. Cela va sans dire, » dit la Fausse-Tortue. Avancez deux fois et balancez â » Changez de homards, et revenez dans le mĂȘme ordre, » continua le Griffon. Et puis, vous comprenez, » continua la Fausse-Tortue, vous jetez les â » Les homards ! » cria le Griffon, en faisant un bond en lâair. â aussi loin Ă la mer que vous le pouvez â » Vous nagez Ă leur poursuite !! » cria le Griffon. â vous faites une cabriole dans la mer !!! » cria la Fausse-Tortue, en cabriolant de tous cĂŽtĂ©s comme une folle. Changez encore de homards !!!! » hurla le Griffon de toutes ses forces. â revenez Ă terre ; et â câest lĂ la premiĂšre figure, » dit la Fausse-Tortue, baissant tout Ă coup la voix ; et ces deux ĂȘtres, qui pendant tout ce temps avaient bondi de tous cĂŽtĂ©s comme des fous, se rassirent bien tristement et bien posĂ©ment, puis regardĂšrent Alice. Cela doit ĂȘtre une trĂšs-jolie danse, » dit timidement Alice. Voudriez-vous voir un peu comment ça se danse ? » dit la Fausse-Tortue. Cela me ferait grand plaisir, » dit Alice. Allons, essayons la premiĂšre figure, » dit la Fausse-Tortue au Griffon ; nous pouvons la faire sans homards, vous comprenez. Qui va chanter ? » Oh ! chantez, vous, » dit le Griffon ; moi jâai oubliĂ© les paroles. » Ils se mirent donc Ă danser gravement tout autour dâAlice, lui marchant de temps Ă autre sur les pieds quand ils approchaient trop prĂšs, et remuant leurs pattes de devant pour marquer la mesure, tandis que la Fausse-Tortue chantait trĂšs-lentement et trĂšs-tristement Nous nâirons plus Ă lâeau, Si tu nâavances tĂŽt ; Ce Marsouin trop pressĂ© Va tous nous Ă©craser. Colimaçon danse, Entre dans la danse ; Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon. » Je ne veux pas danser, Je me fârais fracasser. » Oh ! » reprend le Merlan, Câest pourtant bien plaisant. » Colimaçon danse, Entre dans la danse ; Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon. Je ne veux pas plonger, Je ne sais pas nager. » â Le Homard et lâbateauDâsauvâtagâ te tirâront dâlâeau. » Colimaçon danse, Entre dans la danse ;Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon. Merci ; câest une danse trĂšs-intĂ©ressante Ă voir danser, » dit Alice, enchantĂ©e que ce fĂ»t enfin fini ; et je trouve cette curieuse chanson du merlan si agrĂ©able ! » Oh ! quant aux merlans, » dit la Fausse-Tortue, ils â vous les avez vus, sans doute ? » Oui, » dit Alice, je les ai souvent vus Ă dĂźâ » elle sâarrĂȘta tout court. Je ne sais pas oĂč est Di, » reprit la Fausse Tortue ; mais, puisque vous les avez vus si souvent, vous devez savoir lâair quâils ont ? » Je le crois, » rĂ©pliqua Alice, en se recueillant. Ils ont la queue dans la bouche â et sont tout couverts de mie de pain. » Vous vous trompez Ă lâendroit de la mie de pain, » dit la Fausse-Tortue la mie serait enlevĂ©e dans la mer, mais ils ont bien la queue dans la bouche, et la raison en est que â » Ici la Fausse-Tortue bĂąilla et ferma les yeux. Dites-lui-en la raison et tout ce qui sâensuit, » dit-elle au Griffon. La raison, câest que les merlans, » dit le Griffon, voulurent absolument aller Ă la danse avec les homards. Alors on les jeta Ă la mer. Alors ils eurent Ă tomber bien loin, bien loin. Alors ils sâentrĂšrent la queue fortement dans la bouche. Alors ils ne purent plus lâen retirer. VoilĂ tout. » Merci, » dit Alice, câest trĂšs-intĂ©ressant ; je nâen avais jamais tant appris sur le compte des merlans. » Je propose donc, » dit le Griffon, que vous nous racontiez quelques-unes de vos aventures. » Je pourrais vous conter mes aventures Ă partir de ce matin, » dit Alice un peu timidement ; mais il est inutile de parler de la journĂ©e dâhier, car jâĂ©tais une personne tout Ă fait diffĂ©rente alors. » Expliquez-nous cela, » dit la Fausse-Tortue. Non, non, les aventures dâabord, » dit le Griffon dâun ton dâimpatience ; les explications prennent tant de temps. » Alice commença donc Ă leur conter ses aventures depuis le moment oĂč elle avait vu le Lapin Blanc pour la premiĂšre fois. Elle fut dâabord un peu troublĂ©e dans le commencement ; les deux crĂ©atures se tenaient si prĂšs dâelle, une de chaque cĂŽtĂ©, et ouvraient de si grands yeux et une si grande bouche ! Mais elle reprenait courage Ă mesure quâelle parlait. Les auditeurs restĂšrent fort tranquilles jusquâĂ ce quâelle arrivĂąt au moment de son histoire oĂč elle avait eu Ă rĂ©pĂ©ter Ă la chenille Vous ĂȘtes vieux, PĂšre Guillaume, » et oĂč les mots lui Ă©taient venus tout de travers, et alors la Fausse-Tortue poussa un long soupir et dit Câest bien singulier. » Tout cela est on ne peut plus singulier, » dit le Griffon. Tout de travers, » rĂ©pĂ©ta la Fausse-Tortue dâun air rĂȘveur. Je voudrais bien lâentendre rĂ©citer quelque chose Ă prĂ©sent. Dites-lui de sây mettre. » Elle regardait le Griffon comme si elle lui croyait de lâautoritĂ© sur Alice. Debout, et rĂ©citez Câest la voix du canon, » » dit le Griffon. Comme ces ĂȘtres-lĂ vous commandent et vous font rĂ©pĂ©ter des leçons ! » pensa Alice ; autant vaudrait ĂȘtre Ă lâĂ©cole. » Cependant elle se leva et se mit Ă rĂ©citer ; mais elle avait la tĂȘte si pleine du Quadrille de Homards, quâelle savait Ă peine ce quâelle disait, et que les mots lui venaient tout drĂŽlement â Câest la voix du homard grondant comme la foudre On mâa trop fait bouillir, il faut que je me poudre ! »Puis, les pieds en dehors, prenant la brosse en main, De se faire bien beau vite il se met en train. » Câest tout diffĂ©rent de ce que je rĂ©citais quand jâĂ©tais petit, moi, » dit le Griffon. Je ne lâavais pas encore entendu rĂ©citer, » dit la Fausse-Tortue ; mais cela me fait lâeffet dâun fameux galimatias. » Alice ne dit rien ; elle sâĂ©tait rassise, la figure dans ses mains, se demandant avec Ă©tonnement si jamais les choses reprendraient leur cours naturel. Je voudrais bien quâon mâexpliquĂąt cela, » dit la Fausse-Tortue. Elle ne peut pas lâexpliquer, » dit le Griffon vivement. Continuez, rĂ©citez les vers suivants. » Mais, les pieds en dehors, » continua opiniĂątrement la Fausse-Tortue. Pourquoi dire quâil avait les pieds en dehors ? » Câest la premiĂšre position lorsquâon apprend Ă danser, » dit Alice ; tout cela lâembarrassait fort, et il lui tardait de changer la conversation. RĂ©citez les vers suivants, » rĂ©pĂ©ta le Griffon avec impatience ; ça commence Passant prĂšs de chez lui â » » Alice nâosa pas dĂ©sobĂ©ir, bien quâelle fĂ»t sĂ»re que les mots allaient lui venir tout de travers. Elle continua donc dâune voix tremblante Passant prĂšs de chez lui, jâai vu, ne vous dĂ©plaise, Une huĂźtre et un hibou qui dĂźnaient fort Ă lâaise. » Ă quoi bon rĂ©pĂ©ter tout ce galimatias, » interrompit la Fausse-Tortue, si vous ne lâexpliquez pas Ă mesure que vous le dites ? Câest, de beaucoup, ce que jâai entendu de plus embrouillant. » Oui, je crois que vous feriez bien dâen rester lĂ , » dit le Griffon ; et Alice ne demanda pas mieux. Essaierons-nous une autre figure du Quadrille de Homards ? » continua le Griffon. Ou bien, prĂ©fĂ©rez-vous que la Fausse-Tortue vous chante quelque chose ? » Oh ! une chanson, je vous prie ; si la Fausse-Tortue veut bien avoir cette obligeance, » rĂ©pondit Alice, avec tant dâempressement que le Griffon dit dâun air un peu offensĂ© Hum ! Chacun son goĂ»t. Chantez-lui La Soupe Ă la Tortue, » hĂ© ! camarade ! » La Fausse-Tortue poussa un profond soupir et commença, dâune voix de temps en temps Ă©touffĂ©e par les sanglots Ă doux potage, Ă mets dĂ©licieux !Ah ! pour partage, Quoi de plus prĂ©cieux ?Plonger dans ma soupiĂšre Cette vaste cuillĂšre Est un bonheur Qui me rĂ©jouit le cĆur. Gibier, volaille, LiĂšvres, dindes, perdreaux, Rien qui te vaille, âPas mĂȘme les pruneaux !Plonger dans ma soupiĂšre Cette vaste cuillĂšreEst un bonheur Qui me rĂ©jouit le cĆur. » Bis au refrain ! » cria le Griffon ; et la Fausse-Tortue venait de le reprendre, quand un cri, Le procĂšs va commencer ! » se fit entendre au loin. Venez donc ! » cria le Griffon ; et, prenant Alice par la main, il se mit Ă courir sans attendre la fin de la chanson. Quâest-ce que câest que ce procĂšs ? » demanda Alice hors dâhaleine ; mais le Griffon se contenta de rĂ©pondre Venez donc ! » en courant de plus belle, tandis que leur parvenaient, de plus en plus faibles, apportĂ©es par la brise qui les poursuivait, ces paroles pleines de mĂ©lancolie Plonger dans ma soupiĂšre Cette vaste cuillĂšre Est un bonheur Qui me rĂ©jouit le cĆur. » CHAPITRE A VOLĂ LES TARTES ? Le Roi et la Reine de CĆur Ă©taient assis sur leur trĂŽne, entourĂ©s dâune nombreuse assemblĂ©e toutes sortes de petits oiseaux et dâautres bĂȘtes, ainsi que le paquet de cartes tout entier. Le Valet, chargĂ© de chaĂźnes, gardĂ© de chaque cĂŽtĂ© par un soldat, se tenait debout devant le trĂŽne, et prĂšs du roi se trouvait le Lapin Blanc, tenant dâune main une trompette et de lâautre un rouleau de parchemin. Au beau milieu de la salle Ă©tait une table sur laquelle on voyait un grand plat de tartes ; ces tartes semblaient si bonnes que cela donna faim Ă Alice, rien que de les regarder. Je voudrais bien quâon se dĂ©pĂȘchĂąt de finir le procĂšs, » pensa-t-elle, et quâon fĂźt passer les rafraĂźchissements, » mais cela ne paraissait guĂšre probable, aussi se mit-elle Ă regarder tout autour dâelle pour passer le temps. CâĂ©tait la premiĂšre fois quâAlice se trouvait dans une cour de justice, mais elle en avait lu des descriptions dans les livres, et elle fut toute contente de voir quâelle savait le nom de presque tout ce quâil y avait lĂ . Ăa, câest le juge, » se dit-elle ; je le reconnais Ă sa grande perruque. » Le juge, disons-le en passant, Ă©tait le Roi, et, comme il portait sa couronne par-dessus sa perruque regardez le frontispice, si vous voulez savoir comment il sâĂ©tait arrangĂ© il nâavait pas du tout lâair dâĂȘtre Ă son aise, et cela ne lui allait pas bien du tout. Et ça, câest le banc du jury, » pensa Alice ; et ces douze crĂ©atures » elle Ă©tait forcĂ©e de dire crĂ©atures, » vous comprenez, car quelques-uns Ă©taient des bĂȘtes et quelques autres des oiseaux, je suppose que ce sont les jurĂ©s ; » elle se rĂ©pĂ©ta ce dernier mot deux ou trois fois, car elle en Ă©tait assez fiĂšre pensant avec raison que bien peu de petites filles de son Ăąge savent ce que cela veut dire. Les douze jurĂ©s Ă©taient tous trĂšs-occupĂ©s Ă Ă©crire sur des ardoises. Quâest-ce quâils font lĂ ? » dit Alice Ă lâoreille du Griffon. Ils ne peuvent rien avoir Ă Ă©crire avant que le procĂšs soit commencĂ©. » Ils inscrivent leur nom, » rĂ©pondit de mĂȘme le Griffon, de peur de lâoublier avant la fin du procĂšs. » Les niais ! » sâĂ©cria Alice dâun ton indignĂ©, mais elle se retint bien vite, car le Lapin Blanc cria Silence dans lâauditoire ! » Et le Roi, mettant ses lunettes, regarda vivement autour de lui pour voir qui parlait. Alice pouvait voir, aussi clairement que si elle eĂ»t regardĂ© par-dessus leurs Ă©paules, que tous les jurĂ©s Ă©taient en train dâĂ©crire les niais » sur leurs ardoises, et elle pouvait mĂȘme distinguer que lâun dâeux ne savait pas Ă©crire niais » et quâil Ă©tait obligĂ© de le demander Ă son voisin. Leurs ardoises seront dans un bel Ă©tat avant la fin du procĂšs ! » pensa Alice. Un des jurĂ©s avait un crayon qui grinçait ; Alice, vous le pensez bien, ne pouvait pas souffrir cela ; elle fit le tour de la salle, arriva derriĂšre lui, et trouva bientĂŽt lâoccasion dâenlever le crayon. Ce fut si tĂŽt fait que le pauvre petit jurĂ© câĂ©tait Jacques, le lĂ©zard ne pouvait pas sâimaginer ce quâil Ă©tait devenu. AprĂšs avoir cherchĂ© partout, il fut obligĂ© dâĂ©crire avec un doigt tout le reste du jour, et cela Ă©tait fort inutile, puisque son doigt ne laissait aucune marque sur lâardoise. HĂ©raut, lisez lâacte dâaccusation ! » dit le Roi. Sur ce, le Lapin Blanc sonna trois fois de la trompette, et puis, dĂ©roulant le parchemin, lut ainsi quâil suit La Reine de CĆur fit des tartes,Un beau jour de printemps ; Le Valet de CĆur prit les tartes, Et sâen fut tout content ! » DĂ©libĂ©rez, » dit le Roi aux jurĂ©s. Pas encore, pas encore, » interrompit vivement le Lapin ; il y a bien des choses Ă faire auparavant ! » Appelez les tĂ©moins, » dit le Roi ; et le Lapin Blanc sonna trois fois de la trompette, et cria Le premier tĂ©moin ! » Le premier tĂ©moin Ă©tait le Chapelier. Il entra, tenant dâune main une tasse de thĂ© et de lâautre une tartine de beurre. Pardon, Votre MajestĂ©, » dit il, si jâapporte cela ici ; je nâavais pas tout Ă fait fini de prendre mon thĂ© lorsquâon est venu me chercher. » Vous auriez dĂ» avoir fini, » dit le Roi ; quand avez-vous commencĂ© ? » Le Chapelier regarda le LiĂšvre qui lâavait suivi dans la salle, bras dessus bras dessous avec le Loir. Le Quatorze Mars, je crois bien, » dit-il. Le Quinze ! » dit le LiĂšvre. Le Seize ! » ajouta le Loir. Notez cela, » dit le Roi aux jurĂ©s. Et les jurĂ©s sâempressĂšrent dâĂ©crire les trois dates sur leurs ardoises ; puis en firent lâaddition, dont ils cherchĂšrent Ă rĂ©duire le total en francs et centimes. Ătez votre chapeau, » dit le Roi au Chapelier. Il nâest pas Ă moi, » dit le Chapelier. VolĂ© ! » sâĂ©cria le Roi en se tournant du cĂŽtĂ© des jurĂ©s, qui sâempressĂšrent de prendre note du fait. Je les tiens en vente, » ajouta le Chapelier, comme explication. Je nâen ai pas Ă moi ; je suis chapelier. » Ici la Reine mit ses lunettes, et se prit Ă regarder fixement le Chapelier, qui devint pĂąle et tremblant. Faites votre dĂ©position, » dit le Roi ; et ne soyez pas agitĂ© ; sans cela je vous fais exĂ©cuter sur-le-champ. » Cela ne parut pas du tout encourager le tĂ©moin ; il ne cessait de passer dâun pied sur lâautre en regardant la Reine dâun air inquiet, et, dans son trouble, il mordit dans la tasse et en enleva un grand morceau, au lieu de mordre dans la tartine de beurre. Juste Ă ce moment-lĂ , Alice Ă©prouva une Ă©trange sensation qui lâembarrassa beaucoup, jusquâĂ ce quâelle se fĂ»t rendu compte de ce que câĂ©tait. Elle recommençait Ă grandir, et elle pensa dâabord Ă se lever et Ă quitter la cour mais, toute rĂ©flexion faite, elle se dĂ©cida Ă rester oĂč elle Ă©tait, tant quâil y aurait de la place pour elle. Ne poussez donc pas comme ça, » dit le Loir ; je puis Ă peine respirer. » Ce nâest pas de ma faute, » dit Alice doucement ; je grandis. » Vous nâavez pas le droit de grandir ici, » dit le Loir. Ne dites pas de sottises, » rĂ©pliqua Alice plus hardiment ; vous savez bien que vous aussi vous grandissez. » Oui, mais je grandis raisonnablement, moi, » dit le Loir ; et non de cette façon ridicule. » Il se leva en faisant la mine, et passa de lâautre cĂŽtĂ© de la salle. Pendant tout ce temps-lĂ , la Reine nâavait pas cessĂ© de fixer les yeux sur le Chapelier, et, comme le Loir traversait la salle, elle dit Ă un des officiers du tribunal Apportez-moi la liste des chanteurs du dernier concert. » Sur quoi, le malheureux Chapelier se mit Ă trembler si fortement quâil en perdit ses deux souliers. Faites votre dĂ©position, » rĂ©pĂ©ta le Roi en colĂšre ; ou bien je vous fais exĂ©cuter, que vous soyez troublĂ© ou non ! » Je suis un pauvre homme, Votre MajestĂ©, » fit le Chapelier dâune voix tremblante ; et il nây avait guĂšre quâune semaine ou deux que jâavais commencĂ© Ă prendre mon thĂ©, et avec ça les tartines devenaient si minces et les dragĂ©es du thĂ© â » Les dragĂ©es de quoi ? » dit le Roi. Ăa a commencĂ© par le thĂ©, » rĂ©pondit le Chapelier. Je vous dis que dragĂ©e commence par un d ! » cria le Roi vivement. Me prenez-vous pour un Ăąne ? Continuez ! » Je suis un pauvre homme, » continua le Chapelier ; et les dragĂ©es et les autres choses me firent perdre la tĂȘte. Mais le LiĂšvre dit â » Câest faux ! » sâĂ©cria le LiĂšvre se dĂ©pĂȘchant de lâinterrompre. Câest vrai ! » cria le Chapelier. Je le nie ! » cria le LiĂšvre. Il le nie ! » dit le Roi. Passez lĂ -dessus. » Eh bien ! dans tous les cas, le Loir dit â » continua le Chapelier, regardant autour de lui pour voir sâil nierait aussi ; mais le Loir ne nia rien, car il dormait profondĂ©ment. AprĂšs cela, » continua le Chapelier, je me coupai dâautres tartines de beurre. » Mais, que dit le Loir ? » demanda un des jurĂ©s. Câest ce que je ne peux pas me rappeler, » dit le Chapelier. Il faut absolument que vous vous le rappeliez, » fit observer le Roi ; ou bien je vous fais exĂ©cuter. » Le malheureux Chapelier laissa tomber sa tasse et sa tartine de beurre, et mit un genou en terre. Je suis un pauvre homme, Votre MajestĂ© ! » commença-t-il. Vous ĂȘtes un trĂšs-pauvre orateur, » dit le Roi. Ici un des cochons dâInde applaudit, et fut immĂ©diatement rĂ©primĂ© par un des huissiers. Comme ce mot est assez difficile, je vais vous expliquer comment cela se fit. Ils avaient un grand sac de toile qui se fermait Ă lâaide de deux ficelles attachĂ©es Ă lâouverture ; dans ce sac ils firent glisser le cochon dâInde la tĂȘte la premiĂšre, puis ils sâassirent dessus. Je suis contente dâavoir vu cela, » pensa Alice. Jâai souvent lu dans les journaux, Ă la fin des procĂšs Il se fit quelques tentatives dâapplaudissements qui furent bientĂŽt rĂ©primĂ©es par les huissiers, » et je nâavais jamais compris jusquâĂ prĂ©sent ce que cela voulait dire. » Si câest lĂ tout ce que vous savez de lâaffaire, vous pouvez vous prosterner, » continua le Roi. Je ne puis pas me prosterner plus bas que cela, » dit le Chapelier ; je suis dĂ©jĂ par terre. » Alors asseyez-vous, » rĂ©pondit le Roi. Ici lâautre cochon dâInde applaudit et fut rĂ©primĂ©. Bon, cela met fin aux cochons dâInde ! » pensa Alice. Maintenant ça va mieux aller. » Jâaimerais bien aller finir de prendre mon thĂ©, » dit le Chapelier, en lançant un regard inquiet sur la Reine, qui lisait la liste des chanteurs. Vous pouvez vous retirer, » dit le Roi ; et le Chapelier se hĂąta de quitter la cour, sans mĂȘme prendre le temps de mettre ses souliers. Et coupez-lui la tĂȘte dehors, » ajouta la Reine, sâadressant Ă un des huissiers ; mais le Chapelier Ă©tait dĂ©jĂ bien loin avant que lâhuissier arrivĂąt Ă la porte. Appelez un autre tĂ©moin, » dit le Roi. Lâautre tĂ©moin, câĂ©tait la cuisiniĂšre de la Duchesse ; elle tenait la poivriĂšre Ă la main, et Alice devina qui câĂ©tait, mĂȘme avant quâelle entrĂąt dans la salle, en voyant Ă©ternuer, tout Ă coup et tous Ă la fois, les gens qui se trouvaient prĂšs de la porte. Faites votre dĂ©position, » dit le Roi. Non ! » dit la cuisiniĂšre. Le Roi regarda dâun air inquiet le Lapin Blanc, qui lui dit Ă voix basse Il faut que Votre MajestĂ© interroge ce tĂ©moin-lĂ contradictoirement. » Puisquâil le faut, il le faut, » dit le Roi, dâun air triste ; et, aprĂšs avoir croisĂ© les bras et froncĂ© les sourcils en regardant la cuisiniĂšre, au point que les yeux lui Ă©taient presque complĂštement rentrĂ©s dans la tĂȘte, il dit dâune voix creuse De quoi les tartes sont-elles faites ? » De poivre principalement ! » dit la cuisiniĂšre. De mĂ©lasse, » dit une voix endormie derriĂšre elle. Saisissez ce Loir au collet ! » cria la Reine. Coupez la tĂȘte Ă ce Loir ! Mettez ce Loir Ă la porte ! RĂ©primez-le, pincez-le, arrachez-lui ses moustaches ! » Pendant quelques instants, toute la cour fut sens dessus dessous pour mettre le Loir Ă la porte ; et, quand le calme fut rĂ©tabli, la cuisiniĂšre avait disparu. Cela ne fait rien, » dit le Roi, comme soulagĂ© dâun grand poids. Appelez le troisiĂšme tĂ©moin ; » et il ajouta Ă voix basse en sâadressant Ă la Reine Vraiment, mon amie, il faut que vous interrogiez cet autre tĂ©moin ; cela me fait trop mal au front ! » Alice regardait le Lapin Blanc tandis quâil tournait la liste dans ses doigts, curieuse de savoir quel serait lâautre tĂ©moin. Car les dĂ©positions ne prouvent pas grandâchose jusquâĂ prĂ©sent, » se dit-elle. Imaginez sa surprise quand le Lapin Blanc cria, du plus fort de sa petite voix criarde Alice ! » CHAPITRE DâALICE. VoilĂ ! » cria Alice, oubliant tout Ă fait dans le trouble du moment combien elle avait grandi depuis quelques instants, et elle se leva si brusquement quâelle accrocha le banc des jurĂ©s avec le bord de sa robe, et le renversa, avec tous ses occupants, sur la tĂȘte de la foule qui se trouvait au-dessous, et on les vit se dĂ©battant de tous cĂŽtĂ©s, comme les poissons rouges du vase quâelle se rappelait avoir renversĂ© par accident la semaine prĂ©cĂ©dente. Oh ! je vous demande bien pardon ! » sâĂ©cria-t-elle toute confuse, et elle se mit Ă les ramasser bien vite, car lâaccident arrivĂ© aux poissons rouges lui trottait dans la tĂȘte, et elle avait une idĂ©e vague quâil fallait les ramasser tout de suite et les remettre sur les bancs, sans quoi ils mourraient. Le procĂšs ne peut continuer, » dit le Roi dâune voix grave, avant que les jurĂ©s soient tous Ă leurs places ; tous ! » rĂ©pĂ©ta-t-il avec emphase en regardant fixement Alice. Alice regarda le banc des jurĂ©s, et vit que dans son empressement elle y avait placĂ© le LĂ©zard la tĂȘte en bas, et le pauvre petit ĂȘtre remuait la queue dâune triste façon, dans lâimpossibilitĂ© de se redresser ; elle lâeut bientĂŽt retournĂ© et replacĂ© convenablement. Non que cela soit bien important, » se dit-elle, car je pense quâil serait tout aussi utile au procĂšs la tĂȘte en bas quâautrement. » SitĂŽt que les jurĂ©s se furent un peu remis de la secousse, quâon eut retrouvĂ© et quâon leur eut rendu leurs ardoises et leurs crayons, ils se mirent fort diligemment Ă Ă©crire lâhistoire de lâaccident, Ă lâexception du LĂ©zard, qui paraissait trop accablĂ© pour faire autre chose que demeurer la bouche ouverte, les yeux fixĂ©s sur le plafond de la salle. Que savez-vous de cette affaire-lĂ ? » demanda le Roi Ă Alice. Rien, » rĂ©pondit-elle. Rien absolument ? » insista le Roi. Rien absolument, » dit Alice. VoilĂ qui est trĂšs-important, » dit le Roi, se tournant vers les jurĂ©s. Ils allaient Ă©crire cela sur leurs ardoises quand le Lapin Blanc interrompant Peu important, veut dire Votre MajestĂ©, sans doute, » dit-il dâun ton trĂšs-respectueux, mais en fronçant les sourcils et en lui faisant des grimaces. Peu important, bien entendu, câest ce que je voulais dire, » rĂ©pliqua le Roi avec empressement. Et il continua de rĂ©pĂ©ter Ă demi-voix TrĂšs-important, peu important, peu important, trĂšs-important ; » comme pour essayer lequel des deux Ă©tait le mieux sonnant. Quelques-uns des jurĂ©s Ă©crivirent trĂšs-important, » dâautres, peu important. » Alice voyait tout cela, car elle Ă©tait assez prĂšs dâeux pour regarder sur leurs ardoises. Mais cela ne fait absolument rien, » pensa-t-elle. Ă ce moment-lĂ , le Roi, qui pendant quelque temps avait Ă©tĂ© fort occupĂ© Ă Ă©crire dans son carnet, cria Silence ! » et lut sur son carnet RĂšgle Quarante-deux Toute personne ayant une taille de plus dâun mille de haut devra quitter la cour. » Tout le monde regarda Alice. Je nâai pas un mille de haut, » dit-elle. Si fait, » dit le Roi. PrĂšs de deux milles, » ajouta la Reine. Eh bien ! je ne sortirai pas quand mĂȘme ; dâailleurs cette rĂšgle nâest pas dâusage, vous venez de lâinventer. » Câest la rĂšgle la plus ancienne quâil y ait dans le livre, » dit le Roi. Alors elle devrait porter le numĂ©ro Un. » Le Roi devint pĂąle et ferma vivement son carnet. DĂ©libĂ©rez, » dit-il aux jurĂ©s dâune voix faible et tremblante. Il y a dâautres dĂ©positions Ă recevoir, sâil plaĂźt Ă Votre MajestĂ©, » dit le Lapin, se levant prĂ©cipitamment ; on vient de ramasser ce papier. » Quâest-ce quâil y a dedans ? » dit la Reine. Je ne lâai pas encore ouvert, » dit le Lapin Blanc ; mais on dirait que câest une lettre Ă©crite par lâaccusĂ© Ă â Ă quelquâun. » Cela doit ĂȘtre ainsi, » dit le Roi, Ă moins quâelle ne soit Ă©crite Ă personne, ce qui nâest pas ordinaire, vous comprenez. » Ă qui est-elle adressĂ©e ? » dit un des jurĂ©s. Elle nâest pas adressĂ©e du tout, » dit le Lapin Blanc ; au fait, il nây a rien dâĂ©crit Ă lâextĂ©rieur. » Il dĂ©plia le papier tout en parlant et ajouta Ce nâest pas une lettre, aprĂšs tout ; câest une piĂšce de vers. » Est-ce lâĂ©criture de lâaccusĂ© ? » demanda un autre jurĂ©. Non, » dit le Lapin Blanc, et câest ce quâil y a de plus drĂŽle. » Les jurĂ©s eurent tous lâair fort embarrassĂ©. Il faut quâil ait imitĂ© lâĂ©criture dâun autre, » dit le Roi. Les jurĂ©s reprirent lâair serein. Pardon, Votre MajestĂ©, » dit le Valet, ce nâest pas moi qui ai Ă©crit cette lettre, et on ne peut pas prouver que ce soit moi ; il nây a pas de signature. » Si vous nâavez pas signĂ©, » dit le Roi, cela ne fait quâempirer la chose ; il faut absolument que vous ayez eu de mauvaises intentions, sans cela vous auriez signĂ©, comme un honnĂȘte homme. » LĂ -dessus tout le monde battit des mains ; câĂ©tait la premiĂšre rĂ©flexion vraiment bonne que le Roi eĂ»t faite ce jour-lĂ . Cela prouve sa culpabilitĂ©, » dit la Reine. Cela ne prouve rien, » dit Alice. Vous ne savez mĂȘme pas ce dont il sâagit. » Lisez ces vers, » dit le Roi. Le Lapin Blanc mit ses lunettes. Par oĂč commencerai-je, sâil plaĂźt Ă Votre MajestĂ© ? » demanda-t-il. Commencez par le commencement, » dit gravement le Roi, et continuez jusquâĂ ce que vous arriviez Ă la fin ; lĂ , vous vous arrĂȘterez. » Voici les vers que lut le Lapin Blanc On mâa dit que tu fus chez elle Afin de lui pouvoir parler, Et quâelle assura, la cruelle, Que je ne savais pas nager ! BientĂŽt il leur envoya dire Nous savons fort bien que câest vrai ! Quâil ne faudrait pas en mĂ©dire, Ou gare les coups de balai ! Jâen donnai trois, elle en prit une ; Combien donc en recevrons-nous ? Il y a lĂ quelque lacune. Toutes revinrent dâeux Ă vous. Si vous ou moi, dans cette affaire, Ătions par trop embarrassĂ©s, Prions quâil nous laisse, confrĂšre, Tous deux comme il nous a trouvĂ©s. Vous les avez, jâen suis certaine, Avant que de ses nerfs lâaccĂšs Ne bouleversĂąt lâinhumaine, TrompĂ©s tous trois avec succĂšs. Cachez-lui quâelle les prĂ©fĂšre ; Car ce doit ĂȘtre, par ma foi, Et sera toujours, je lâespĂšre Un secret entre vous et moi. » VoilĂ la piĂšce de conviction la plus importante que nous ayons eue jusquâĂ prĂ©sent, » dit le Roi en se frottant les mains ; ainsi, que le jury maintenant â â » Sâil y a un seul des jurĂ©s qui puisse lâexpliquer, » dit Alice elle Ă©tait devenue si grande dans ces derniers instants quâelle nâavait plus du tout peur de lâinterrompre, je lui donne une piĂšce de dix sous. Je ne crois pas quâil y ait un atome de sens commun lĂ -dedans. » Tous les jurĂ©s Ă©crivirent sur leurs ardoises Elle ne croit pas quâil y ait un atome de sens commun lĂ -dedans, » mais aucun dâeux ne tenta dâexpliquer la piĂšce de vers. Si elle ne signifie rien, » dit le Roi, cela nous Ă©pargne un monde dâennuis, vous comprenez ; car il est inutile dâen chercher lâexplication ; et cependant je ne sais pas trop, » continua-t-il en Ă©talant la piĂšce de vers sur ses genoux et les regardant dâun Ćil ; il me semble que jây vois quelque chose, aprĂšs tout. Que je ne savais pas nager ! » Vous ne savez pas nager, nâest-ce pas ? » ajouta-t-il en se tournant vers le Valet. Le Valet secoua la tĂȘte tristement. En ai-je lâair, » dit-il. Non, certainement, il nâen avait pas lâair, Ă©tant fait tout entier de carton. Jusquâici câest bien, » dit le Roi ; et il continua de marmotter tout bas, Nous savons fort bien que câest vrai. » Câest le jury qui dit cela, bien sĂ»r ! Jâen donnai trois, elle en prit une ; » justement, câest lĂ ce quâil fit des tartes, vous comprenez. » Mais vient ensuite Toutes revinrent dâeux Ă vous, » » dit Alice. Tiens, mais les voici ! » dit le Roi dâun air de triomphe, montrant du doigt les tartes qui Ă©taient sur la table. Il nây a rien de plus clair que cela ; et encore Avant que de ses nerfs lâaccĂšs. » Vous nâavez jamais eu dâattaques de nerfs, je crois, mon Ă©pouse ? » dit-il Ă la Reine. Jamais ! » dit la Reine dâun air furieux en jetant un encrier Ă la tĂȘte du LĂ©zard. Le malheureux Jacques avait cessĂ© dâĂ©crire sur son ardoise avec un doigt, car il sâĂ©tait aperçu que cela ne faisait aucune marque ; mais il se remit bien vite Ă lâouvrage en se servant de lâencre qui lui dĂ©coulait le long de la figure, aussi longtemps quâil y en eut. Non, mon Ă©pouse, vous avez trop bon air, » dit le Roi, promenant son regard tout autour de la salle et souriant. Il se fit un silence de mort. Câest un calembour, » ajouta le Roi dâun ton de colĂšre ; et tout le monde se mit Ă rire. Que le jury dĂ©libĂšre, » ajouta le Roi, pour Ă peu prĂšs la vingtiĂšme fois ce jour-lĂ . Non, non, » dit la Reine, lâarrĂȘt dâabord, on dĂ©libĂ©rera aprĂšs. » Cela nâa pas de bon sens ! » dit tout haut Alice. Quelle idĂ©e de vouloir prononcer lâarrĂȘt dâabord ! » Taisez-vous, » dit la Reine, devenant pourpre de colĂšre. Je ne me tairai pas, » dit Alice. Quâon lui coupe la tĂȘte ! » hurla la Reine de toutes ses forces. Personne ne bougea. On se moque bien de vous, » dit Alice elle avait alors atteint toute sa grandeur naturelle. Vous nâĂȘtes quâun paquet de cartes ! » LĂ -dessus tout le paquet sauta en lâair et retomba en tourbillonnant sur elle ; Alice poussa un petit cri, moitiĂ© de peur, moitiĂ© de colĂšre, et essaya de les repousser ; elle se trouva Ă©tendue sur le gazon, la tĂȘte sur les genoux de sa sĆur, qui Ă©cartait doucement de sa figure les feuilles mortes tombĂ©es en voltigeant du haut des arbres. RĂ©veillez-vous, chĂšre Alice ! » lui dit sa sĆur. Quel long somme vous venez de faire ! » Oh ! jâai fait un si drĂŽle de rĂȘve, » dit Alice ; et elle raconta Ă sa sĆur, autant quâelle put sâen souvenir, toutes les Ă©tranges aventures que vous venez de lire ; et, quand elle eut fini son rĂ©cit, sa sĆur lui dit en lâembrassant Certes, câest un bien drĂŽle de rĂȘve ; mais maintenant courez Ă la maison prendre le thĂ© ; il se fait tard. » Alice se leva donc et sâĂ©loigna en courant, pensant le long du chemin, et avec raison, quel rĂȘve merveilleux elle venait de faire. Mais sa sĆur demeura assise tranquillement, tout comme elle lâavait laissĂ©e, la tĂȘte appuyĂ©e sur la main, contemplant le coucher du soleil et pensant Ă la petite Alice et Ă ses merveilleuses aventures ; si bien quâelle aussi se mit Ă rĂȘver, en quelque sorte ; et voici son rĂȘve â Dâabord elle rĂȘva de la petite Alice personnellement â les petites mains de lâenfant Ă©taient encore jointes sur ses genoux, et ses yeux vifs et brillants plongeaient leur regard dans les siens. Elle entendait jusquâau son de sa voix ; elle voyait ce singulier petit mouvement de tĂȘte par lequel elle rejetait en arriĂšre les cheveux vagabonds qui sans cesse lui revenaient dans les yeux ; et, comme elle Ă©coutait ou paraissait Ă©couter, tout sâanima autour dâelle et se peupla des Ă©tranges crĂ©atures du rĂȘve de sa jeune sĆur. Les longues herbes bruissaient Ă ses pieds sous les pas prĂ©cipitĂ©s du Lapin Blanc ; la Souris effrayĂ©e faisait clapoter lâeau en traversant la mare voisine ; elle entendait le bruit des tasses, tandis que le LiĂšvre et ses amis prenaient leur repas qui ne finissait jamais, et la voix perçante de la Reine envoyant Ă la mort ses malheureux invitĂ©s. Une fois encore lâenfant-porc Ă©ternuait sur les genoux de la Duchesse, tandis que les assiettes et les plats se brisaient autour de lui ; une fois encore la voix criarde du Griffon, le grincement du crayon dâardoise du LĂ©zard, et les cris Ă©touffĂ©s des cochons dâInde mis dans le sac par ordre de la cour, remplissaient les airs, en se mĂȘlant aux sanglots que poussait au loin la malheureuse Fausse-Tortue. Câest ainsi quâelle demeura assise, les yeux fermĂ©s, et se croyant presque dans le Pays des Merveilles, bien quâelle sĂ»t quâelle nâavait quâĂ rouvrir les yeux pour que tout fĂ»t changĂ© en une triste rĂ©alitĂ© les herbes ne bruiraient plus alors que sous le souffle du vent, et lâeau de la mare ne murmurerait plus quâau balancement des roseaux ; le bruit des tasses deviendrait le tintement des clochettes au cou des moutons, et elle reconnaĂźtrait les cris aigus de la Reine dans la voix perçante du petit berger ; lâĂ©ternuement du bĂ©bĂ©, le cri du Griffon et tous les autres bruits Ă©tranges ne seraient plus, elle le savait bien, que les clameurs confuses dâune cour de ferme, tandis que le beuglement des bestiaux dans le lointain remplacerait les lourds sanglots de la Fausse-Tortue. Enfin elle se reprĂ©senta cette mĂȘme petite sĆur, dans lâavenir, devenue elle aussi une grande personne ; elle se la reprĂ©senta conservant, jusque dans lâĂąge mĂ»r, le cĆur simple et aimant de son enfance, et rĂ©unissant autour dâelle dâautres petits enfants dont elle ferait briller les yeux vifs et curieux au rĂ©cit de bien des aventures Ă©tranges, et peut-ĂȘtre mĂȘme en leur contant le songe du Pays des Merveilles du temps jadis elle la voyait partager leurs petits chagrins et trouver plaisir Ă leurs innocentes joies, se rappelant sa propre enfance et les heureux jours dâĂ©tĂ©. FIN.
- alice au pays des merveilles peindre roses - Recherche Google. Jul 21, 2016 - alice au pays des merveilles peindre roses - Recherche Google. Pinterest. Aujourd'hui. Explorer. Lorsque les rĂ©sultats de saisie automatiqueLogiciens et psychanalystes pensent tous que lâorganisation de notre monde » dĂ©pend du langage que nous parlons. Pourtant, lorsque les uns et les autres prennent des exemples de polysĂ©mie, en grammaire et en sĂ©mantique, ils ne sây retrouvent plus. Câest que les logiciens sâintĂ©ressent aux dĂ©ductions, aux infĂ©rences si on change lâordre de la grammaire, que deviennent nos perceptions ? Telle est lâĂ©preuve Ă laquelle se soumet et nous soumet Alice. Mais en logique le critĂšre des dĂ©ductions valides sert Ă dĂ©terminer, in fine un rapport correct Ă la rĂ©fĂ©rence car lâordre naturel des langues, les grammaires et la philosophie sont souvent fautifs Ă ce titre. Au contraire, en psychanalyse, on ne corrige pas la maniĂšre dont une langue ou un discours vise une rĂ©fĂ©rence ; on suspend avec mĂ©thode la considĂ©ration de la rĂ©fĂ©rence puisque le principe de rĂ©alitĂ© » est une modification interne du principe de plaisir. On ne veut pas corriger logiquement le rapport Ă la rĂ©alitĂ©, on veut laisser se dĂ©ployer et se transformer la polyvocitĂ© des langages par lesquels se dĂ©ploient nos dĂ©sirs. Câest un travail interne aux illusions. DâoĂč, par exemple, lâexpression freudienne de travail du rĂȘve » ou celle de Lacan grammaire des pulsions ».Du coup, lorsquâun psychanalyste est attentif Ă lâusage des exemples par un logicien, il se trouve transporté⊠au pays des merveilles, et lâinverse a lieu aussi. Câest Ă ce dĂ©paysement que nous convie Ali Carroll disait dâOxford ceci Ici, il nâarrive jamais rien. Jamais, il nây eut un lieu pareil pour ne point faire se produire les choses. » OĂč se produisent donc les choses ? Allons au pays des merveilles, lĂ oĂč le sommeil a son monde Ă lui » et qui est parfois aussi vrai que lâautre [1] ». Ă prendre ce pays des merveilles au sĂ©rieux, nous saurons combien nous veillons dormant et nous dormons veillant [2] », combien nous savons en rĂȘve ce que nous ignorons en vĂ©ritĂ© » et comment lâĂ©merveillement sâoppose point par point Ă lâennui FatiguĂ©e de ne rien Ă faire » tired [âŠ] of having nothing to do, Alice quitte sa sĆur pour le terrier du lapin car le livre sur lequel elle se penche et que lit sa sĆur ne comprend ni conversations, ni images. Le terrier lui offrira des conversations Ă bĂątons rompus et des images oniriques surprenantes. LâĂ©merveillement sâoppose, pourrait-on dire, Ă lâennui. Selon la vie ennuyeuse, tout est dit, tout se rĂ©pĂšte, il nây a rien de nouveau sous le soleil. Dans lâĂ©merveillement, on est sauvĂ© de cette morne incuriositĂ© », ou de ce dĂ©sespoir fiĂ©vreux par la soudaine dĂ©couverte dâautre chose dâun monde qui change et dâun moi capable de se transformer [3]. » 2Cela se cristallise dans la polysĂ©mie du mot wonder On dit tout aussi bien I wonder whoâs at the door Je me demande qui est Ă la porte il est question de beaucoup de portes et de clĂ©s dans lâouvrage de Carroll ; I wonder at your behaviour votre comportement mâĂ©tonne tous les comportements auxquels Alice est exposĂ©e sont Ă©tranges ; a wonderful sky un ciel admirable, the seven wonders of the world les sept merveilles du monde [4] et bien sĂ»r Aliceâs adventures in wonderland Les Aventures dâAlice au pays des merveilles. Le premier sens est rĂ©current Je me demande. » Alice ne cesse dâassocier sa question Je me demande » Ă lâĂ©trangetĂ©, au caractĂšre bizarre de la soudaine nouveautĂ©, ou soudaine nouvelletĂ© the out of the way things. Jâaborderai ce quâon appelle lâardeur juvĂ©nile », la fraĂźcheur juvĂ©nile » par ce biais le rapport radical Ă la nouveautĂ© qui rompt non seulement avec lâennui, mais aussi avec les corrĂ©lations coutumiĂšres, les habitudes. 3Du coup, câest bien dâune attitude et non dâun Ăąge quâil sâagit, une attitude de constante curiositĂ© et de constante transformation oĂč le langage lui-mĂȘme emprunte des chemins labyrinthiques et accompagne par un dĂ©sordre apparent du sens les aventures dâ sensoriel, Ă©gocentricitĂ© et attente perceptive lâestime des apparences4Dans le jugement de perception Ceci est chaud », on passe de lâĂ©tat primitif du langage oĂč chaud » est un mot-objet Ă valeur Ă©gocentrique, Ă un jugement oĂč ce mot a perdu cette valeur En passant de âchaudââ Ă âceci est chaudâ, nous effectuons une analyse la qualitĂ© âchaudâ est dĂ©lestĂ©e de son Ă©gocentricitĂ© et lâĂ©lĂ©ment Ă©gocentrique prĂ©cĂ©demment implicite est rendu explicite par les mots âceci estâ. Ainsi, dans un langage Ă©voluĂ©, des mots tels que âchaudâ, ârougeâ, âdouxâ, etc., ne sont pas Ă©gocentriques [5]. » Câest ce qui se passe dâordinaire dans le langage, mais, dans le conte de Lewis Carroll, les mots gardent leur Ă©gocentricitĂ© Mange-moi », Ă©crit sur le pot de confiture, bois-moi » Ă©crit sur la bouteille. 5Avec le maintien de lâĂ©gocentricitĂ©, câest-Ă -dire dâune rĂ©fĂ©rence directe Ă un je-ici-maintenant », il y a le maintien de lâactivitĂ© de dĂ©nomination, alors que celle-ci laisse en gĂ©nĂ©ral dans le langage coutumier place Ă de la description on lit des ouvrages dâhistoire et de gĂ©ographie et on apprend par description sans refaire le voyage de Magellan, par exemple au cap Horn, pour le nommer. On fait en somme confiance Ă la description. LâexpĂ©rience perceptive nâest pas rĂ©sorbĂ©e dans le langage et ne se rĂ©duit pas Ă chaque fois au noyau sensoriel, ce qui est immĂ©diatement donnĂ© aux sens. 6LâexpĂ©rience perceptive se traduit habituellement par une attente quand on voit un chat, on sâattend Ă ce quâil miaule, Ă ce quâil ait une dĂ©marche fĂ©line, mais il reste quâil est logiquement possible que ces choses attendues phĂ©nomĂ©nologiquement nâaient pas lieu. Nous sommes alors dans le monde supposĂ© Ă©trange dâAlice, au pays des merveilles, oĂč les sensations ont lieu sans les expĂ©riences perceptives. Le chat de Chester apparaĂźt et disparaĂźt, et lâĂ©trangetĂ© nâest pas rĂ©duite quand, satisfaisant Alice, il ne disparaĂźt pas aussi vite quâil apparaĂźt, quand Alice ne voit de lui quâun sourire elle savait ce quâĂ©tait un chat sans sourire, mais un sourire sans chat ? Ă lâapparition onirique ou hallucinatoire correspond le nouvel ordre des mots sourire sans chat en lieu et place de chat sans sourire. Dâailleurs, quand on pose une question et quâon nâa pas la rĂ©ponse, peu importe lâordre des mots, lit-on Ă propos de la question dâAlice les chats mangent-ils les chauves souris ou les chauves-souris mangent-elles les chats ? 7 Jâaimerais bien que vous cessiez dâapparaĂźtre et de disparaĂźtre si rapidement », dit Alice au chat de Chester ; trĂšs bienââ dit le chat, et cette fois il sâĂ©vanouit lentement, en commençant par le bout de sa queue pour finir par le sourire qui demeura en suspens quelque temps aprĂšs tout le reste [6]. » Alice a donc des sensations sans expĂ©rience perceptive et lâĂ©preuve quâelle vit est celle de la dĂ©liaison permanente entre le noyau sensoriel et lâexpĂ©rience perceptive, dĂ©liaison qui met Ă mal lâinfĂ©rence de lâun Ă lâautre. 8Trois remarques Ă ce sujet 91 En lâabsence de cette Ă©preuve extrĂȘme, nous vivons, Ă lâĂ©tat de veille, une amplification de notre sensation par ce procĂ©dĂ© dâinfĂ©rence que Bertrand Russell qualifiait de spontanĂ© », dâ animal », dâ instinctif », et qui nous rappelle lâenracinement organique de la croyance je vois quelque chose de lourd que jâai Ă porter et mon corps sâattend Ă cela et agit en consĂ©quence. Mais Alice est en apesanteur puisquâelle tombe dans le terrier sans se faire mal. Elle a perdu ce sens organique de la croyance. 102 GrĂące Ă lâĂ©preuve extrĂȘme dâAlice, nous comprenons que ce que le sens commun accepte de maniĂšre non critique comme une donnĂ©e de la perception est bien souvent infĂ©rĂ©, construit. Or, seuls nos sensations et nos souvenirs sont des donnĂ©es vĂ©ritables pour notre connaissance du monde extĂ©rieur. Nous devons exclure de notre liste de donnĂ©es, non seulement les choses que nous infĂ©rons de façon consciente, mais aussi tout ce qui est obtenu par infĂ©rence animale, comme la duretĂ© imaginĂ©e dâun objet vu mais non touchĂ© [7] », ou encore lâidĂ©e que câest bien le mĂȘme chien dont il sâagit quand lâon lâentend seulement aboyer parce que momentanĂ©ment un arbuste le cache. 113 Le problĂšme du solipsisme se pose dans le cas dâAlice. Si, dâune part toutes les donnĂ©es sont privĂ©es et sâil nây a pas dâargument, dĂ©montrable logiquement, qui me permette de passer dâune donnĂ©e Ă une autre, alors il peut sembler que je sois obligĂ© de ne croire quâen ma seule existence. Mais, en rĂ©alitĂ©, toute parole en mon nom suppose que je sache comment dĂ©limiter le moi par rapport Ă ce qui nâest pas moi, ce qui donc suppose lâexistence dâautre chose que moi Si les autres personnes et les choses nâexistaient pas, le mot moi-mĂȘmeââ perdrait son sens, car câest un mot qui dĂ©limite et exclut [8]. » Il nâest pas sĂ»r quâAlice, devenue une perception, un tĂ©lescope, un serpent, puisse dire moi ». Le solipsisme reste et catĂ©gorisation12 Qui es-tu ? », demande la chenille Ă Alice, en donnant un conseil de poids Ă la petite fille Ne perdez jamais votre sang-froid » never lose your temper et keep your temper. Il arrive souvent quâAlice soit contredite, or elle doit faire avec les contrariĂ©tĂ©s que cette nouvelle vie, oĂč toutes ses habitudes sont suspendues, lui impose. La question sur lâidentitĂ© nâarrive quâĂ la faveur dâun dĂ©placement Alice tombe dans le terrier du lapin et se trouve en apesanteur, perdant cette qualitĂ© premiĂšre quâest la gravitĂ©, la petite fille devient elle-mĂȘme une perception, ou plutĂŽt tend Ă ĂȘtre une perception parmi les perceptions. Dans une veine humienne, Lewis Carroll refuse le dĂ©doublement dâune perception et de son objet. En rĂ©alitĂ©, une perception considĂ©rĂ©e pour elle-mĂȘme est un objet Ă part entiĂšre, et une perception considĂ©rĂ©e dans sa liaison avec dâautres perceptions est un acte de lâesprit. Il nây a donc pas de dualitĂ©, mais un simple changement de point de vue. Ici, les perceptions ne sont pas reliĂ©es pour faire esprit, ce sont donc les choses elles-mĂȘmes. 13Le pigeon ne sây trompe pas il ne pose pas la question Qui ĂȘtes-vous ? », mais QuâĂȘtes-vous ? [9] », laissant Alice avec lâĂ©nigme dâĂȘtre en un sens un serpent parce quâelle partage avec cet animal lâapparence extĂ©rieure le cou trĂšs long et la propriĂ©tĂ© de manger comme lui des Ćufs. Se pose en filigrane dans cet exemple la remise en cause de la dĂ©finition de ce quâest une espĂšce vivante jusquâĂ Darwin, on mettait en avant les ressemblances et non la descendance ou la filiation. La parodie de cette dĂ©finition de lâespĂšce par la ressemblance, câest que, sous un certain aspect, tout ressemble Ă tout. 14Le changement de lieu est un prĂ©alable pour de nombreuses mĂ©tamorphoses Alice change de taille et ne peut plus expliquer ce quâelle est, ni reconnaĂźtre des parties dâelle-mĂȘme comme Ă©tant dâelle-mĂȘme pieds, Ă©paules, etc. Les pieds devenus lointains sont comme des donnĂ©es Ă part. Aristote avait explicitement posĂ© le problĂšme de lâunitĂ© substantielle de lâindividu dans le traitĂ© des CatĂ©gories ma main a-t-elle une quelconque autonomie par rapport Ă moi ? Il avait tranchĂ© en expliquant que telle main nâest pas telle main donnĂ©e de quelquâun, mais la main de quelquâun. Les parties du corps ne sont donc pas en relation avec nous, mais sont de nous. On ne peut se juger si on ne sây connaĂźt pas en catĂ©gories [10] », notait Wittgenstein Ă la fin des Remarques mĂȘlĂ©es. 15Cependant, pour Alice, de quoi pouvons-nous avoir lâair quand notre taille se rĂ©duit jusquâĂ nâĂȘtre plus que celle dâune flamme qui va sâĂ©teindre ou quand le cou est si grand quâil sâapparente plus Ă une tige vĂ©gĂ©tale quâĂ un cou humain ? Le Gulliver de Swift se rĂ©veille comme corps dont toutes les sensations sont discontinues les unes dâavec les autres et surtout hĂ©tĂ©rogĂšnes lâorteil, le bras, prennent leur autonomie face au reste du corps en raison de leur taille disproportionnĂ©e par rapport Ă la cause de leur stimulation les attaques des lilliputiens. Comment peut-on garder une quelconque affinitĂ© avec nos pieds ou mĂȘme avec nos Ă©paules, quand notre cou entortillĂ© comme un serpent est devenu dĂ©mesurĂ©ment long ? 16VoilĂ bien des images de rĂȘve ou des hallucinations auxquelles on aurait tort de prĂȘter moins dâattention que celle que lâon porte Ă lâunivers physique qui nous entoure et qui nâest quâune vaste construction Les fantĂŽmes et les hallucinations pris en eux-mĂȘmes sont exactement sur le mĂȘme niveau que les donnĂ©es sensorielles ordinaires. Ils ne diffĂšrent des donnĂ©es sensorielles ordinaires que par le fait quâils nâont pas avec les autres choses les corrĂ©lations habituelles. En eux-mĂȘmes ils ont la mĂȘme rĂ©alitĂ© que les donnĂ©es sensorielles ordinaires [11]. » Alice perd la continuitĂ©, et la corrĂ©lation, de ses impressions et nous fait entendre que cette continuitĂ© ainsi que cette corrĂ©lation sont une construction les corrĂ©lations coutumiĂšres sont comme mises en suspens par lâexpĂ©rience onirique. Ă lâĂ©tat brut ou donnĂ©, nos impressions sont bien discontinues, mais la discontinuitĂ© ne signifie pas irrĂ©alitĂ© aucune ne se dĂ©duit de la prĂ©cĂ©dente de maniĂšre logique et toutes ont une pleine rĂ©alitĂ©. La fable de la vie est de construire le lien dâhabitude entre elles. 17Câest la grande dĂ©couverte de David Hume les donnĂ©es privĂ©es de nos sens sont toutes autonomes et pleinement rĂ©elles ; toute connexion entre elles est une construction. Câest pourquoi il faut prendre nos rĂȘves au sĂ©rieux, ils nous informent sur la nature de nos impressions, sans toutes les constructions mentales de la vie diurne. Les associations libres de Freud nous font entendre que nos perceptions, nos pensĂ©es supposent un lien. Mais ce lien est tout sauf logique, aucune dĂ©duction ne saurait lâimposer. Prenons-le pour fortuit pour comprendre combien les liens que nous pensons non fortuits sont dâabord des liens construits on Ă©vite de faire de ces liens des donnĂ©es et, consĂ©quemment, de les essentialiser ou, pire encore, dâen faire un destin nĂ©cessaire. Si ces liens font destin, câest Ă la faveur dâune pure contingence et Ă la maniĂšre dâune fable, dâun conte. 18En rĂ©alitĂ©, peu de chose nous est donnĂ©. Nous commençons par les associer par la conjonction, avant de les rendre dĂ©pendantes lâune de lâautre par la prĂ©dication. Le et » prĂ©cĂšde et conditionne le est ». Mais nous ne nous rendons compte de la force de la conjonction que par le rĂȘve bien souvent je vois du caillou, je vois du bleu, ou bien je vois un corbeau et je vois du noir, câest lĂ des conjonctions. Puis je dis que le caillou est bleu » ou le corbeau est noir [12] » ce sont des prĂ©dications. Je commence Ă associer librement avant dâidentifier, avant de focaliser sur une rĂ©alitĂ©. Pour Ă©viter Ă la fois lâapothĂ©ose de la copule est » dans le jugement prĂ©dicatif et lâabsolutisation du verbe ĂȘtre », faisons justice Ă la conjonction pour en finir, comme dirait Gilles Deleuze, avec le jugement. Câest pourquoi, en toute logique, nous pouvons ĂȘtre solipsistes le monde peut avoir commencĂ©, il y a cinq minutes, tant que je ne mobilise pas tous les postulats ou demandes rationnelles, comme, par exemple, la continuitĂ© spatio-temporelle, lâanalogie ou les lignes causales [13] chacun de ces postulats affirme que quelque chose se produit souvent » et chacun justifie une attente rationnelle qui nâatteint pas la certitude [14] ». Ces postulats font passer nos prĂ©dications pour naturelles, alors quâelles sont le produit de rĂ©ifications et de focalisations multiples Pour le trĂšs jeune enfant, qui nâest pas allĂ© au-delĂ des Ă©noncĂ©s dâobservation, la prĂ©sentation rĂ©pĂ©tĂ©e dâun corps ne diffĂšre pas beaucoup dâeffets stimulatoires semblables qui de toute Ă©vidence nâentraĂźnent pas de rĂ©ification. La mise en prĂ©sence rĂ©pĂ©tĂ©e avec une balle ne diffĂšre pas au dĂ©but de la simple exposition rĂ©pĂ©tĂ©e Ă la lumiĂšre du soleil ou Ă lâair frais savoir sâil sâagit toujours de la mĂȘme balle nâa pas plus de sens que de savoir sâil sâagit du mĂȘme rayon de soleil ou de la mĂȘme brise. Ă ce stade, selon lâexpression de Strawson, lâexpĂ©rience est comme la mise en place du spectacle. Lâindividuation viendra plus tard [15]. » La vie est rĂ©alitĂ© construite. Tant de poĂ©sie dans le juvĂ©nile ! Le texte de Lewis Carroll est ponctuĂ© de poĂ©sies plus ou moins absurdes. 19Alice est juvĂ©nile. RĂ©duite Ă son noyau sensoriel donnĂ©, sans expĂ©rience perceptive construite, elle nous indique cette place solipsiste oĂč le rĂȘve nous introduit et Ă laquelle il est toujours bon de revenir pour mesurer le type de lien qui nous la fait oublier. Alice sait quâelle nâest ni Marion, ni aucune de ses autres amies, mais, positivement, il est difficile de dire ce quâelle est, ayant tant changĂ© que tout critĂšre dâidentitĂ© se trouve lui-mĂȘme invalidĂ©. Elle est sans qualitĂ©s. Tout est emportĂ© dans ce branloire pĂ©renne » et le jugement et le jugĂ© [16] », et ce quâelle dit dâelle-mĂȘme et elle-mĂȘme. Elle est donc bien perception parmi les perceptions. Il ne sâagit bien Ă©videmment pas dâun dĂ©doublement de personnalitĂ© la modification corporelle dit assez quâAlice est plusieurs Alice, toutes distinctes les unes des autres comme nos donnĂ©es sensorielles, mais elles ne sont pas superposables simultanĂ©ment. Si Alice a du chagrin, il faut bien quâelle soit noyĂ©e dans son chagrin elle aura ainsi la taille suffisamment petite pour nager dans la mare de larmes quâelle a dĂ©versĂ©es quand elle fut plus grande. 20Parler dâidentitĂ© comme dâune notion claire, stabilisĂ©e, peut-il faire encore sens ? La question de la chenille Qui es-tu ? » ne prend sens quâĂ partir dâexpĂ©riences de mĂ©tamorphoses, mĂȘme si la question revient aprĂšs un premier Ă©change verbal pour souligner que les interlocuteurs ont fait du sur place », indication dâun rĂ©el qui insiste parce quâil nâest pas pris en compte. Que ce soient les mĂ©tamorphoses dâAlice ou les exploits de Don Quichotte, le sur place », la rĂ©alitĂ© Ă laquelle on ne fait pas face, quâon combat comme le fait Alice ou Don Quichotte par la colĂšre, par le fait de sortir de soi, est lâombre portĂ©e de lâ un labyrinthe sĂ©mantique21Câest comme si, empruntant un labyrinthe, on se rend compte quâon revient au mĂȘme endroit, quâon est perdu comme la PhĂšdre de Racine Et PhĂšdre au labyrinthe avec vous descendue / se serait avec vous retrouvĂ©e ou perdue. » Le salut de PhĂšdre ne vient pas de la sortie du labyrinthe, mais dâĂȘtre reconnue par Hippolyte. Dans le livre de Lewis Carroll, câest sous forme dâun labyrinthe sĂ©mantique prĂ©sentĂ© cependant dans une correction syntaxique que lâattribution dâidentitĂ© sera faite par la duchesse Ne tâimagine jamais ne pas ĂȘtre autrement que ce que qui pourrait sembler aux autres que ce que tu Ă©tais ou aurais pu ĂȘtre nâĂ©tait pas autrement que ce que tu avais Ă©tĂ© leur aurait semblĂ© ĂȘtre autrement ». On est mis au dĂ©fi de suivre logiquement le sens de la phrase mĂȘme si, syntaxiquement, il nây a rien Ă redire [17]. La duchesse propose cette phrase comme un Ă©quivalent plus simple, pense-t-elle, de la phrase Soyez ce que vous voudriez sembler ĂȘtre. » On ne gagne pas nĂ©cessairement en signification par cette traduction en une phrase plus courte, car comment ĂȘtre ce que je veux sembler ĂȘtre si mon apparence doit encore convoquer ma volontĂ© pour coĂŻncider avec mon ĂȘtre ? 22Entre apparence, imagination, nĂ©gation et changement, lâidentitĂ© devient un labyrinthe. Le trouble saisit Alice qui demande du papier et un crayon pour pouvoir parcourir Ă nouveau la phrase. Elle ne la saisira pas plus, elle sera comme sous hypnose, continuant Ă explorer ce monde Ă©trange dans lequel les choses bizarres the out of the way things deviennent au fur et Ă mesure un peu moins surprenantes, non parce quâelles sont devenues coutumiĂšres, mais parce quâAlice a dĂ©veloppĂ© une accoutumance Ă lâĂ©trange. 23Quand Alice rĂ©pond Ă la chenille quâelle ne sait plus qui elle est, vu les nombreuses mĂ©tamorphoses quâelle a connues depuis peu, les diffĂ©rents changements de taille, notamment, on voit bien quâelle ne peut convaincre la chenille ne se mĂ©tamorphose-t-elle pas tout simplement en chrysalide, puis en papillon ? Il faut ou chercher ailleurs comment sortir du labyrinthe de lâidentitĂ©, ou abandonner la question, en reconnaissant la continuitĂ© entre le monde animal et le monde humain condition pour se libĂ©rer non du sens mais de la recherche du finir avec le sens24Il y a loin du possible au croyable Il ne faut pas juger ce qui est possible et ce qui ne lâest pas selon ce qui est croyable et incroyable Ă nos sens [18]. » Il y a la mesure de nos sens et celle de nos actions qui en dĂ©rivent aussi pensons-nous difficile de croire ce que nous ne savons pas faire Et est une grande faute en laquelle la plupart des hommes tombent ce que je ne dis pas pour Bodin de faire difficultĂ© de croire dâautrui ce quâeux ne sauraient faire [19]. » LâexpĂ©dient que les hommes trouvent pour limiter lâaction de leurs semblables est de la dire impossible et incroyable. Le possible jugĂ© est niĂ©. 25â On ne peut pas croire des choses impossibles », dit Alice. 26â Jâose dire que vous ne vous y ĂȘtes pas beaucoup exercĂ©e », fit la Reine [20]. 27Pour libĂ©rer le possible du croyable, il importe de se libĂ©rer du sens. Pour en finir avec le sens comme dâautres, Deleuze en particulier, disaient en finir avec le jugement, il convient de faire le voyage dans les mots dont le rĂšgne est consacrĂ© par le monde onirique. 28La dĂ©composition du sens va au-delĂ de sa dĂ©construction. Il ne sâagit pas de mettre en chantier, comme Jacques Derrida lâavait fait, les constructions du sens, mais de le dĂ©composer. Cela se fait de multiples façons. Toutes ces façons ont ceci de commun quâelles agissent sur le contexte, sur les sonoritĂ©s, sur le comportement linguistique, sur les rites dâapprentissage scolaire, en laissant indemne le sens coutumier des mots. Ă aucun moment, le sens habituel des mots nâest remis en cause. Lewis Carroll agit sur la composition du sens non sur son acquisition. Quelques exemples 291 La rupture de construction du sens. Ce que lâon pourrait appeler lâanacoluthe du sens dans le chapitre sur la sĂ©ance de thĂ©. AprĂšs la dĂ©composition du temps successif il est toujours six heures, lâheure du thĂ© â le temps se venge car il est battu en musique â, on assiste Ă la confrontation entre un sens prĂ©suppositionnel et un sens logique du mot plus ». Un peu plus de thĂ© », dit le liĂšvre de mars Ă Alice. Comment puis-je en avoir plus, puisque je nâen ai pas encore eu ? » Le chapelier fou sâinterpose Vous voulez dire comment avoir moins, car on a toujours plus que rien. » Le sens logico-mathĂ©matique de plus » est indĂ©niable, le sens prĂ©suppositionnel est indĂ©niable, et câest la superposition des deux qui devient intenable. 302 Lâapprentissage des rĂšgles de grammaire comprend une partie rituelle. Il suffit dâabstraire cet aspect rituel, de le considĂ©rer pour lui-mĂȘme, de lâisoler et de le cultiver pour faire apparaĂźtre sa part dâabsurde une fois mis en contexte dâusage. Alice cherche Ă parler Ă la souris rencontrĂ©e au dĂ©but du conte au moment oĂč elle est noyĂ©e dans son chagrin, et quâelle nage dans ses larmes. Comment sâadresser Ă la souris ? Elle commence par dire Ă souris ! » Câest le vocatif. Elle se souvenait en effet avoir lu dans la grammaire latine de son frĂšre Une souris, dâune souris, Ă une souris, par une souris, Ă souris [21] ! » Ăchec de communication lâapprentissage de la rĂšgle nâest pas apprentissage des contextes dâusage. Autre essai, en une autre langue, le français, car il se peut que ce soit une souris française venue avec Guillaume le ConquĂ©rant. Le deuxiĂšme essai fonctionne, mais produit un effet contraire la souris sâĂ©loigne. Il vient aussi des leçons apprises. OĂč est ma chatte ? » câĂ©tait la premiĂšre phrase de son livre de français. La souris fait un bond hors de lâeau et frissonna dâĂ©pouvante [22]. » De nouveau, câest la confrontation entre un exemple venu de lâapprentissage oĂč lâon apprend les rĂšgles pour elles-mĂȘmes en crĂ©ant une situation factice et un contexte dâusage, dâindexicalitĂ© oĂč la rĂ©fĂ©rence des mots est visĂ©e, qui produit une inquiĂ©tude quant au sens. Câest ce jeu entre les deux contextes qui prĂ©side Ă lâouverture de la piĂšce de théùtre de Ionesco La Cantatrice chauve. LâidĂ©e de M. Smith saluant Mme Smith, son Ă©pouse, et parvenant par lâĂ©change verbal Ă reconnaĂźtre quâil sâagit de son Ă©pouse lui est venue par son dĂ©sir dâapprendre la langue anglaise par la mĂ©thode Assimil oĂč des phrases toutes faites de cet ordre Ă©taient proposĂ©es. Ionesco dĂ©crit quâil nâa pas pu apprendre lâanglais, car il ne parvenait pas Ă sâabstraire de lâindexicalitĂ© des mots en question. RĂ©sultat soit on apprend, sans faire jouer la rĂ©fĂ©rence, et câest lâapprentissage qui tourne Ă vide, soit on nâapprend pas, car en mobilisant la rĂ©fĂ©rence, on oublie la visĂ©e des exemples qui sont des exemples de laboratoire de langue et non des mots imprĂ©gnĂ©s de forme de vie. Ă chaque fois, on en finit avec le sens, restĂ© intact, indemne pourrait-on dire, immune mĂȘme. 313 Lâhomonymie se placer Ă la surface des mots pour dĂ©velopper leur iconicitĂ© et leur fantaisie. Cette fois-ci, il sâagit dâen finir avec la synonymie. Prenez soin du sens, les sons prendront soin dâeux-mĂȘmes », dit la duchesse Ă propos de la synonymie. Celle-ci est un grain de sable extra linguistique introduit dans la machine linguistique. Que serait en effet ce sens qui serait identique Ă travers deux expressions diffĂ©rentes, et surtout oĂč siĂšgerait-il ? Lâhomonymie proposĂ©e nâest pas arbitraire, elle inaugure un sens nouveau. Sa place est reconnue, elle est Ă©talĂ©e devant nous dans la juxtaposition des homonymes. Tortoise/taught us, ou encore tale/tail, lesson/lessen. Il y a une matĂ©rialitĂ© et une spatialitĂ© de lâhomonymie qui rĂ©siste Ă toute dĂ©composition. En revanche, la synonymie suppose que nous puissions identifier un lieu idĂ©al oĂč elle tiendrait. Le problĂšme est que la synonymie suppose la postulation dâune thĂšse mĂ©taphysique forte il y aurait un ciel platonicien oĂč nous avons une identitĂ© du sens entre lâĂ©toile du matin et lâĂ©toile du soir, entre 2+2 et 3+1, etc. Une conception behavioriste et physicaliste oĂč la signification rĂ©sulte du comportement verbal de locuteurs en prĂ©sence de stimuli non verbaux selon les capteurs sensoriels est une objection forte contre la doctrine de la synonymie, car elle montre que le comportement nâest jamais une preuve univoque du sens [23] » et que deux individus diffĂ©rents ne sauraient ĂȘtre stimulĂ©s de la mĂȘme façon, mĂȘme sâil leur arrive dâacquiescer de mĂȘme façon. Mais lâidentitĂ© dâassentiment nâest pas identitĂ© de signification. La premiĂšre sert des objectifs de communication, la seconde est en fait sans usage. Ajoutons que la recherche de la synonymie confine Ă lâobsession de possession on dit que deux signes signifient la mĂȘme chose, comme on dirait de deux personnes quâelles possĂšdent une mĂȘme maison, dit Wittgenstein [24], car on se met Ă rechercher quelque chose que les deux signes signifient Moyennant quoi, on se met Ă rechercher avec compulsion quelque chose qui tienne lieu de signification [25]. » Si câest lâusage qui compte, et si nous utilisons une expression et non pas une autre, câest que ce nâest pas la synonymie qui importe. 324 La remise en cause de la fonction phatique du langage, du dĂ©doublement du sens en propre et figurĂ©, des expressions idiomatiques je ne pense pas » au sens de je ne crois pas » â Alors taisez-vous » ; ou encore câest changer souvent de taille qui me gĂȘne, vous savez » â Je ne sais pas. » On est dĂ©sorientĂ© sur la base dâune prĂ©servation du sens premier et mĂȘme prĂȘt Ă perdre son sang froid, dâoĂč lâavis de la chenille never lose your temper. 335 LâinscrutabilitĂ© de la rĂ©fĂ©rence. Les indexicaux comme cela », les pronoms comme il », perdent leur fonction de focalisation sur telle ou telle rĂ©alitĂ©. Guillaume le ConquĂ©rant a envahi lâAngleterre avec lâaval des dignitaires anglais, que Guillaume le ConquĂ©rant ait envahi lâAngleterre, lâarchevĂȘque trouva cela » raisonnable. Le problĂšme se pose Ă quoi renvoie cela » ? Si cela » a une fonction dâindex dâune rĂ©alitĂ© parti- culiĂšre et concrĂšte, il ne peut renvoyer Ă lâoccupation de lâAngleterre qui ne fait pas partie de lâinventaire du monde, comme fait partie de cet inventaire une grenouille ou un ver pour un canard. On ne se sĂšche par le discours fonction symbolique que si lâon admet la perte progressive de lâĂ©gocentricitĂ© des mots et la possibilitĂ© de faire usage de la focalisation. Sinon, le discours reste un noyau sensoriel sans relĂšve linguistique, un rĂȘve humide en quelque sorte. 346 En finir avec le jugement aussi, et pas seulement avec le sens. La sanction dâabord, le jugement aprĂšs sentence first, verdict afterwards ». La reine a la possibilitĂ© dâaller dans les deux sens du temps du futur vers le passĂ© et du passĂ© vers le futur, elle peut donc parler de sanction avant de parler de jugement. Le temps lui obĂ©it en quelque sorte. Analytiquement, il sâagit en fait dâen finir avec le jugement, comme le dit Deleuze, car lâaccusation, la dĂ©libĂ©ration, le verdict se confondent Ă lâinfini [26] ». Quatre auteurs emblĂ©matiques de cette confusion selon lui, mais on pourrait ajouter Lewis Carroll Artaud, Kafka, Nietzsche, Lawrence. Dans le livre de Lewis Carroll, câest le jeu qui en finit avec le jugement moral la duchesse qui considĂšre que tout a une morale et qui est chassĂ©e par la Reine qui rappelle Ă Alice lâimportance du jeu Allons jouer. Le jeu dâun cĂŽtĂ© et le rĂȘve qui lâabrite de lâautre cĂŽtĂ© les deux constituent la distance qui permet de se guĂ©rir du jugement des autres, pour reprendre une expression dâArtaud utilisĂ©e dans sa correspondance avec Jacques RiviĂšre Ă propos de la poĂ©sie, en 1923-1924. Jâai pour me guĂ©rir du jugement des autres, toute la distance qui me sĂ©pare de moi » Artaud Ă Jacques RiviĂšre. La reine peut bien juger, et dire head off Ă Alice, celle-ci, se rĂ©veillant petit Ă petit, en retrouvant sa taille normale, câest-Ă -dire en renouant avec la pesanteur, lui rĂ©torque Qui se soucie de vos ordres, vous nâĂȘtes quâun paquet de cartes. » Au sein mĂȘme du rĂȘve, les jugements de la Reine sont sans suite, car les mis Ă mort partent avant, il arrive aussi Ă la reine dâoublier, ou de donner le choix Ă la duchesse par exemple, etc. Ă la place du jugement, il y a lâhypothĂšse et la considĂ©ration des faits et une partie de cartes qui ne finit jamais, soit parce quâon se remet Ă jouer, soit parce que le jeu terminĂ©, il nây a ni consĂ©quence, ni importance. On suppose et on raconte, mais surtout on ne termine pas les histoires on ne saura jamais comment la pseudo-tortue est devenue fictive, elle qui fut bien rĂ©elle, on ne sait pas ce que la cuisiniĂšre cuisine dans sa marmite poivrĂ©e qui provoque tant dâĂ©ternuement. Tous les chemins mĂšnent bien quelque part pourvu quâon les poursuive longtemps, dit le chat, et de mĂȘme pour les histoires. Le possible, lâhypothĂ©tique, Ă©chappent au jugement et Ă la croyance qui ont tendance Ă le convertir vite en impossible, et ce qui doit ĂȘtre les leçons, la morale, la grammaire laisse place Ă ce qui pourrait ĂȘtre. Le lecteur reste avec son wondering, ses questions Ă©tranges, Ă lâabri de la colĂšre. JuvĂ©nile donc mais jovial aussi. Notes [1] Lewis Carroll, Journal, 9 fĂ©vrier 1856. [2] Michel de Montaigne, Essais. [3] Michael Edwards, Shakespeare et la comĂ©die de lâĂ©merveillement, Paris, DesclĂ©e de Brouwer, 2003, p. 17. [4] Ces exemples sont donnĂ©s par Michael Edwards, LâĂmerveillement., p. 93. [5] George Allen & Unwin, An Inquiry into Meaning and Truth 1940, Londres, trad. franç. Signification et VĂ©ritĂ©, Paris, Flammarion, 1969, p. 143. [6] Alice au pays des merveilles, trad. franç dâAndrĂ© Bay, Belgique, BibliothĂšque Marabout, 1978, p. 82. [7] Georges Allen & Unwin, Human Knowledge, its Scope and Limits, Londres, 1948, 1976, p. 185. [8] Ibid., p. 191. [9] What are you » ? [10] Ludwig Wittgenstein, Remarques mĂȘlĂ©es, TER, trad. franç., 1984, p. 103. [11] Bertrand Russell, Philosophie de lâatomisme logique, trad. franç., in Ăcrits de logique philosophique, Paris, PUF, 1989, p. 434. [12] Voir William Van Orman Quine, La Poursuite de la vĂ©ritĂ©, trad. franç., 1993, p. 25 et p. 48. [13] Bertrand Russell, La Connaissance humaine, sa portĂ©e, ses limites 1948, trad. franç., Paris, Vrin, 2002, p. 523. [14] Ibid. [15] O. Quine, op. cit., p. 48-49. [16] Michel de Montaigne, Essais, Livre II, XII. [17] La phrase dans le texte originel Never imagine yourself not to be otherwise than what it might appear to others that you were or might have been was not otherwise than what you had been would have appeared to them to be otherwise », in Lewis Carroll, Aliceâs Adventures in Wonderland, INC, New York, Dover Publications, 1993, p. 61. [18] Montaigne, Essais, Paris, PUF, p. 725. [19] Ibid., p. 723. [20] De lâautre cĂŽtĂ© du miroir, Marabout, trad. franç, p. 231. [21] Les Aventures dâAlice au pays des merveilles, trad. franç. dâAndrĂ© Bay, BibliothĂšque Marabout, p. 33. [22] Ibid. [23] Jean Largeault, Quine, le continuisme et la fin de lâĂ©pistĂ©mologie nĂ©o-positiviste, in Revue philosophique, n° 3, 1994, p. 320. [24] Ludwig J. J. Wittgenstein, DictĂ©es Ă Waissmann et pour Schlick, trad. franç., 1997, p. 81. [25] Ibid. Voir Quine Mon propos nâest pas de remettre en cause les dictionnaires, quâils soient ou non bilingues. Mais de souligner que leur utilitĂ© ne repose pas sur la synonymie, que ce soit en matiĂšre de traduction ou de paraphrase. Le propre dâun dictionnaire est dâaider les usagers dâune langue Ă rĂ©aliser les diverses fins quâils se proposent fournir ou rassembler des informations, persuader, passer des accords, planifier, thĂ©oriser et se dĂ©lecter de sons, dâimages et de fantaisies », in QuidditĂ©s, Paris, Seuil, 1992, p. 219. [26] Gilles Deleuze, Critique et Clinique, Paris, Minuit, 1993, p. 158.